Congés payés : malade pendant vos vacances, avez-vous droit à un report de vos congés ?

  • Droit international et européen

Non, la saga des congés payés n’est pas terminée ! Une nouvelle fois, la France se voit retoquée par le droit de l’Union européenne concernant les conséquences de la maladie sur les congés payés. Mais que lui reproche-t-on alors qu’une loi récente est censée avoir aligné notre législation avec le droit européen sur ces questions spécifiques ?

La Commission européenne reproche à la France de ne pas garantir aux travailleurs qui tombent malade pendant leur congé annuel de pouvoir prendre ultérieurement les jours de congé qui ont coïncidé avec leur maladie. Ce principe est pourtant prévu par le droit de l’UE. Le 18 juin dernier, la Commission a donc décidé d’enclencher une procédure d’infraction à l’encontre de la France qui dispose désormais de 2 mois pour répondre à cette mise en demeure. L’occasion de rappeler les règles en vigueur sur ce sujet.

Que prévoit notre droit lorsqu’un salarié tombe malade durant ses congés ? Peut-il reporter les jours de congés pendant lesquels il a été malade ?

Aucune disposition du Code du travail n’envisageant cette situation de manière véritablement explicite, ce sont les tribunaux qui, il y a quelques années, se sont attachés à répondre à cette question. La réponse n’est pas vraiment favorable aux salariés…

Des congés perdus… En 1996 [1], la Cour de cassation a jugé que la maladie n’interrompait pas les congés payés. Appliquant ainsi ce qu’on appelle la « règle de la cause de suspension initiale » : le contrat de travail étant déjà suspendu au titre des congés payés, il ne peut l’être à nouveau au titre de l’arrêt maladie…

Concrètement, cela signifie que lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés, ces derniers continuent d’être décomptés normalement et l’employeur continue de lui verser son indemnité de congés payés. En d’autres termes, sauf dispositions conventionnelles plus favorables [2], le salarié ne peut pas exiger le report des jours de congés payés qui ont coïncidé avec sa maladie…[3] Ces jours de congés payés sont donc, en quelque sorte, perdus puisque le salarié n’aura pas été en mesure d’en profiter pleinement. Quant à l’employeur, il est considéré comme s’étant régulièrement acquitté de ses obligations en la matière…

Une possible indemnisation. A défaut de pouvoir reporter ses jours de CP, le salarié peut en revanche bénéficier, en plus de son indemnité de congés payés, des indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS) [4].

Mais aussi favorable puisse-t-elle paraître, cette indemnisation reste une maigre compensation : elle est purement financière et se limite aux IJSS : l’employeur n’a pas à verser d’indemnités complémentaires éventuellement dues en vertu d’un accord collectif [5].

La jurisprudence a en réalité toujours distingué 2 situations :

- celle du salarié qui tombe malade pendant ses congés et qui « perd » ses congés,

- celle du salarié qui tombe malade avant ses congés payés, qui peut reporter ces jours de congés après la date de reprise du travail [6] et ce, y compris s’il reprend après la fin de la période de prise habituelle des congés [7]. Et ce, sous l’influence du droit de l’UE [8]. La loi DDADUE du 22 avril 2024, est ensuite venue formellement consacrer ce droit au report et y a fixé une limite (15 mois ou plus si un accord collectif le prévoit) [9].

Or, cette position, relativement ancienne, de la Cour de cassation est en total décalage avec le droit de l’UE.

Que prévoit le droit de l’Union européenne ?

L’inverse ! Pour la jurisprudence européenne, le salarié qui tombe malade alors qu’il est en congés payés doit pouvoir reporter les jours de congés dont il n’a pu bénéficier du fait de sa maladie [10] et ce, conformément à la directive « temps de travail » de 2003 [11] selon laquelle « tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines » (art. 7-1).

Le raisonnement de la Cour de justice (CJUE) est  très simple : la finalité des congés payés (permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs), diffère de celle du congé de maladie (consacré au rétablissement du salarié). Il n’est donc pas possible de cumuler ces 2 absences.

La procédure d’infraction de la Commission européenne

Considérant que la France (tant notre droit que notre jurisprudence) ne garantit pas ce droit au report, et entrave ainsi les objectifs de santé et de sécurité au travail, la Commission européenne a entamé une procédure d’infraction à l’encontre de la France.

Qu’est-ce qu’une procédure d’infraction ?

Cette procédure, prévue par l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, vise à faire appliquer la législation européenne dans l’intérêt des citoyens et des entreprises. Elle peut donc être prise à l’encontre d’un Etat membre chaque fois qu’il ne se conforme pas aux obligations découlant de la législation européenne. Cette procédure, qui débute par une mise en demeure de l’Etat concerné, peut aller jusqu’à la saisine de la CJUE et conduire à une condamnation de l’Etat assortie d’astreintes et d’amendes forfaitaires.

