CSE : disparition et reconnaissance de l’établissement distinct sont soumises au même régime

Publié le 02/11/2021

Le Code du travail explique très précisément comment l’existence des établissements distincts - au sens du CSE - peut être reconnue : par le biais d’un accord ou, à défaut, par celui d’une décision unilatérale de l’employeur susceptible d’être contestée devant l’administration du travail puis, s’il y a lieu, devant le tribunal judiciaire.

Par un arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation vient tout juste de préciser que ces règles ont vocation non seulement à reconnaître la qualité d’établissement distinct, mais aussi sa disparition. Cass.soc.20.10.21, n° 20-60.258.

Un établissement distinct, ça naît, ça vit, puis parfois… ça meurt.

Reste à savoir comment une telle disparition peut être actée et au besoin contestée.

Les faits attenants à l’affaire ici commentée permettront à la Cour de cassation de dégager à ce propos une solution "clés en main"... 

Une élection au CSE entre émergence et disparition d’établissements distincts

En novembre 2018, après avoir en vain tenté de négocier avec les syndicats représentatifs présents dans l’entreprise le nombre et le périmètre des établissements distincts au sein desquels un CSE doit être mis en place, la société Sécuritas France décide finalement seule d’en reconnaître 14. Cette décision unilatérale sera par la suite contestée devant l’administration du travail, puis devant la chambre de proximité du tribunal judiciaire, mais elle sera à chaque fois confirmée.

En juin 2019, les élections au CSE sont organisées, avant d’être finalement judiciairement annulées au mois d’octobre suivant.

En décembre 2019, de nouvelles élections sont donc organisées. Mais, à l’occasion de ce processus électoral nouveau, l’employeur argue d’une réorganisation de l’entreprise pour inviter les organisations syndicales représentatives à négocier la perte de la qualité d’établissement distinct pour l’un des 14  établissements dont l’existence avait été initialement reconnue. Une nouvelle fois, la négociation échoue, ce qui conduit l’employeur à acter seul l’effectivité de cette disparition.

A la différence de la précédente, cette ultime décision unilatérale de l’employeur ne sera cependant pas contestée par des organisations syndicales présentes dans l’entreprise, mais directement par 7 salariés. Question : étaient-ils juridiquement fondés à porter une telle contestation ?

 

Et les décisions unilatérales de l’employeur actant soit la reconnaissance soit la disparition d’un établissement distinct peuvent-elles être contestées de la même manière ?

 

Le Code du travail répond ainsi à cette importante question.

« Des CSE d’établissement et un CSE central d’entreprise sont constitués dans les entreprises comportant au moins 2 établissements distincts (1)  (...)

« Un accord d’entreprise détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts » (2) (…) 

En l’absence d’accord, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte-tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (3) (…)

En cas de litige portant sur la décision de l’employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés » par l’administration du travail (4) (...) décision administrative qui peut » elle-même « faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux (5)(…)

Les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise et les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale dans l'entreprise (…) peuvent dans le délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ils en ont été informés, contester la décision de l'employeur » devant l’administration du travail (6).

« La perte de qualité d’établissement distinct (…) emporte la cessation des fonctions des membres de la délégation du personnel du CSE de cet établissement (…) » (7). 

Déboutés de leur contestation par le tribunal de proximité de Puteaux, les salariés concernés ont décidé de se pourvoir en cassation. Les juges du fond avaient ici considéré que les règles relatives à la reconnaissance du nombre et du périmètre des établissements distincts avaient vocation à s’appliquer. Ce qui donnait compétence pour agir aux seules organisations syndicales présentes dans l’entreprise, et non aux salariés.

Acter  la disparition d’un établissement distinct, c’est (aussi) décider de modifier le nombre et le périmètre de ceux qui perdurent !

 

A l’appui de leur pourvoi, Les salariés ont affirmé que les juges du fond avaient mal qualifié les faits en considérant qu’il s’agissait ici d’appliquer les règles relatives à la reconnaissance du nombre et du périmètre des établissements distincts, alors même que la décision patronale contestée portait non pas sur la reconnaissance de l’existence d’un établissement distinct, mais sur la disparition de l’un d’entre eux.

Ils en ont conclu que le texte donnant compétence pour agir aux seules organisations syndicales présentes dans l’entreprise n’était ici pas applicable et que les salariés - qui avaient un intérêt légitime à agir, puisqu’ils voyaient ainsi leur droit à représentation restreint - étaient donc parfaitement fondés à agir en justice.     

La Cour de cassation n'a pas suivi ce raisonnement et a rejeté le pourvoi. Elle a considéré en effet que « le constat de la perte de qualité d’établissement distinct (…) relève des mêmes dispositions » que celles relatives à la reconnaissance de son existence.

Pourquoi ? Parce qu’en toute logique, un tel constat conduit lui aussi « à modifier le nombre et le périmètre des établissements distincts au niveau desquels des CSE sont mis en place dans l’entreprise ». En conséquence de quoi, les dispositions visées à l’article R. 2313-1 alinéa 3 du Code du travail avaient bien vocation à s’appliquer, et les salariés n’avaient pas compétence à agir au contentieux contre la décision unilatérale de l’employeur.

A notre sens, cette solution se justifie d’autant plus, qu’en son article L. 2313-6, le Code du travail se contente d’évoquer les conséquences de la disparition de l’établissement distinct, sans préciser comment une telle disparition peut être actée et contestée.

Alors, disons-le, dans un tel contexte législatif et réglementaire, un rattachement aux règles de contestation propres aux décisions patronales fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts semblait pour le moins inévitable...

 

(1) Art. L.2313-1 al. 2 C.trav.

(2) Art. L.2313-2 C.trav.

(3) Art. L.2313-4 C.trav.

(4) Art. L.2313-5 al. 1er C.trav.

(5) Art. L.2313-5 al. 2 C.trav.

(6) Art. R.2313-1 al. 3 C. trav.

(7) Art. L.2313-6 C.trav.