Forfait jours : l’employeur doit toujours contrôler la charge de travail du salarié

Publié le 20/02/2019

Une convention de forfait en jours ne dispense pas l’employeur de son obligation de contrôler la charge de travail des salariés et de l'amplitude du temps de travail de ces derniers. C’est d’ailleurs à lui que revient la charge de prouver qu’il a bien respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité de ces salariés "bien particuliers". Cass.soc.19.12.18, n°17-18725.

  • Les faits, procédure

Dans cette affaire, un directeur commercial saisit le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement. Au-delà du bien-fondé de son éviction, ce que conteste le salarié c’est la validité de la convention de forfait jours à laquelle il était soumise.

Selon lui, l’accord d’entreprise qui définit les modalités de recours aux forfaits jours ne prévoit pas de garanties suffisantes pour assurer protection, sécurité et santé des travailleurs. Et quand bien même ces garanties étaient considérées comme suffisantes, l’employeur n’en a pas respecté les dispositions. Ce qui prive d’effet la convention de forfait et justifie un rappel d’heures supplémentaires, de congés payés afférents et d’indemnités au titre de contrepartie en repos.

Les juges du fond lui donnent raison. Ils estiment que dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, l’employeur n’a effectivement pas établi qu’il avait soumis le salarié, à un moment ou à un autre, à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail.

L’employeur conteste à son tour :

-        D’abord, parce que selon lui la cour d’appel a inversé la charge de la preuve :  c’est au salarié qui soutient que sa convention de forfait jours est sans effet, d’établir que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’accord collectif de nature à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé, et non pas l’inverse.

-        Ensuite, parce que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfaits jours sont appréciées tous les mois via la remise d’un bordereau de décomptes de journées travaillées par le salarié, et à la fin de chaque quadrimestre dans le cadre d’un entretien en cas d’absence de prise de jours de repos par le salarié.

L’employeur se pourvoit en cassation.

  • Les salariés en forfait jours et charge de travail

Pour être mises en place au sein d’une entreprise, les conventions annuelles de forfait en jours doivent être prévues par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut de branche( 1). Cet accord collectif doit comporter certaines mentions obligatoires (2).

Le dispositif des conventions de forfait en jours sur l’année, réservé à certaines catégories de salariés qualifiés d’« autonomes » dans leur emploi du temps, permet de décompter leur temps de travail non pas en heures mais en jours. Ces salariés se trouvent donc exclus des dispositions relatives à la durée légale du travail (35h) et aux durées maximales de travail (quotidienne ou hebdomadaire). N’étant finalement soumis qu’aux durées minimales de repos obligatoires hebdomadaires (35 heures) et quotidiennes (11 heures), les salariés en forfait jours peuvent être amenés à travailler jusqu’à 78h par semaine !

Après s’être fait retoquée à plusieurs reprises par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, la France a dû prendre des dispositions en vue de protéger la santé et la sécurité de ces salariés et d’éviter une durée de travail excessive : l’accord collectif qui prévoit le recours au forfait jours doit comporter des dispositions propres à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés et à garantir une durée maximale raisonnable de travail.

Depuis, la loi Travail a inscrit dans l’ordre public une véritable obligation pour l’employeur de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps (3). Obligation par ailleurs relayée par le contenu des accords collectifs qui doivent déterminer les modalités selon lesquelles :

-        l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié,
-        l’employeur et le salarié communique régulièrement sur cette charge, l’articulation vie professionnelle/vie personnelle, la rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise,
-        le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

A défaut de telles dispositions, un employeur peut tout de même conclure valablement des conventions de forfait en jours si (4):

-        il établit un document de contrôle indiquant le nombre et les jours ou demi-journées travaillées
-        il s’est assuré que la charge de travail est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire
-        il organise au moins un entretien annuel avec le salarié pour évoquer entre autre la charge de travail

Tout cela pour dire que la liberté dont disposent les salariés en forfait jours et la spécificité du décompte de leur temps de travail (en jours) n’exclut pas un contrôle de l’employeur. Bien au contraire, elle l’y oblige ! A défaut, la convention de forfait jours est inopposable au salarié qui pourra notamment demander le paiement d’heures supplémentaires.

C’est précisément ce qui ressort de notre affaire…

  • La nécessité d’un contrôle de la charge de travail et de l’amplitude du temps de travail

Le plus souvent, l’accord collectif qui met en place les conventions de forfait jours apporte des précisions quant aux méthodes à mettre en œuvre pour effectuer le contrôle de la charge de travail des salariés en forfait.

Dans notre affaire, l’accord d’entreprise prévoit effectivement sur ce point des dispositions spécifiques, notamment :
-        Les jours travaillés sont vérifiés par des bordereaux de décompte de jours mensuels établis par le salarié et transmis à sa direction
-        La prise de jours de RTT en vue de compenser un dépassement du plafond annuel de jours travaillés et à défaut de jours de repos au 5ème mois de l’année, la tenue d’un entretien.

Dans l’absolu, ces mesures, scrupuleusement respectées, pouvaient permettre un véritable suivi par l’employeur.

Pourtant, pour le salarié (et les juges du fond), cela n’a pas été le cas : l’employeur ne justifie pas avoir mis en place un contrôle via les décomptes mensuels qui lui ont été transmis, il ne démontre pas plus avoir organisé l’entretien. Et le seul fait que le salarié ait mensuellement pris des jours de RTT ou qu’il n’ait pas émis de réclamations sur la durée du travail ne suffit pas à considérer que l’employeur a satisfait à son obligation de contrôle.

 

  • Un contrôle que l’employeur se doit de prouver

Pour l’employeur, si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (art L.3171-4 du Code du travail), c’est bien au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande. En d’autres termes, il appartient au salarié de prouver que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’accord collectif de nature à assurer la protection de sa sécurité et de la santé.

Que nenni ! répond la Cour de cassation. L’employeur n’ayant pas établi que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, la convention de forfait est sans effet.

Autrement dit, la charge de la preuve est bien entre les mains de l’employeur.

C’est à lui de démontrer qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer protection de la santé et de la sécurité des salariés en forfait jours.

Cette décision est la bienvenue sachant que bien souvent les dispositions conventionnelles relatives à la charge de travail des salariés en forfait jours ne sont pas suivies. Pourtant ces mesures sont indispensables pour protéger la santé des travailleurs et l’employeur qui ne les respecte pas risque gros (rappels d’heures supplémentaires, de congés payés, indemnités pour les temps de repos quotidien et hebdomadaire non pris).

Si le dispositif du forfait jours apparaît bien souvent aux yeux des employeurs comme un dispositif très avantgeux, cette décision leur rappelle qu’ils ne doivent pas pour autant en oublier leurs obligations. Obligations par ailleurs d’ordre public !

 

 



(1) Art L. 3121-63 C.trav.
(2) Art L. 3121-64 C.trav.
(3) Art. L. 3121-60 C.trav.
(4) Art L. 3121-65 C.trav.