Surveillance du personnel : un audit peut être licite

Publié le 17/02/2016

Dès lors que les salariés n'ont pas été tenus à l'écart de sa réalisation, un audit ayant pour finalité de surveiller l'activité d'une salariée peut être produit au debat judicaire par l'employeur et cela même en l'absence d'information préalable sur sa finalité.Cass.soc 26.01.2016 n°14-19.002.

Les techniques utilisées par les employeurs pour surveiller, contrôler et sanctionner leurs salariés passent aujourd’hui par des technologies modernes : utilisation de la vidéo surveillance, filtrage des courriers électroniques, géolocalisation, mise en place de dispositifs biométriques, surveillance des réseaux sociaux,  etc…

Si sur le plan de la technique tout semble désormais possible avec le développement des nouvelles technologies, reste que sur le plan du droit tout n’est pas permis.

Une illustration de ce qui est permis par la jurisprudence nous est livrée par la chambre sociale de la cour de Cassation.

Le Code civil comme le Code du travail érige des gardes fous afin de garantir une certaine protection des salariés. A cet effet, l’article 1222-4 du code du travail dispose « qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ». Le code civil quant à lui par le biais de l’article 9 dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

  • Faits, procédure et problématique

Un employeur a soupçonné une salariée d’outrepasser ses fonctions en signant et validant des opérations qui ne relevaient pas de sa compétence. Afin de vérifier la teneur de ses soupçons, l’employeur a décidé de faire appel à un cabinet d’expert-comptable pour procéder à un audit.

Le rapport du cabinet faisant apparaître que la salariée outrepassait largement ses fonctions, elle a été licenciée. La cour d'appel (1) a considéré que la preuve apportée par l’audit était licite.

La salariée a formé un pourvoi en cassation et a demandé à ce que soit jugé irrecevable cet audit, arguant le fait qu’elle n’avait pas été informée préalablement de la finalité d’un tel procédé.

La question tranchée par la chambre sociale de la Cour de cassation est la suivante : l’absence d'information sur la finalité d’un audit portant sur le travail d’une salariée est-elle de nature à priver la preuve de licéité ?

  • Pas d’information préalable sur la finalité de l'audit et alors ?

La chambre sociale de la Cour de cassation énonce que «  si la salariée n’avait pas été préalablement informée de la mission confiée par l’employeur à une société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, elle n’avait pas été tenue à l’écart des travaux réalisés dans les locaux, aux fins d’entretiens avec l’intéressé et de sondage sur des pièces comptables ou juridiques ».Il en résulte que « la cour d’appel a pu en déduire que la réalisation de cet audit ne constituait pas un élément de preuve obtenu par un moyen illicite ».

Via cet arrêt, la Cour de cassation semble emboiter le pas d’un changement de direction dans son positionnement.

En effet, si durant nombre d’années, elle a strictement appliqué la règle fixée à l’article L1222-4 du Code du travail estimant que l’employeur ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés, elle semble avoir aujourd’hui assoupli sa position.

Dans cet arrêt, la chambre sociale ne conditionne pas la validité de la preuve à l’information préalable du salarié sur l’objectif poursuivi. Mais elle insiste sur le fait que la salariée n’était pas tenue à l’écart de cet audit. Autrement dit,  elle semble faire prévaloir la non-clandestinité du moyen de preuve sur l’exigence d’information préalable quant à sa finalité.

La légalité des dispositifs de contrôle et de surveillance des salariés (audio/ vidéo/électronique/ géolocalisation) est soumis au respect de plusieurs procédure : Tout d’abord, l’employeur doit justifier d’un intérêt légitime pour son entreprise dans la mise en place de la surveillance. C’est-à-dire que la surveillance des salariés doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Par exemple, la Cour de cassation a considéré comme proportionné l’ouverture, à titre temporaire, des sacs devant les agents de sécurité, lorsque l’entreprise a été elle-même concernée par une alerte à la bombe durant une période d’attentat(3).
Ensuite, il appartient à l’employeur de consulter le comité d’entreprise ( à défaut le délégué du personnel) sur le projet de mise en œuvre d’un dispositif de contrôle des salariés.
Enfin, l’employeur est tenu d’informer les salariés avant la mise en œuvre de la surveillance et  des modalités de celle-ci. 
 
Il est à noter que le délégué du personnel dispose d’un droit d’alerte pour dénoncer tout atteinte aux droit et aux libertés individuelles du salarié.                 
Il est à relever également que tous les traitements automatisés de gestion du personnel doivent être préalablement à leur introduction dans l’entreprise, déclarés à la Commission nationale informatique et des libertés. A défaut  les salariés peuvent légalement contester le contrôle effectué par l’employeur, c’est le cas par exemple de la vidéo surveillance.
D’ailleurs dans un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 9 février 2016, l’intérêt à agir d’un syndicat en défense de l’intérêt collectif de la profession, contre une société qui a omis de déclarer à la Cnil un système de vidéo surveillance ayant filmé des salariés sans leur consentement lors de distributions de tract a été reconnu.  

Le raisonnement de la chambre sociale de la Cour de cassation est semblable à celui tenu dans une autre décision rendue le 4 novembre 2014(4), concernant un service de contrôle interne à une entreprise. Dans cet arrêt la Cour a retenu que « le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l’absence d’information préalable du salarié, un mode de preuve illicite ».

Dans le cas de l’audit, la Cour apporte un tempérament au principe d’information préalable de la finalité du procédé de contrôle du personnel.

En somme, l’audit n’a pas besoin pour servir valablement de preuve à un licenciement d’avoir préalablement fait l’objet d’information sur sa finalité aux salariés lorsque ces derniers ne sont pas exclus de sa réalisation.  


(1) CA Aix-en-Provence, 24.10.13, n°11/10120.

(2) Cass.soc. 05.11.14, n°13-18427.

(3)Cass.Soc, 03.04.2001

(4)Cass.Soc 04.11.2014