IA dans l’entreprise : le juge peut-il suspendre son utilisation si le CSE n’est pas consulté ?

  • CSE

Le Code du travail impose que le comité social et économique soit informé et consulté lors de l’introduction de nouvelle technologie, ce qui inclut le cas du déploiement d’une intelligence artificielle dans l’entreprise.  Si l’employeur ne respecte pas cette exigence, le juge des référés peut ordonner la suspension de la mise en œuvre de l’IA. C’est ce qu’a décidé le tribunal judiciaire de Nanterre dans sa formation de référé, constatant que l’entreprise utilisait de nouveaux outils d’IA alors même que le CSE n’avait pas encore rendu son avis. TJ Nanterre, 14.02.25, n°24/01/01457.

Des IA déployées sans l’avis du CSE

Dans cette affaire, une société a déployé dans l’entreprise des applications informatiques utilisant l’intelligence artificielle. L’apprenant, le CSE a demandé à plusieurs reprises à être consulté, sans suite, avant qu’une information-consultation soit finalement lancée par l’employeur plusieurs mois après, et après une première saisine du juge des référés.

Bon à savoir

Selon l’article L.2312-8 du Code du travail, le CSE doit être consulté sur l’introduction de nouvelles technologies ou tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. L’introduction d’un système IA dans l’entreprise doit donc donner lieu à consultation.

Le CSE saisit une nouvelle fois le juge des référés afin d’obtenir la communication de documents complémentaires, d’obtenir la prolongation du délai de consultation mais aussi de suspendre la mise en place de ces outils.

Le juge des référés est le juge de l’urgence et l’évidence, c’est-à-dire qu’il rend une décision rapidement pour un manquement clairement établit. Il est saisi en l’espèce car le CSE reproche à l’employeur d’avoir mis en œuvre ces applications alors même qu’il n’avait pas encore rendu son avis.

L’employeur soutient quant à lui que le CSE a rendu un avis réputé négatif et que la consultation du CSE n’était pas nécessaire car les outils en question sont en cours d’expérimentation et ne sont donc pas encore effectivement mis en œuvre dans l’entreprise.

 

Un trouble manifestement illicite relevé par le juge des référés

Mais le juge ne suit pas l’argumentation de l’employeur. Il considère que lorsque ce dernier initie une procédure de consultation du CSE, obligatoire ou non, « il ne peut mettre en œuvre le projet en cause avant que le comité n'ait rendu son avis ou que le juge saisi du contentieux de la communication de documents complémentaires n'ait statué. ».

Pourquoi une telle solution ?

Le juge relève que la mise en place des différents outils était en « phase pilote », depuis plusieurs mois pour certains. Cette phase impliquait leur utilisation, même partiellement, par l’ensemble des salariés concernés. De ce fait, le juge estime que nous ne sommes pas dans le cadre d’une simple expérimentation.

Au contraire, les IA étaient déjà mises en œuvre et utilisées dans l’entreprise et cela sans que le CSE n’ait rendu d’avis.

Ainsi, selon le juge un trouble manifestement illicite est caractérisé. Il ordonne à ce titre la suspension de la mise en œuvre des IA jusqu’à la fin de la consultation

 

Une décision bienvenue

Cette décision du tribunal judiciaire de Nanterre est bienvenue dans un contexte d’utilisation croissante dans l’entreprise d’applications utilisant l’IA. Elle rappelle que les exigences du Code du travail doivent être respectées, à savoir que le CSE doit être consulté dès l’introduction d’une IA dans l’entreprise. Il faudra néanmoins voir si cette décision de première instance va être suivie par les juges d’appel.

Et peu importe que le projet soit en phase « pilote » ou d’expérimentation dès lors que les outils sont utilisés par les salariés, même partiellement. 

Le CSE doit donc rester vigilant lors de toute introduction d’un système IA et doit exiger d’être consulté. L’IA étant une matière complexe, le CSE peut également faire appel à un expert habilité pour l’aider à rendre son avis, en application de l’article L.23215-94 du Code du travail.

Comme en l’espèce, il ne doit pas hésiter à saisir le juge des référés pour s’assurer de la bonne application de ses droits.

L'arrêt du tribunal judiciaire

  • TJ Nanterre 14.02.25 RG 24_01457

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