Congés payés et droit de l’Union européenne : poursuite (et fin ?) de la mise en conformité !

  • Normes applicables
  • Actualités juridiques

Bien que largement attendus mais non moins importants, deux arrêts rendus le 10 septembre 2025 par la Cour de cassation, viennent bouleverser le régime des congés payés. Désormais, le salarié malade pendant ses vacances pourra reporter ses jours de congés, et les périodes de congés seront prises en compte pour le calcul des heures supplémentaires.

Ces décisions marquent une nouvelle étape dans l’alignement du droit français avec les exigences du droit de l’Union européenne, et ce, au nom d’un principe fondamental : garantir un repos effectif à tous les travailleurs. Voici une synthèse de ces évolutions aux effets pratiques majeurs ! Cass.soc.10.09.25, n°23-22732 et 23-14455.

Droit au report en cas de maladie durant les congés payés (pourvoi n°23-22732)

Ce que prévoyait le droit français 

Jusqu’alors, selon une jurisprudence de 1996, le salarié tombant malade durant ses congés, ne pouvait pas reporter ses jours de repos, sauf si accord collectif ou un usage plus favorable ne le prévoyait. Ainsi, la maladie, survenant pendant des congés déjà posés, n’interrompait pas le décompte des congés payés. Tout au plus, le salarié pouvait-il bénéficier, en plus de son indemnité de CP, des indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS), mais pas du maintien de salaire de l’employeur.

Une position contraire au droit de l’Union européenne (UE) 

Le droit de l’UE considère, à l’inverse, que le salarié malade alors qu’il est en congés payés doit pouvoir les reporter [1] : la finalité des congés payés – qui vise à permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs-, différant de celle de l'arrêt en raison de la maladie – qui est lui consacré au rétablissement du salarié [2]. En bref, il n’est pas possible de cumuler ces deux absences.

Plusieurs signaux avaient déjà alerté sur cette divergence :

  • En 2022, une cour d’appel de Versailles a ce droit au report ;

  • En juin 2025, la Commission européenne a enclenché une procédure d’infraction à l’encontre la France sur ce point spécifique ; 

  • Depuis quelques mois, le ministère du travail recommandait aux employeurs de s’aligner sur le droit de l’UE. 

Le revirement de la Cour de cassation 

Une évolution s’imposait ! C’est ainsi que le 10 septembre dernier, la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois, que le salarié malade pendant ses congés payés a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congés qui ont coïncidé avec sa période d’arrêt. A une condition toutefois : il doit avoir notifié son arrêt de travail à l’employeur !

Quelle est la portée de cet arrêt ?

Cette décision n’est pas surprenante, elle était même attendue : depuis 1996, la Cour de cassation n’avait pas eu l’occasion de se prononcer à nouveau sur cette question.

Cette décision est rétroactive ! Dans l’absolu, les salariés peuvent donc en demander l’application également pour les périodes passées, ce qui a d’ailleurs déjà occasionné de nombreuses craintes chez les employeurs.

Et pourtant, la portée de cette décision est plus limitée qu’il n’y paraît. D’abord parce que le droit au report était déjà prévu dans certaines branches d’activité ou entreprises. Mais aussi parce que :

  • La décision semble limitée aux 5 semaines de congés légaux (excluant ainsi les congés conventionnels).

     

  • S’agissant des périodes passées, elle suppose que les salariés aient sollicité la délivrance d’un arrêt de travail. D’autant plus que les salariés ayant quitté l’entreprise et dont les congés ont déjà été indemnisés, ne pourront prétendre qu’au complément employeur.

     

  • Le passage du statut de « congés payés » à celui « d’arrêt maladie » n’est pas toujours financièrement avantageux pour les salariés (en raison du délai de carence ou de l’absence de subrogation), ce qui peut malheureusement les dissuader de réclamer leur droit au report…

En pratique ? 

Si vous tombez malade durant vos congés, vous pourrez reporter les jours correspondant à votre arrêt, à condition de transmettre un arrêt de travail à votre employeur. Celui-ci devra alors recréditer les jours de congés sur votre compteur et vous verser, en lieu et place de l’indemnité de congé, le complément de salaire éventuel lié à l’arrêt en plus des IJSS.

En revanche, la Cour de cassation ne précise pas les modalités concrètes du report. Plusieurs points restant à clarifier :

Transmission de l’arrêt de travail : le Code du travail ne fixant pas de délai pour informer ou justifier de l’absence auprès de son employeur, il est conseillé de respecter les modalités fixées par votre accord collectif ou règlement intérieur. Sachant qu’à défaut de précision, l’usage est de considérer que l’employeur doit être averti dans le même délai que la Sécurité sociale, soit 48 heures [3].

Arrêt de travail : faut-il que le salarié ait effectivement perçu des IJSS ou simplement avoir été mis en arrêt de travail ? Selon nous, le droit au report s’impose y compris si le salarié ne perçoit pas d’IJSS. D’autres questions restent ouvertes : arrêt établi à l’étranger, contre-visite possible par l’employeur, etc.

Modalités de report : selon le ministère du travail, les règles de report introduites par la loi DDADUE du 22 avril 2024 s’appliquent : report de 15 mois et information du salarié [4] .

Selon nous, les modalités de report de ces congés vont dépendre de la période au cours de laquelle le salarié revient de maladie : s’il se trouve toujours dans la période de prise des congés, l’employeur pourra fixer une nouvelle date de congés avant la fin de cette période. Si, en revanche, le salarié n’a pu, du fait de sa maladie prendre ses congés avant la fin de la période de prise, il bénéficiera du report de 15 mois pour prendre ces congés.

