APC : le juge contrôle la justification du licenciement !

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C’était une solution attendue de longue date, au moins depuis un arrêt de 2020 portant sur un licenciement consécutif au refus de l’application d’un accord de mobilité interne, ancêtre desdits « accords de performance collective » (APC). 

La Cour de cassation a récemment décidé qu’en application des dispositions relatives aux accords de performance collective et de la Convention OIT n°158, le juge prud’homal doit contrôler la justification d’un licenciement fondé sur le refus de l’application de l’accord par une salariée. Cass.soc.10.09.25, n°23-23231.

Une salariée refuse la mobilité géographique proposée en application d’un APC…

Un accord de GEPP est conclu au sein de l’entreprise. Celui-ci inclut un chapitre organisant les conditions de mobilité géographique et professionnelle internes et visant l’article L2254-2 du Code du travail.

Une salariée, comptable de profession, se voit proposer une mobilité géographique en application de cet accord. Elle refuse la modification de son contrat de travail qui en aurait découlé et se voit licenciée pour cette raison.

Bon à savoir ! 

Les dispositions de l’article L2254-2, V, du Code du travail prévoient qu’en cas de refus par un salarié de l’application des clauses de l’APC, « L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. » 

La salariée conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale. En appel, les juges constatent que le licenciement se fonde bien sur le refus d’application de l’APC et que l’accord énonce un objectif stratégique de développement de l’activité en préambule (devenir le leader français de la terre cuite et développer l’emploi). En conséquence, les juges décident qu’il n’appartient pas au juge prud’homal d’apprécier le bien-fondé des objectifs exposés dans l’accord collectif dès lors que ceux-ci répondent aux exigences légales. Ils déboutent donc la salariée et jugent le licenciement justifié.

Sur ce, la salariée se pourvoit en cassation.

Quel contrôle du juge de la justification du licenciement tiré du refus d’application de l’APC ?

La question qui se posait à la Haute juridiction portait sur l’étendue du contrôle du juge en cas de licenciement consécutif au refus de l’application d’un APC.

Saisi d’un licenciement fondé sur un « motif spécifique », le juge peut-il se contenter de vérifier que l’APC prévoit un objectif lié aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ou à la préservation ou au développement de l’emploi ? Ou bien doit-il aller jusqu’à contrôler que l’accord est véritablement justifié par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ?

Prenant le contrepied de la cour d’appel, et se fondant sur les dispositions de la Convention OIT n°158 sur le licenciement, la Cour de cassation décide qu’il appartient aux juges « de rechercher si l’accord était justifié par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ».

Bon à savoir ! 

Aux termes de l’article 4 de la convention OIT 158, « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. »

Par ailleurs, l’article 9 §1 prévoit que les tribunaux, ou les commissions d’arbitrage, « devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié. », tandis que le §3 du même article prévoit qu’en cas de licenciement lié aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ils « devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs (…)

Selon la Cour de cassation, les dispositions de la Convention OIT sont d’application directe au litige.

 Un motif autonome et un contrôle sous deux angles

Pour la Cour de cassation, il résulte des textes applicables (1) que le juge doit opérer un contrôle sur deux points :

  • Tout d’abord, par une sorte de contrôle de légalité, il doit vérifier que l’accord collectif est bien conforme aux dispositions du Code du travail régissant les APC. Cela implique en particulier que le Préambule de l’accord mentionne les nécessités de fonctionnement ou les objectifs de préservation ou de développement de l’emploi justifiant de sa conclusion.

  • Ensuite, le juge doit contrôler la justification du licenciement au regard de l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Autrement dit, les juges ne sauraient s’arrêter au constat de la mention d’un objectif conforme aux dispositions de l’article L2254-2 du Code du travail, ils doivent en outre vérifier l’existence des nécessités invoquées.

Toutefois, la Cour de cassation délimite ce contrôle en affirmant le caractère « autonome » du motif spécifique de licenciement découlant du refus d’application d’un APC. La Haute juridiction précise en effet qu’il n’est pas nécessaire que la modification refusée par le salarié « soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur ». Ce qui implique que les objectifs peuvent être offensifs.

Le juge n’a donc pas à contrôler la justification économique du licenciement au sens du droit du licenciement pour motif économique, mais simplement la réalité des objectifs posés en préambule de l’APC, qu’il s’agisse de nécessités de fonctionnement ou d’objectifs de préservation ou de développement de l’emploi. A défaut de précisions dans le Préambule, ou dans un diagnostic commun élaboré avec les signataires, l’employeur pourrait donc être conduit à devoir en apporter la preuve !

Une décision attendue et bienvenue ! 

La décision du 10 septembre dernier transpose et confirme une solution rendue s’agissant d’accords de mobilité interne (2). Par ailleurs, elle donne corps à la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 relative à la loi de ratification des ordonnances (3) qui a précisé que la pertinence des motifs ayant justifié l’accord peut être contestée devant le juge. Même si la Cour de cassation ne semble pas exiger un contrôle de la pertinence, mais une simple vérification de l’existence des objectifs.

Cette décision est bienvenue et devrait encourager les négociateurs à être plus vigilants sur les motifs de recours à de tels accords, trop souvent préjudiciables aux droits des salariés.

Pour cette raison, la CFDT revendique l’élaboration d’un diagnostic partagé préalablement à la négociation de l’accord et que les APC à durée indéterminée soient interdits.

(1)    Article L2254-2, V du Code du travail, mais aussi les dispositions de la convention OIT 158 sur le licenciement.

(2)    Cass.soc.2.12.20, n°19-11986.

(3)    Décision n°2018-761 du 21.03.18.

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