Harcèlement : la valeur probante de l'enquête interne relève de l’appréciation souveraine des juges du fond !

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L’enquête interne menée suite à un signalement de harcèlement fait partie des mesures dont l’employeur peut se saisir pour répondre à son obligation de santé et de sécurité s’il est nécessaire de lancer des investigations complémentaires. L’enquête devra permettre d’avoir la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits. Mais quelle est sa valeur probante en cas de contentieux ? Cela relève de l’appréciation souveraine des juges du fond ! Cass.soc.18.06.2025, n°23-19.022

Les faits et la procédure

En 2018, un salarié directeur associé d’une entreprise fait l’objet d’une enquête interne à la suite de plaintes de salariées à son encontre portant sur des comportements déplacés de nature sexiste ou à connotation sexuelle.

Cette enquête est menée conjointement par la direction des ressources humaines et le CHSCT. A son terme, elle confirme la véracité des agissements dénoncés.

S’ensuit la mise à pied à titre conservatoire du salarié, puis son licenciement pour faute, avec dispense de l'exécution de son préavis.

La lettre de licenciement reproche au salarié les faits suivants : propos et agissements sexistes à l'égard de collaboratrices de l'agence ou d'autres femmes dans le milieu professionnel, propos et agissements à connotation sexuelle à l'égard de collaboratrices, attitudes indignes d'un manager du fait d'une familiarité excessive.

Le salarié saisit le CPH de Paris pour contester son licenciement, qui, par jugement du 12 novembre 2019, dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et le déboute de ses demandes de dédommagement.

Le salarié fait appel de la décision de 1ère instance. Et la cour d’appel de Paris infirme le jugement. En effet, elle estime que les faits imputés au salarié ne sont pas établis avec certitude et qu'il existe à tout le moins un doute qui doit lui profiter : le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur se pourvoit en cassation.

Bon à savoir ! 

Les VSST, de quoi parle-t-on ?

Cette notion recouvre en réalité plusieurs types de comportements violents réprimés par le Code du travail et/ou par le Code pénal. Ces comportements peuvent aller des injures sexistes au viol et peuvent se cumuler.

À noter que les violences sexistes font en général référence à une atteinte à la dignité en raison de l’identité de sexe alors que les violences sexuelles touchent directement à la sexualité.

Revenons d'abord sur la notion de violences sexiste.

Les violences sexistes :

En droit du travail, elles visent les agissements sexistes qui sont « définis comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (Art. L.1142-2-1 C.trav.).

À titre d’exemple, peut être considéré comme tel le fait de dire à une femme « ma petite cocotte », dire qu’une femme n’est « pas très féminine » ou encore dévaloriser les tâches confiées aux femmes.

Il est important de noter qu’il n’est pas exigé une répétition des faits pour que l’agissement sexiste soit retenu par le juge.

En droit pénal, il est question d’outrage sexiste qui est « le fait, …, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (Art. 621-1 C.pén.).

Ces faits sont répréhensibles qu’ils se déroulent dans ou hors les murs de l’entreprise.

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L’obligation de santé et de sécurité à l’égard des travailleurs

Rappelons que l’employeur est tenu à une obligation de santé et de sécurité à l’égard des salariés, qui recouvre l’obligation de prévention des risques professionnels (Art.L.4121-1 et L.4121-2 C.trav.). Une attention particulière est portée à la prévention du harcèlement moral et sexuel par des textes qui leur sont propres (Art. L.1152-4, L.1152-5, L.1153-5 & L.1153-6 C.trav.). C'est à l'ensemble de ces articles que se réfère la Cour de cassation dans ce dossier. 

On attend de l’employeur qu’il prenne des mesures, qu’il agisse, afin de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. La prévention est primordiale pour limiter et éviter les risques et elle doit être favorisée. En cas de situation problématique déclarée, l’employeur doit réagir immédiatement pour y remédier et la faire cesser.

Dans notre affaire, la cour d’appel a constaté que l’employeur, qui a eu connaissance d’agissements inappropriés, a réagi en lançant une enquête paritaire entre l’employeur et le CHSCT. Les conclusions de l’enquête mèneront à la mise à pied conservatoire puis au licenciement du salarié visé.

Une jurisprudence récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation précise qu’en cas de signalement d’agissements de harcèlement moral, mener une enquête interne n’est pas une obligation si l’employeur a pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée (Cass. soc., 12 juin 2024, nº 23-13.975 FS-B).

Bon à savoir !

