Harcèlement moral : la prescription court à compter du dernier acte commis

Publié le 03/07/2019

La Cour de cassation vient de préciser le point de départ du délai de prescription en matière de harcèlement moral. Ce délai ne commence à courir, pour chaque acte de harcèlement incriminé, qu’à partir du dernier. Cass. soc., 19.06.2019, n°18-85.725.

 

  •  Faits et procédure

En octobre 2014, un salarié dépose une plainte simple puis, en février 2015, force l’action publique au moyen d’une plainte avec constitution de partie civile. Il dénonce un harcèlement moral sous forme de dépréciation de son travail et d'absence de soutien de sa hiérarchie pendant près de 20 ans, entre 1992 et le 1er juillet 2012. Il considère que ces agissements ont eu pour objet ou pour effet de compromettre son avenir professionnel.

Suite à une ordonnance de non-lieu à l’issue de l’enquête, le salarié interjette appel de la décision. La cour d’appel juge que les faits antérieurs au 16 octobre 2011, soit 3 ans avant la plainte, délai alors applicable pour les délits (1), sont couverts par la prescription.

C’est la décision attaquée.

 

Depuis 2012 (2) l’incrimination pénale du harcèlement moral dans la relation de travail se trouve exclusivement au sein du Code pénal notamment à l’article 222-33-2 (3).
Cet article exige des agissements répétés, qui ont pour objet ou pour effet (donc qui ne peuvent être qu’éventuels), la dégradation des conditions de travail du salarié, notion centrale du harcèlement moral.
Cette dégradation doit avoir une répercussion individuelle soit en étant susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, soit d'altérer sa santé physique ou mentale, soit de compromettre son avenir professionnel.
Sur la notion d’actes répétés, le Code pénal prévoit un tempérament, à l’article 222-33-2-2 du Code pénal : lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, le harcèlement moral est punissable. 

 

  • La solution de la Cour de cassation

Au visa du droit au procès équitable en matière pénale de l’article 6, §1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour décide que :

 

la prescription n’a commencé à courir, pour chaque acte de harcèlement incriminé, qu’à partir du dernier…

 

Cette solution n’est pas vraiment une surprise, la chambre criminelle de la Cour de cassation ayant déjà pu approuver par le passé le raisonnement d’une cour d’appel considérant que la prescription du harcèlement moral « ne court qu'à partir du jour où l'activité délictueuse a cessé »(4).

Si la Cour reconnaît l’erreur de la cour d’appel sur la prescription, elle ne censure pas pour autant la décision en jugeant qu’elle avait procédé à une analyse des faits depuis leur origine et avait souverainement apprécié que le délit de harcèlement moral n’était pas caractérisé.

Pour cette infraction continue un peu particulière, puisque la répétition est précisément une condition de mobilisation du texte et non la conséquence d’une même infraction (cf. séquestration), il est donc possible pour la victime (ou le procureur) d’emprunter la voie pénale dans les 6 ans du dernier acte de harcèlement.

Cette stratégie d'attente peut toutefois s’avérer risquée lorsque les agissements se déroulent sur un long trait de temps entre le premier et le dernier acte. Pourquoi ? Principalement pour des questions de preuves et ce, même si en théorie, le juge ne peut pas déduire de cette temporalité une forme d'acceptation de la part de la victime. C'est ce que vient de rappeler la Cour de cassation(5).

 



TYPOLOGIE DES HARCELEMENTS

Pratiques relationnelles :

- humour déplacé et répétitif a connotations racistes de la part du supérieur (Cass.crim, 12 déc 2006, n° 05-87658)
- communication par l’intermédiaire de tableaux (Cass. Soc., 10 nov 2009, n° 07-45321)

Pratique d’isolement :

- gestion directe des équipes en ignorant les niveaux hiérarchiques (Cass, Soc., 10 nov 2009, n°07-45321)
- privation de secrétaire, changement de bureau, suppression de l’organigramme (Cass, Soc., 30 mars 2011, n° 09-41583)

Pratiques persécutrices : 

- instauration d'une obligation nouvelle et sans justification de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure hiérarchique (Cass. soc.,27 oct. 2004, n°04-41.008)
- affectation d'une directrice commerciale dans un bureau de 7 mètres carrés (Cass. soc., 22 juin 2011, n°10-30329)

Pratiques punitives :

- envoi par lettre recommandée, d'un courrier reprochant à un cadre de ne plus remplir normalement ses attributions, suivi de 2 autres lettres du même acabit sur six mois (Cass. soc., 26 janvier 2005, n°02-47296) ;
- engagement d'une procédure disciplinaire qu'on décide de ne pas poursuivre (Cass. soc., 26 janv. 2005, précité).

Mise en scène de la disparition :

- affectation à des travaux subalternes, lors d'un retour de maladie, alors que le salarié a été déclaré apte à reprendre son poste, cette rétrogradation s'accompagnant de propos dégradants (Cass. soc, 26 mai 2010, n°08-43152)
- provocations répétitives consistant à déclarer le salarié, cadre supérieur, comme démissionnaire ou à le présenter aux tiers comme un collaborateur, retrait de la plaque professionnelle, retrait de la signature bancaire et de la place de parking (Cass. soc., 21 juin 2011, n°09-72466).

Pratiques managériales :

Dans ce cas un harceleur n’est pas nommément visé, mais c’est le mode de gestion des ressources humaines qui est mis en cause, on parle de harcèlement managérial (Cass. Soc, 10 novembre 2009, n°07-45321).

 

 



(1) Le Code de procédure pénale prévoit depuis la réforme de 2017 que : « L'action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise. », art. 8, C.proc.pen.

(2) Loi n° 2012-954 du 6.08.12.

(3) « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. »

(4) Cass.crim., 22.05.12, n° 11-86952.

(5) Cass. soc., 13.06.19, nº 18-11.115.