Le 18 juin 2025, la Commission a donc envoyé une demande d’information (une lettre de mise en demeure) à la France, qui doit répondre dans un délai de 2 mois. Si la Commission n’est pas satisfaite des informations reçues et conclut que la France manque à ses obligations, elle pourra lui demander formellement (via un avis motivé) de s’y conformer. La France aura alors en principe 2 mois pour informer la Commission des mesures de mise en conformité qu’elle aurait prises. Si la France ne se met pas en conformité, la Commission pourra alors saisir la CJUE (peuvent s’ensuivre des sanctions financières).

Quelle réponse possible du Gouvernement ?

Reste à savoir comment le Gouvernement répondra à cette mise en demeure et quelles explications il apportera pour contester le manquement soulevé par la Commission.

Pour le déterminer, il est important de garder en tête que, sous l’influence du droit de l’UE et, plus récemment, depuis les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, notre droit a connu quelques avancées :  

-          En 2022, la cour d’appel de Versailles a jugé en faveur du droit de l’UE, reconnaissant le droit du salarié malade pendant ses congés, à reporter ces jours [12]. Il est d’ailleurs fort probable que la Cour de cassation, qui n’a pas eu à se prononcer sur cette question depuis 1996, tranche également en ce sens.

-          Le ministère du travail, se fondant sur la jurisprudence européenne, a pris la peine de préciser sur ses sites, qu’ un salarié malade pendant ses congés « peut demander le report des jours de congés annuels qui coïncident avec le congé de maladie de longue ou de courte durée ». Il a ajouté qu’afin « d’éviter tout contentieux inutile », les employeurs seraient bien avisés de suivre la jurisprudence européenne et celle de la cour d’appel de Versailles.

-          Enfin, la loi DDADUE du 22 avril 2024 a consacré le report des congés non pris au cours de la période normale de prise, en raison d’un arrêt maladie ou d’un AT/MP.

Ces avancées suffiront-elles à convaincre la Commission que notre droit garantit le droit au report des CP des salariés malades pendant leurs vacances ? Ou bien la Commission exigera-t-elle une nouvelle modification législative pour que la France se mette pleinement en conformité avec le droit de l’UE ?

Pour la CFDT, une transposition législative inévitable

Pour certains, aucune modification n’est nécessaire car ce droit au report existe déjà. Il aurait été consacré par la loi DDADUE de 2024, à l’article L.3141-19-1 du Code du travail qui prévoit que « lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report ». Selon eux, cette « impossibilité de prendre des congés » vise non seulement le cas du salarié qui tombe malade avant de prendre ses congés que celui qui tombe malade durant ses congés.

Cette interprétation est, selon nous, contestable et "l’impossibilité de prendre des congés » ne semble au contraire, viser que le cas du salarié qui n’a pas pu du tout prendre ses congés. Pour preuve, sur ses sites officiels, le ministère du travail, lorsqu’il préconise le report des CP d’un salarié malade pendant ses vacances, ne renvoie jamais au Code du travail, mais à la jurisprudence de la Cour de justice de l’union européenne, voire à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles [13].

Pour la CFDT, une nouvelle transposition législative apparaît non seulement souhaitable, pour lever une bonne fois pour toutes, les incertitudes entourant cette situation, mais surtout, indispensable. Plus encore dans un contexte politique actuel et à venir incertain.


 

[1] Cass.soc.4.12.96, n°93-44907.

[2] Cass.soc.13.03.91, n°87-41918.

[3] Conséquences : si le salarié est guéri avant la fin de ses congés, ceux-ci ne seront pas prolongés pour autant et le salarié devra reprendre le travail à la date prévue initialement. Et s’il le salarié est toujours en arrêt maladie à la fin de ses congés, il ne reprendra son poste qu’à la fin de son arrêt.

[4] Cass.soc.2.03.89, n°86-42426. Le salarié doit disposer d’un arrêt de travail du médecin. Il n’y a alors pas de subrogation et le salarié perçoit directement les indemnités journalières de la caisse d’assurance maladie.

[5] Cass.soc.2.03.89, n°86-42426.

[6] Cass.soc.24.02.09, n°Bull. civ.V, n°49.

[7] Cass. soc., 27 sept. 2007, n° 05-42.293.

[8] CJCE, 20 janv. 2009, aff. C-350/06,  Schultz-Hoff et a. ; CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-277/08,  Vicente Pereda

[9] Art. L.3141-191 C.trav.

[10] CJCE, 10.09.09, aff. C-277/08, Vicente Pereda c/Madrid Movilidad SA (pt.19 et 21) ; CJUE, 5è ch., 21.06.12, aff. C-78-11, ANGED c/FASGA ; CJUE, 19 nov. 2019, aff. C-609/17,  Terveys- ja sosiaalialan neuvottelujärjestö (TSN) ry et a. c/ Hyvinvointialan liitto ry et a.

[11] Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (art. 7-1).

[12] CA Versailles 18 mai 2022, RG n° 19/03230.

[13] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2262

https://code.travail.gouv.fr/contribution/si-le-salarie-est-malade-pendant-ses-conges-quelles-en-sont-les-consequences

https://travail-emploi.gouv.fr/les-conges-payes#anchor-navigation-552

 

 

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