APC : le motif spécifique de licenciement heureusement circonscrit !

  • Licenciement pour motif économique

Deux affaires récentes portent sur le licenciement pour un « motif spécifique » (c’est-à-dire en application d’un accord de performance collective) de salariés protégés. Dans une première affaire, les juges rappellent que l’application d’un accord de performance collective ne doit pas conduire à contourner les règles du licenciement pour motif économique (Cour administrative d’appel de Versailles, 20 mars 2025). Dans la seconde espèce, le Conseil d’Etat fait prévaloir l’application des règles du licenciement pour inaptitude (Conseil d’Etat, 4 avril 2025, 471490).

Deux questions autour du motif spécifique de licenciement

Les questions posées dans ces deux affaires ont en commun la délicate articulation de la faculté pour l’employeur de licencier pour un motif spécifique, découlant de la conclusion d’un accord de performance collective (APC), avec d’autres régimes de licenciement comme le licenciement pour motif économique et le licenciement pour inaptitude.

Bon à savoir ! 

Les accords de performance collective ont été instaurés afin de préserver, de développer l’emploi ou de répondre à des nécessités de fonctionnement de l’entreprise. A cette fin, l’accord collectif peut prévoir des clauses contraires aux contrats des salariés dans certains domaines (mobilité professionnelle et géographique, rémunération, aménagement du temps de travail). L’employeur doit alors recueillir le consentement des salariés à la modification de leur contrat en application de l’accord. Le salarié est donc en droit de refuser l’application de ces clauses contraires à son contrat de travail, et, s’il refuse, il n’est pas fautif. Toutefois, un régime spécifique de licenciement a été prévu pour donner plein effet à ces accords ; on parle de « licenciement pour un motif spécifique » en ce sens que ce motif « constitue » selon le Code une cause réelle et sérieuse. L’employeur dispose de 2 mois à compter de la notification du refus du salarié (article L.2254-2 du Code du travail).

Par ailleurs, dans les deux cas, il s’agissait de salariés protégés, ce qui a le mérite de nous renseigner sur les orientations jurisprudentielles adoptées par les juridictions administratives.

Au-delà de ces ressemblances, il s’agit de questions bien distinctes qu’il convient de présenter séparément.

Un projet recherchant les suppressions d’emplois ne peut donner lieu qu’à un licenciement pour motif économique

Compte tenu du refus opposé par la salariée, représentante du personnel, à la modification de son lieu de travail en application de l’APC, l’employeur a sollicité l’autorisation de la licencier pour un motif spécifique.

L’inspection du travail ayant autorisé son licenciement, la salariée a demandé l’annulation de cette décision devant le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande. Elle a interjeté appel.

En effet, si le Code du travail prévoit un régime de licenciement pour « un motif spécifique » en cas de refus d’application d’une clause d’un APC (article L.2254-2, V), les juges soulignent que les dispositions de l’article L.1233-3 du Code du travail prévoient l’application du droit du licenciement pour motif économique lorsque le refus de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail par le salarié résulte d’une cause économique.

Bon à savoir !

Aux termes de l’article L1233-3 du Code du travail, le droit du licenciement pour motif économique s’applique non seulement au licenciement mais aussi à la modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à : des difficultés économiques ; des mutations technologiques ; une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; la cessation d'activité de l'entreprise.

Selon les juges administratifs, saisie d’une demande d’autorisation de licenciement un salarié pour un motif spécifique, l’inspection du travail doit s’assurer que les conditions permettant la conclusion d’un APC sont réunies. En effet, « les champs d’application du licenciement pour un motif spécifique et du licenciement pour motif économique sont exclusifs l’un de l’autre ».  Or, il résulte de la jurisprudence du juge judiciaire (1) que :

Si un APC peut être conclu en raison de difficultés économiques, « il ne saurait être légalement fondé sur un accord ayant pour objet ou pour effet recherché de supprimer des effectifs, le licenciement relevant dans cette hypothèse du licenciement pour motif économique ».

En l’espèce, l’APC était inclus dans un projet « Janus ». Celui-ci avait été décidé lors d’une procédure de conciliation et envisageait de réduire les moyens en personnel de plusieurs millions, ce qui impliquait la mobilité géographique de 74 salariés à plus de 200 kms. L’intégralité des salariés d’un site avaient été licenciés après avoir refusé cette mobilité.

Pour les juges, cet accord avait en réalité pour effet recherché la suppression d’emplois et le licenciement relevait donc du droit du licenciement pour motif économique.

En conséquence, l’autorisation de licencier la salariée a été annulée.

