Travail du dimanche : la Cour de cassation au soutien des magasins autonomes ?

Publié le 13/12/2022

Par deux arrêts du 26 octobre 2022, la Cour de cassation rend possible l’ouverture d’un commerce de détail alimentaire le dimanche après-midi à condition que son fonctionnement et ses modalités de paiement soit automatisés. La présence d’agents de prévention et de sécurité ne suffit pas en elle-même à dénier cette automatisation. Ces magasins « autonomes » peuvent également ouvrir quand bien même un arrêté préfectoral ordonne la fermeture des commerces le dimanche ! Cass.soc. 26.10.22, n°21-19.075 et 21-15.142, publié au bulletin. 

Si le travail du dimanche ne connait pas de véritable actualité législative, [1] le sujet revient sous le feu des projecteurs avec ces deux décisions de la Cour de cassation concernant spécifiquement le commerce de détail alimentaire.

Travail du dimanche et dérogations permanentes de droit en bref

Alors que le repos hebdomadaire doit en principe être donné le dimanche [2], certains secteurs bénéficient d’une dérogation légale ou réglementaire leur permettant d’employer des salariés le dimanche sans avoir besoin d’une autorisation administrative. C’est le cas des commerces de détail alimentaire qui bénéficient d’une dérogation permanente de droit autorisant l'emploi de salariés le dimanche jusqu’à 13h.

D’autres secteurs bénéficient d’une dérogation permanente de droit sans restriction d’horaires comme les entreprises de « surveillance, gardiennage » pour les salariés affectés aux activités de « service de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l’incendie »[3] ou encore les entreprises fournissant un service « d’assistance de communication électronique » notamment pour les « activités d’assistance téléphonique ou télématique » [4].

Enfin rappelons l’évidence, ces règles sont applicables uniquement à la relation de travail salarié. Un commerce de détail alimentaire peut ouvrir le dimanche sans restriction d’horaires dès lors qu’il n’emploie pas de salariés.

L’expérimentation de magasins « autonomes »

Dans un contexte où les enseignes se livrent une bataille pour ne pas perdre des parts de marché, l’articulation des 3 règles que nous venons de voir a donné des idées à l’entreprise Casino qui a lancé une expérimentation en 2019 dans différents magasins en France. Elle a ouvert ses supermarchés le dimanche après-midi sans employer de salariés de l’entreprise mais en ayant recours à des prestataires de services disposant d’une dérogation permanente de droit, notamment des agents de prévention et de sécurité. Précisons que leur présence est imposée, sous certaines conditions, pour ouvrir un magasin au public [5].

L’inspection du travail du Var et celle de la Haute-Garonne, alertée par les syndicats, et en particulier la CFDT, ont saisi le juge des référés après avoir constaté :

  • L’emploi illicite de salariés le dimanche après-midi dans 3 supermarchés Casino en Haute Garonne. Les contrôles ont mis en évidence la présence de salariés d'entreprises prestataires qui remplissaient des tâches dévolues habituellement aux salariés de Casino ;
  • L’ouverture d’un supermarché Casino dans le Var le dimanche toute la journée alors qu’un arrêté préfectoral rendait une telle ouverture impossible.

Selon l’article L. 3132-31 du Code du travail, l'inspecteur du travail peut saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toute mesure propre à faire cesser, dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur, l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13. Le juge judiciaire peut notamment ordonner la fermeture le dimanche du ou des établissements concernés. Il peut assortir sa décision d'une astreinte liquidée au profit du Trésor.

Suite à ces deux litiges, la Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer sur 3 questions importantes relatives au travail du dimanche dans le commerce alimentaire :

  • L’inspecteur du travail peut-il saisir le juge des référés en vue de fermer un magasin alors que les infractions ont été commises par un prestataire de service bénéficiant d’une dérogation permanente de droit ?
  • Un commerce de détail alimentaire peut il ouvrir alors qu’un arrêté préfectoral l’interdit ?
  • La présence de prestaire de service dans le magasin rend-elle nécessairement illicite l’ouverture du magasin le dimanche après-midi ?

Nous allons revenir successivement sur ces 3 questions. 

