Quels manquements de l’employeur justifient la rupture du contrat de travail?

Publié le 23/04/2014

Par trois arrêts récents, la Cour de cassation redéfinit la notion de « manquements suffisamment graves » justifiant la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur ou la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour la Haute juridiction, un manquement ne peut être utilement reproché par le salarié à l’employeur pour lui imputer la responsabilité de la rupture plusieurs mois, voire des années, après les faits. Cass.soc.26.03.14, P n°12-23634, P n°12-35040, P n°12-21372.

Il y a encore peu, la Cour de cassation n’attachait pas d’importance particulière à l’écoulement du temps. Lors de l’appréciation de la gravité des manquements de l’employeur, invoqués par le salarié pour rompre le contrat en lui en imputant la responsabilité, seule la nature des manquements importait[1].  Petit à petit néanmoins, la Cour de cassation exigea que le manquement reproché par le salarié soit de ceux qui empêchent « la poursuite du contrat de travail »[2]. Ce qui laissait augurer d’une nécessaire proximité temporelle entre les faits et la prise d’acte.

Désormais, c’est chose acquise, qu’il s’agisse de prise d’acte ou de résiliation judiciaire : avec le temps…va tout s’en va! Le manquement de l’employeur ne sera considéré comme suffisamment grave que s’il lui est reproché rapidement. C’est là le point commun des arrêts du 26 mars dernier, rendus pour d’eux d’entre eux à propos de demandes de résiliation judiciaire et pour l’un en matière de prise d’acte : ils font jouer un rôle considérable à la rapidité de la réaction du salarié.

Par exemple, le non-respect des obligations en matière de visite médicale (d’embauche ou de reprise) n’apparaît plus, en soi, comme un manquement suffisamment grave de l’employeur. Pourtant, la Cour de cassation rangeait autrefois ce manquement à l’obligation de sécurité de résultat en matière de santé au travail parmi ceux qui, d’office, justifiaient la prise d’acte ou la résiliation judiciaire…[3]

Ainsi, dans une première espèce, le salarié avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, lequel n’avait pas procédé à la visite médicale de reprise obligatoire (après 8 jours d’absence consécutive à un accident du travail). Débouté par les juges en appel, le salarié s’est pourvu en cassation. La Haute juridiction est restée insensible à son argumentation et a approuvé les juges du fond car l’absence de visite médicale « n’avait pas empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs mois »[4]... Dans une autre affaire, c’est une prise acte que la cour d’appel (avec l’onction de la Cour de cassation) estime injustifiée car les manquements reprochés à l’employeur étaient « anciens » et n’avaient pas empêché « la poursuite du contrat de travail »[5].

Parmi ces trois affaires, seul un pourvoi est accueilli favorablement par la Cour de cassation. Il s’agit de celui d’un salarié dont la cour d’appel avait rejeté la demande de résiliation, alors que « l’employeur avait commis un manquement rendant impossible la poursuite du contrat de travail »[6].

En clair, plus le temps passe, moins un manquement de l’employeur est susceptible d’être considéré comme suffisamment grave. Le manquement doit avoir empêché « la poursuite du contrat de travail ». Faut-il y voir un rapprochement avec la notion de faute grave[7] ? En tous cas, ce sont là des précisions bien sévères pour les salariés, que la prudence devrait dorénavant, plus que jamais, inciter à choisir la résiliation judiciaire, plutôt que la prise d’acte, bien plus risquée, et surtout à agir au plus vite.



[1] Cass.soc.23.01.13, P n°11-18855.

[2] Cass.soc.30.03.10, P n°08-44236.

[3] v. par exemple : Cass.soc.22.09.11, P n°10-13568.

[4] Cass.soc.26.03.14, P n°12-35040.

[5] Cass.soc.26.03.14, n°12-23634.

[6] Cass.soc.26.03.14, P n°12-21372.

[7] Cf. F. Géa, prise d’acte de la rupture et résiliation judiciaire : vers un déconstruction de la jurisprudence ?  Semaine sociale Lamy du 7 avril, n°1625.