Davantage de garanties  lors d'un licenciement pour motif économique

Le droit du licenciement offre des garanties que ne prévoit pas le licenciement pour motif spécifique : obligation de recherche d’un reclassement, ordre des licenciements, contrat de sécurisation professionnelle, priorité de réembauchage, plan de sauvegarde de l’emploi dans certains cas…

Et si le refus du salarié d’application des clauses de l’APC se fonde sur des raisons de santé ?

Un salarié investi de fonctions représentatives refuse la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’APC conclu dans l’entreprise.

L’employeur sollicite l’autorisation de le licencier et l’inspection du travail la lui donne. Néanmoins, le salarié fait valoir qu’il ne peut pas accepter la modification, pour des raisons de santé. Il saisit les juges administratifs, qui confirment l’autorisation. Le salarié se pourvoit en cassation. Nous voilà donc devant le Conseil d’Etat.

La Haute juridiction commence par rappeler les principaux textes applicables en matière de santé au travail : de l’obligation de prévention en matière de sécurité et de santé au travail, mise à la charge de l’employeur par l’article L4121-1 du Code du travail, aux textes encadrant le licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle (articles L1226-10 et suivants du Code du travail), en passant par l’obligation de prendre en compte l’avis et les indications ou les propositions du médecin du travail (article L4624-6 du Code du travail). Ainsi que les dispositions permettant à un employeur confronté au refus d’un salarié d’accepter une modification de contrat de travail découlant d’un APC de le licencier sur un motif spécifique (article L.2254-2, V du Code du travail).

Les juges déduisent un première conséquence de l'articulation de ces textes.

La conclusion d’un APC ne dispense pas l’employeur de son obligation « de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ce salarié (…) et, à cet égard, notamment, de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions le cas échéant émis par le médecin du travail relativement à ce salarié. »

Et une seconde en cas de demande d’autorisation de licencier le salarié à la suite de son refus de la modification de son contrat résultant de l’application de l’accord:

L’inspection du travail « ne peut légalement faire droit à une telle demande si à la date à laquelle il se prononce, le salarié a fait l'objet d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail, son licenciement, en un tel cas, ne pouvant en principe avoir d'autre fondement que l'inaptitude et étant, par suite, régi par les dispositions des articles L. 1226-10 du code du travail et suivants. »

Des garanties supplémentaires en cas de licenciement pour inaptitude

Le licenciement du salarié en raison d’une inaptitude d’origine professionnelle est entouré de davantage de garanties que celui reposant sur un « motif spécifique » en cas de refus d’application des clauses d’un APC. En particulier, l’employeur ne peut licencier qu’après avoir recherché le reclassement du salarié au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe (articles L1226-10 à L1226-12 du Code du travail).

Toutefois, au final, l’autorisation de licencier le salarié n’a pas été annulée par le Conseil d’Etat car, au moment où l’inspection du travail a été saisie, le salarié n’avait pas fait l’objet d’un avis d’inaptitude.

La Haute juridiction prend cependant le soin de relever la motivation de la cour d’appel selon laquelle « la circonstance alléguée par l’intéressé, relativement à son état de santé, ne faisait pas obstacle à ce qu’il accepte la modification de son contrat de travail, dès lors qu’une telle acceptation ne délivrait pas son employeur de l’obligation légale d’assurer sa sécurité et de protéger sa santé, le cas échéant, en prenant en compte les avis ou propositions émis par le médecin du travail. »

Autrement dit, le salarié aurait pu accepter la modification et faire ensuite porter la charge sur l’employeur d’adapter son poste…

Vers un motif spécifique résiduel ?

La faculté de licencier sur un motif « spécifique » et préconstitué et d’écarter ce faisant le droit commun du licenciement (incluant le licenciement pour motif économique et pour inaptitude) aux licenciements découlant du refus de l’application des clauses de l’accord collectif contraires aux contrats de travail a fait l’objet de nombreuses et virulentes critiques. Sa non-conformité à l’article 4 de la Convention OIT n°158 a parfois été mise en avant.

Bon à savoir !

L’article 4 de la Convention n°158 prévoit que : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ».

Les deux décisions présentées ici témoignent de la réticence des juges à donner un rôle amplifiant à ce motif de licenciement. Elles semblent traduire une volonté de renvoyer cette faculté au rang d’exception et, conséquemment, de l’encadrer afin qu’elle n’empiète pas sur le champ d’autres dispositions impératives du droit du travail.

Il en va de l’effectivité du droit du licenciement pour motif économique et des règles encadrant le licenciement pour inaptitude (et plus généralement les obligations de préservation de la santé et de la sécurité au travail) qui, autrement, seraient réduites à peau de chagrin !

 

 

(1)    Par exemple : Cour d’appel de Nancy 6 févr. 2023, n° RG 21/03031.

Les arrêts

  • Cour d'appel de Versailles

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  • Conseil d'Etat 4 avril 2025

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