Les violences sexuelles :

Les violences sexuelles visent quant à elles tous les actes sexuels commis sans le consentement clair et préalable de la personne qui en est victime. C’est-à-dire lorsqu’ils sont commis par violence, contrainte, menace et même par surprise. Les violences sexuelles recouvrent également les comportements qui se rapportent au sexe. 

Le harcèlement sexuel :

La violence sexuelle la plus connue est le harcèlement sexuel visé à l’article L.1153-1 du Code du travail.

Les violences sexuelles peuvent être qualifiées de harcèlement sexuel (Art. L.1153-1 C.trav.) :

  • lorsqu’un salarié subit « des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

  • « Lorsqu'un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée »;

  • « Lorsqu'un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». 

Le harcèlement sexuel est aussi une infraction sanctionnée pénalement.  

Le viol :

Le viol est défini comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Il est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Dans les relations de travail, les viols sont parfois commis par l’usage de la violence et/ou de la force physique, mais peuvent aussi survenir au terme d’une longue entreprise d’affaiblissement de la victime, d’exercice d’une emprise, de phases alternant survalorisation et profondes humiliations.

L’agression sexuelle :

L’agression sexuelle est quant à elle définie comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur » (Art.222-22 C.pen.). 

À titre d’exemple : sont considérées comme des agressions sexuelles pénalement répréhensibles les attouchements imposés sur le sexe ou sur des parties du corps considérées comme intimes et sexuelles, l’utilisation de la surprise les mains sur les fesses en arrivant par derrière, les baisers sur la bouche au moment de faire la bise.

L’exhibition sexuelle :

L’exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est elle aussi réprimée pénalement (Art. 222-32 C.pen.). À noter que même en l'absence d'exposition d'une partie dénudée du corps, l'exhibition sexuelle est constituée si elle est imposée à la vue d'autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d'un acte sexuel, réel ou simulé.

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L’appréciation souveraine de la valeur probante de l’enquête interne par les juges du fond

L’employeur a mené une enquête interne, présentée comme preuve devant les juges du fond. Mais quelle est sa valeur probante ?

Voici le raisonnement de la Cour de cassation : « En cas de licenciement d'un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral ou d'agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d'apprécier la valeur probante d'une enquête interne produite par l'employeur, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties. … Il ressort que la cour d’appel a apprécié la valeur probante du rapport d'enquête interne au regard des autres éléments de preuve produits, de part et d'autre, par les parties, la cour d'appel a estimé que les griefs invoqués par l'employeur à l'appui du licenciement n'étaient pas établis par des éléments suffisamment probants et que le doute devait dès lors profiter à l'intéressé. »

Rappelons que la preuve est libre en matière civile (Art. 1358 C.civ.). Et cette liberté porte sur 2 volets : les modes de preuve et l’appréciation des preuves. Les parties sont libres d’amener les éléments de preuve à leur disposition et les juges décident s’ils sont recevables ou illicites. Ensuite, la liberté de la preuve implique l’appréciation souveraine des éléments de preuve par les juges du fond : ils analysent, comparent, l’ensemble des pièces qui sont à leur disposition.

Un arrêt du 29/06/2022 précise que l’enquête est à prendre en compte même si elle est incomplète (Cass.soc.29.06.2022, n°21-11.437).

Dans notre affaire, la cour d’appel a apprécié les preuves du dossier et en a déduit que l’enquête n’amenait pas d’éléments probants, contrairement à la position de l'employeur. L’enquête n’est pas écartée : elle a été analysée et comparée avec les autres éléments de preuve. 

La cour d’appel relève notamment que :

-            Certains comptes-rendus d’entretien étaient tronqués : cela ne permettait pas d’établir que certains témoins avaient assisté aux faits.

-            De nombreux comptes-rendus étaient absents, alors que les personnes avaient été entendues dans le cadre de l’enquête.

-            Certains faits n’étaient pas confirmés par des témoignages ou par d’autres éléments de preuve.

La cour d’appel estime que l’enquête ne démontre pas que le harcèlement est avéré. Le doute profite donc au salarié accusé.

Afin d’accompagner les entreprises dans la réalisation d’une enquête interne, la Défenseure Des Droits a publié un une décision-cadre sur le recueil du signalement et l’enquête interne en cas de discrimination et de harcèlement sexuel. Elle recommande aux employeurs publics et privés une méthodologie pour mener des enquêtes internes respectueuses des principes de confidentialité, d’impartialité, d’objectivité et de rigueur.

L'arrêt de la Cour de cassation : Cass.soc.18.06.2025, n°23-19.022

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