1 - Sur les pouvoirs de l’inspecteur du travail

Dans la première affaire en Haute-Garonne, la recevabilité de l’action de l’inspecteur du travail a été admise à la fois par le tribunal judiciaire et la Cour d’appel. Dans son pourvoi en cassation l’employeur reproche à la Cour d’appel d’avoir retenu une interprétation large de l’article L.3132-31 du Code du travail pour dire l’action recevable alors qu’il ressort d’une interprétation stricte du texte que « l’emploi illicite de salariés » vise uniquement l’employeur qui fait travailler de manière illégale « ses » salariés. Le stratagème juridique est intéressant puisque les entreprises prestataires de service en cause bénéficient d'une dérogation permanente de droit : la société ETIC certainement pour l'assistance sur le système de paiement automatique et la société LYNX pour la surveillance et le gardiennage. Ainsi, aucun employeur ne serait dans l’illégalité et l’inspecteur du travail par conséquent incompétent…

La ficelle était un peu trop grosse pour la Cour de cassation qui juge que : « ce pouvoir [de l’inspecteur du travail] peut s’exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu’il s’agisse de salariés de l’établissement concerné ou d’entreprises de prestation de services ».

2- Ouverture du commerce le dimanche et arrêté préfectoral

Dans la seconde affaire Varoise, les inspecteurs du travail ont également saisi en référé le tribunal judiciaire afin d’obtenir la fermeture du magasin mais cette fois parce qu’un arrêté préfectoral rendait impossible l’ouverture de ce commerce le dimanche.

L’article L. 3132-29 du Code du travail alinéa 1 dispose : « Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. »

La Cour de cassation rejette le pourvoi des inspecteurs du travail et approuve ainsi la Cour d’appel qui a décidé que : « la journée de fermeture imposée par l’arrêté préfectoral ne concernait pas les activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées ».     

Il faut ici convenir, pour comprendre la solution, que l’article L.3132-29 du Code du travail exclu expressément du champ d’application de l’arrêté préfectoral de fermeture les activités ayant des « modalités de fonctionnement et de paiement automatisées » depuis une modification législative introduite en 1992 [6]. Mais on peut sincèrement se demander si l’arrêté préfectoral en litige datant du 12 février 1969 avait réellement vocation à introduire une exception alors que la technologie ne permettait évidemment pas à l’époque de faire fonctionner un magasin de manière « autonome »… Ainsi de tels arrêtés auraient seulement vocation aujourd’hui à empêcher l’ouverture d’un commerce employant du personnel salarié ou même non salarié [7] et pas un commerce « autonome » ayant recours à des salariés prestataires de services effectuant des tâches non dévolues aux salariés du magasin. Cela rend très difficile la compréhension de cette décision. De plus, le moins que l’on puisse dire c’est que la frontière entre ce qui relève « des modalités de fonctionnement et de paiement automatisées » et ce qui n’en relève pas reste plutôt flou à la suite de ces deux décisions. C’est finalement le point commun entre ces deux affaires que nous allons maintenant aborder.

3- Magasin « autonome » et travail le dimanche

La question de fond qui traverse les 2 arrêts est de savoir sous quelles limites un commerce alimentaire ayant recours a des prestataires extérieurs peut être considéré comme fonctionnant de manière autonome et ainsi être autorisé à ouvrir.  

Dans la première affaire les choses sont assez simples, quand bien même les 2 sociétés prestataires de services bénéficient de dérogations permanentes de droit, les constats de l’inspection du travail ont révélés que les agents de prévention sécurité « empiétaient sur les activités normalement dévolues aux salariés des magasins ». Ils orientaient les clients vers une hotline en cas de dysfonctionnement, aidaient les clients en difficulté avec la caisse automatique, avaient en charge la fermeture du magasin, etc…

Ainsi, faute pour le commerce d’avoir des « modalités de fonctionnement et de paiement automatisées », l’employeur est débouté de son pourvoi. La décision de fermeture du magasin en référé était bien fondée dans la mesure où des salariés étaient  employés en violation des règles sur le repos dominical. Fort heureusement l’argument de l’entreprise Casino selon lequel le contrat de prestation de service précisait expressément que les agents devaient se limiter aux fonctions de surveillance et de gardiennage – et qu’il s’agissait donc d’une dérive individuelle de ces salariés- est balayé par la Cour de cassation. De même est écarté l’argument de Casino visant à dire que seules les entreprises prestataires de services pouvaient être tenues pour responsables de l’emploi illicite de salariés le dimanche. La solution de la Cour de cassation ne rentre pas dans le débat du renvoi de responsabilité et admet donc de manière très pragmatique comme sanction la fermeture d’un magasin, quand bien même l’emploi illicite le dimanche est le fait d’entreprises prestataires de service.

