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Vie privée : Facebook, espace public ou privé ?

Publié le 17/01/2018

Dès lors qu’il n’y a pas été autorisé, un employeur ne peut pas accéder aux informations extraites du compte Facebook d’un salarié, quand bien même elles ont été obtenues grâce au téléphone portable professionnel de l’un de ses collègues. En considérant qu’il s’agit là d’une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié, la chambre sociale de la Cour de cassation se positionne pour la première fois sur le caractère privé ou public de l’espace Facebook. Cass.soc.20.12.17, n°16-19609.

  • Les faits

Face au manquement de sa direction à diverses de ses obligations (non-paiement d’heures supplémentaires, etc), la salariée d’un restaurant décide de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.
S’opposant aux conditions de la rupture, ce dernier va notamment produire, par PV d’huissier, des informations extraites du compte Facebook de la salariée obtenues au moyen du téléphone portable d’un de ses collègues autorisé, lui, à consulter le compte.

La cour d’appel condamne l’employeur pour atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée.
Pour l’employeur, cette décision ne se justifie pas. Il prétend au contraire qu’à défaut d’avoir été identifiées comme étant personnelles, les informations qu’il a pu recueillir au moyen du téléphone mis  à la disposition d’un salarié pour les besoins de son travail, sont présumées avoir un caractère professionnel. Elles constituent donc un mode de preuve licite. Il se pourvoit en cassation.

L’employeur pouvait-il accéder aux informations tirées du compte Facebook de l’un de ses salariés obtenues à partir du téléphone portable de l’un de ses collègues et les produire en justice ?

  • L’accès au compte Facebook d’un salarié sans y avoir été autorisé est une atteinte à sa vie privée

Pour l’entreprise, dès lors que les informations ont été obtenues au moyen d’un outil de travail mis à la disposition des salariés pour l’exercice de leur activité professionnelle, elles sont présumées avoir un caractère professionnel, à moins d’avoir été identifiées comme étant personnelles par le salarié ou de porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié.

Avec cet argument, l’employeur se réfère en réalité à la jurisprudence dégagée ces dernières années en matière de nouvelles technologies et qui tente à chaque fois de trouver le juste équilibre entre le pouvoir de l’employeur et le respect de la vie privée et des libertés des salariés. Ainsi, la jurisprudence a pu considérer que :
- l’employeur pouvait consulter les messages reçus ou émis à partir d’une messagerie professionnelle dès lors qu’ils n’avaient pas été identifiés comme personnels par le salarié(1) ;
- l’employeur ne peut pas consulter les mails issus  d’une messagerie personnelle, même installée sur l’ordinateur professionnel mis à disposition dans le cadre de son travail, sans porter une atteinte au secret des correspondances (2).

Pour autant, la cour d’appel n’aura pas la même analyse. Selon elle, il n’est pas nécessaire de vérifier si les informations extraites du compte Facebook ont été identifiées comme personnelles ou non, ni de faire apparaître en quoi le fait d’y accéder porte atteinte à la vie privée du salarié. Non, le seul fait pour l’employeur de n’avoir pas été « personnellement » autorisé à y accéder suffit à écarter ceséléments du débat. Peu importe par ailleurs que les informations aient été recueillies à partir d’un téléphone professionnel. Ce mode de preuve n'étant pas recevable, la cour condamne l’employeur à verser à la salariée des dommages-intérêts pour atteinte disproportionnée et déloyale à sa vie privée.

  • Facebook : un espace privé à géométrie variable

La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel : «  le PV d’huissier établi le 28 mars  à la demande de la société rapportait des informations extraites du compte Facebook de la salariée obtenues à partir du téléphone portable d’un autre salarié, informations réservées aux personnes autorisées. Aussi l’employeur ne pouvait donc pas y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié ».

Autrement dit, un employeur ne peut pas accéder aux informations extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été autorisé.

Jusque-là, seuls quelques juges du fond avaient du se prononcer sur la nature privée ou publique d’un réseau social, notamment au regard des propos tenus par les salariés à l’égard de leur employeur. Mais leurs positions étaient pour le moins divergentes.

Pour la cour d’appel de Reims, le mur Facebook est présumé public puisque « nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire » (3). Idem pour la cour d’appel de Besançon (4).

De leur côté, les cours d’appel de Rouen (5) et de Bordeaux (6) ont pu considérer que le « mur Facebook » était présumé privé. Pour la première cour, « il ne peut être affirmé de manière absolue que la jurisprudence actuelle nie à Facebook le caractère d’espace privé, alors que ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur ».

En 2013, la chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions dans lesquelles un mur Facebook, a priori public, pouvait être considéré comme un espace privé (7). Il ne doit être accessible qu’à des personnes agrées par le titulaire du compte, dont le nombre doit être très « restreint » (en l’espèce le salarié avait 50 « amis »). Autrement dit, le mur ne doit pas être ouvert à tous. Pour autant, la Cour ne donne pas de limite chiffrée…

En 2015, la cour d'appel de Paris (8) s'est également prononcée en faveur du caractère privé d'un "mur facebook" vis-à-vis de propos injurieux tenus par une salariée à l'égard de sa supérieure, mais qui n'étaient accessibles qu'aux 14 personnes autorisées.  

Par l’arrêt présenté ici, c’est donc bien la première fois que la chambre sociale de la Cour de cassation doit se prononcer sur le caractère privé ou public du compte Facebook d’un salarié.

Si la solution dégagée va plutôt dans le sens de la protection de la vie privée et de la liberté des salariés, il n’en demeure pas moins que l’utilisation des réseaux sociaux présente toujours un risque. Il faut bien distinguer les conversations privées qui se tiennent via la messagerie Facebook (et qui sont privées) de celles qui se tiennent sur le « mur » et qui sont potentiellement ouvertes à un public plus large. Des propos tenus sur un compte trop ouvert pourraient être considérés comme étant publics et entraîner une condamnation de l’utilisateur pour délit d’injures publiques. Tout dépendra finalement des paramètres de confidentialité mis en place par le propriétaire du compte.

Certes, la liberté d’expression est un droit fondamental, mais les salariés doivent faire preuve de réserve et de loyauté vis-à-vis de leur employeur et ne doivent pas dénigrer leur entreprise.  Il leur appartient donc plus que jamais de rester vigilants quant à la visibilité de leur compte sur les réseaux sociaux et de faire en sorte qu’il ne devienne pas public.

 



(1) Cass.soc. 26.06.12, n°11-15310.
(2) Cass.soc. 07.04.16, n°14-27949.
(3) CA Reims 09.06.10, n°009-03209.
(4) CA Besançon 15.11.11, n°10-02642 : " le réseau Facebook a pour objectif de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe, " les contacts de mes contacts deviennent mes contacts  " ".
(5) CA Rouen 15.11.11, n°11-0187.
(6) CA Bordeaux 01.04.14, n°13-01992.
(7) Cass.civ 1 ère 10.04.13, n°11-19530.
(8) CA Paris 03.12.15, n°13-01746.