Important ! Le salarié ne peut pas librement choisir la date à laquelle il prendra ses congés, cette décision relève du pouvoir de direction de l’employeur. Il est donc préférable d’en discuter avec lui, sachant qu’il ne peut pas non plus contraindre un salarié à solder l’intégralité de ses congés du jour au lendemain, sans respecter un délai de prévenance suffisant, en principe d’1 mois [5].

Prise en compte des jours de congé dans le décompte des heures supplémentaires (pourvoi n°23-14455)

Ce que prévoyait notre droit 

Jusqu’ici, les congés payés n’étaient pas considérés comme du temps de travail effectif pour le calcul des heures supplémentaires [6]. Ainsi, la Cour de cassation excluait, de manière constante, du calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, les jours de CP pris par un salarié [7].

Exemple : 

Sur une semaine donnée, un salarié est en congé payé le lundi et est amené à travailler 1 heure de plus que d’habitude chacun des 4 jours suivants (soit 7 heures + 1 heure).

On considérait jusqu'ici que le salarié n’avait pas effectué d’heures supplémentaires cette semaine-là : les jours de congés payés n’étant pas assimilés à du temps de travail effectif, la journée de congé du lundi n’était pas comptabilisée dans son temps de travail. Le salarié n’avait donc réellement accompli que 4 x 8 heures de travail effectif, soit 32 heures (en deçà de 35 heures donc).

Une position contraire au droit de l'UE

Pour le droit de l’UE, au contraire, il n’est pas possible d’exclure les périodes de congé annuel du calcul des heures travaillées pour déterminer si le seuil de déclenchement des heures supplémentaires a été atteint [8]. Son raisonnement est simple :  le droit au congé annuel payé est un principe essentiel du droit de l’Union [9] et « toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel par un travailleur est incompatible avec la finalité du droit au congé annuel payé (garantir un repos effectif, protection santé et sécurité) ».

Or, c’est précisément le cas lorsque la prise de CP crée un désavantage financier : il a été démontré que la rémunération des heures supplémentaires est économiquement plus favorable que celle applicable aux CP.

Le revirement de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 10 septembre dernier, la Cour de cassation aligne notre droit sur celui de l’UE : désormais, le salarié soumis à un décompte hebdomadaire de sa durée du travail, peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires sur la semaine au cours de laquelle il a posé un jour de congés payés et n’a pas réalisé 35 heures de travail « effectif ». Autrement dit, un salarié en congé un jour dans la semaine pourra désormais bénéficier d’heures supplémentaires (et des majorations afférentes) s’il a effectué plus de 35 heures en tenant compte du jour de congé.

Reprenons notre exemple :

 Le salarié qui a posé un jour de CP le lundi et effectue 1 heure de travail de plus chacun des 4 suivants, sera désormais considéré avoir accompli 39 heures de travail sur cette semaine et se verra payé 4 heures supplémentaires à ce titre.

Quelle est la portée de cette décision ? 

Cette décision est particulièrement favorable aux salariés, qui pourront désormais se voir plus facilement reconnaître et rémunérer des heures supplémentaires, y compris au cours des semaines où ils auront pris des CP. Ce qui apparaît à la fois logique et plus équitable. Cette décision est, par ailleurs, rétroactive, ce qui signifie que les salariés peuvent formuler des demandes de régularisation pour les périodes passées.

Attention toutefois ! Cette décision ne concerne que les salariés soumis à un décompte hebdomadaire de leur temps de travail. Il n’est pas certain que la même solution s’applique dans d’autres situations (ex : aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines, décompte mensuel ou annuel du temps de travail).

La solution dégagée par la Cour de cassation aura des conséquences indéniables dans les entreprises, en particulier celles dont les salariés sont soumis à un décompte hebdomadaire et effectuent régulièrement des heures supplémentaires. Si certains avaient déjà adapté leurs pratiques en prévision d’un tel revirement jurisprudentiel, d’autres vont devoir s’adapter. Le risque étant que certains d’entre eux cherchent à réorganiser le temps de travail de leurs salariés pour éviter ce surcoût…


 

[1] Directive n°2003/88/CE : « Tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines » (art. 7-1) ; CJUE, 21.06.12, C-78/11, ANGED.

[2] CJUE, 20.01.09, C-350/06 et C-520/06, Schultz-Hoff (pt 25) et CJUE, 10.09.09, C-277/08, Perada.

[3] Art. L.161-35 CSS ; art. L.1226-1 C.trav. 

[4] Art. L.3141-19-1 et suivants C.trav.

[5] Art. D.3141-6 C.trav. ; Sur la modification des dates de départ en congés : art. L.3141-5 et L.3141-16 C.trav.

[6] Art. L.3121-8 C.trav.

[7] Cass.soc.1er.12.04, n°02-21304 ; Cass.soc.25.01.17, n°15-20692.

[8] CJUE, 13.01.22, DS c/Koch Personaldienstleistungen, C-514-20 : en application des art. 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et art.7§1 de la directive 2003.

[9] CJUE, 6.11.18, Stadt Wuppertal c/Bauer et Willmeroth c/Brobonn, C-570/16 (pt 60).

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Congés payés : malade pendant vos vacances, avez-vous droit à un report de vos congés ?

    Lire l'article