Oui mais voilà, on aurait pu croire que la présence de ces tiers à l’entreprise rend nécessairement impossible le fonctionnement « autonome » du magasin mais ce n’est pas ce que considère la Cour de cassation si l’on s’attarde sur la seconde affaire.

En effet, pour dire que l’arrêté préfectoral n’imposait pas la fermeture du supermarché, la Cour de cassation à bien été obligée d’étudier si le magasin fonctionnait de manière « autonome », condition posée par la loi pour être exclu du champ de l’arrêté. Il s’agissait certes d’une action en référé, mais la Cour de cassation a pu dire que le recours à une intervention humaine que ce soit par la hotline ou la présence d’agents de prévention et de sécurité ne permet pas de dénier l’automaticité dans l’ouverture et le fonctionnement des magasins ! Certes la Haute Cour poursuit en indiquant qu’il n’était pas démontré que ces agents avaient outrepassé leur mission, ce qui pourrait s’analyser en un simple défaut de preuve, mais il n’en reste pas moins que cela livre un mode d’emploi aux employeurs de ces commerces. Vous pouvez recruter des prestataires de services le dimanche s’ils bénéficient d’une dérogation permanente de droit et si votre magasin a des modalités de fonctionnement et de paiement automatisées !  Or, les équipes syndicales voient mal comment en pratique cela peut être possible, les clients n’arrêteront pas d’interpeller les salariés des entreprises prestataires dans le magasin – quand bien même un affichage rappellerait les règles comme ce fût le cas dans les magasins concernés- et les inspecteurs du travail n’auront pas la capacité de constater chaque excès de mission…

Et après ?

Il est finalement assez difficile de dire si la Cour de cassation est bien restée dans son rôle d’interprétation du droit ou si elle a souhaité encourager le développement de magasins « autonomes ». On peut en tous les cas regretter que cette solution soit rendue après une stratégie offensive d’une enseigne de grande distribution et s’étonner sur le plan juridique que les critères d’automaticité fixés par la loi concernant les arrêtés préfectoraux soient réutilisés pour dire si un commerce alimentaire, même non concerné par un tel arrêté, peut ouvrir ou non le dimanche après-midi. Un raisonnement fondé sur l’activité principale du magasin pour savoir s’il peut ouvrir aurait été largement plus protecteur de l’ensemble des salariés, prestataires de services ou non, et semble nettement plus dans l’esprit de la loi.

Il faudra certainement attendre les décisions de 1ère instance pour voir plus précisément quelles actions des salariés prestataires de services font perdre le caractère de magasin « autonomes » (au-delà de la 1ère affaire où le dépassement de fonctions était évident). Et d’ici là il y a fort à parier que les progrès de la technologie et des usages permettront d’avoir des magasins vraiment autonome viables. Que la Cour de cassation ait voulu être en avance ou non sur son temps, on peut s’accorder pour dire qu’elle prend du retard sur la protection des droits des salariés ! 

 

[1] La dernière grande réforme date de 2015, et si des modifications sont attendues elles concerneront spécifiquement les JO 2024. 

[2] Art. L.3132-3 C.trav.

[3] Art. R.3132-5 C.trav.

[4] Idem.

[5] Voir not. art. R. 273-1 du Code de sécurité intérieure.

[6] Loi n° 92-60 du 18.01.1992. 

[7] Les conclusions du rapporteur public mentionnent que cette interdiction s’applique de façon générale, à l’ensemble des établissements de la profession en cause, qu’ils emploient ou non du personnel (CE, 28 mai 2003, Req.N 247120 ; RJS o 2003, no 1278), y compris aux commerçants qui travaillent seuls ou avec l’aide des membres de leur famille (Crim. 26 mai 1976, no 75-92.879).