Loi mobilités : quoi de neuf pour les travailleurs des plateformes ?

Publié le 03/12/2019

La loi dite « Lom », d’orientation des mobilités, a été adoptée le 19 novembre dernier et fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, qui doit statuer sur la constitutionnalité de certaines de ses dispositions d’ici le 27 décembre.

Sans attendre cette décision et la publication de la loi, nous faisons ici le point sur les dispositions concernant les travailleurs des plateformes et, pour l’essentiel, ceux du secteur des transports et de la livraison de marchandises au moyen de véhicules à 2 ou 3 roues. Quelques droits complémentaires en termes d’accès à la formation professionnelle sont prévus pour tous les travailleurs indépendants des plateformes.

  • Dispositions d’application générale relatives à la formation professionnelle et à l’accès aux données personnelles

- Une amélioration du droit à la formation professionnelle des travailleurs des plateformes

Tout d’abord, la loi Lom apporte quelques éléments complémentaires en termes de droit à la formation professionnelle pour tous les travailleurs indépendants des plateformes, quel que soit le secteur dans lequel ils exercent leur activité.

Aux termes de l’article L.7342-3 du Code du travail, tel que modifié par cette loi, les travailleurs des plateformes auront désormais accès aux actions visées à l’article L.6313-1, 3° du Code du travail, c’est-à-dire à la validation des acquis de l’expérience, s'ils le demandent.

Sous réserve d’atteindre un certain seuil en termes de chiffre d’affaires réalisé avec la plateforme, celle-ci doit alors prendre en charge les frais d’accompagnement du travailleur et elle doit également lui verser une indemnité. Ce seuil et les conditions de versement de l’indemnité seront précisés ultérieurement par décret.

En outre, la plateforme doit abonder le compte personnel de formation du travailleur, toujours selon des seuils à préciser par décret, qui pourront varier selon le secteur d’activité.

- Un droit d’accès aux données personnelles les concernant

Le nouvel article L7342-7 du Code du travail prévoit que les travailleurs des plateformes « bénéficient du droit d’accès à l’ensemble des données concernant leurs activités propres au sein de la plateforme et permettant de les identifier. » Ils ont non seulement le droit d’y accéder, mais également le droit de transmettre ces données.

Un décret doit venir préciser les modalités d’exercice de ce droit d’accès.

 

  • Règles sectorielles pour les travailleurs des plateformes de transport et de livraison

Mises à part ces quelques dispositions qui concernent le droit à la formation professionnelle et le seuil ouvrant le droit à une assurance couvrant le risque d’accident du travail, les dispositions de la loi Lom visent exclusivement les travailleurs des plateformes de transport (Uber par exemple) ou de livraison de marchandises au moyen de véhicules à 2 ou 3 roues (Deliveroo, Uber eat…).

Les travailleurs concernés sont ceux visés à l’article L.1326-1 du Code des transports, à savoir les travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique et qui conduisent une voiture de transport avec chauffeur (VTC) ou livrent des marchandises au moyen d’un véhicule à 2 ou 3 roues.

Ces travailleurs se voient conférer quelques droits nouveaux pour compenser la situation de dépendance dans laquelle ils peuvent se trouver vis-à-vis de la plateforme et l'impossibilité dans laquelle ils se trouvent de négocier leur contrat individuel. 

Un droit de se voir communiquer un prix minimal. Aux termes du nouvel article L.1326-2 du Code des transports, lorsqu’elles leur proposent une prestation, les plateformes doivent communiquer la distance couverte et le prix minimal garanti, après déduction des frais de commission.

Un droit de refuser une prestation et une protection contre les représailles. Les travailleurs des plateformes « peuvent refuser une proposition de prestation sans faire l’objet d’une quelconque pénalité ». En particulier, l’article L.1326-2 du Code des transports interdit à la plateforme de mettre fin à la relation contractuelle en raison de ce refus (même s’il s’agit de plusieurs refus). De manière plus générale, toute pénalité sur ce motif est exclue.

- Un droit de choisir les plages d’activité et d’inactivité et une protection contre la rupture. Le nouvel article L.1326-4 du Code des transports garantit le libre choix par les travailleurs de ces plateformes de leurs « plages horaires d’activité et leurs périodes d’inactivité », ainsi qu’un droit à la déconnexion pendant les plages d’activité. A cette fin, la loi interdit aux plateformes de mettre fin au contrat d’un travailleur en raison de l’exercice de ces droits.

Un droit d’information sur les revenus et le temps de travail prévisibles. L’article L.1326-3 du Code des transports prévoit que la plateforme doit publier sur son site internet « de manière loyale, claire et transparente » des indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité des travailleurs des plateformes de l’année civile précédente.

 

  • Une charte pour la responsabilité sociale des plateformes de transport et de livraison

Enfin, la loi Lom créée une nouvelle section au sein du Code du travail, consacrée aux dispositions particulières uniquement applicables aux travailleurs des plateformes de transport et de livraison en matière de « responsabilité sociale ».

-  Contenu de la charte de responsabilité sociale des plateformes de transport et de livraison

Aux termes du nouvel article L.7342-9 du Code du travail, la plateforme « peut » élaborer une charte fixant « les conditions et les modalités d’exercice de sa responsabilité sociale » et « définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».

Parmi les dispositions qui peuvent figurer dans la charte, on trouve :

- les conditions d’exercice de l’’activité professionnelle (en particulier, les règles de mise en relation avec les utilisateurs et de régulation du nombre de connexions), étant précisé que ces règles doivent garantir « le caractère non exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme et de se connecter ou se déconnecter » ;

- les modalités « visant à » permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation services ;

- les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels ;

- les mesures visant à améliorer les conditions de travail, prévenir les risques professionnels et les dommages causés à des tiers ;

- les modalités de partage d’informations et de dialogue social entre la plateforme et les travailleurs ;

- les modalités d’information des travailleurs des changements relatifs aux conditions d’exercice de leur activité ;

- la qualité de service attendue et les modalités de contrôle par la plateforme de l’activité et de sa réalisation, ainsi que les cas qui peuvent justifier la rupture des relations commerciales (autrement dit du contrat liant le travailleur à la plateforme) et les garanties dont bénéficie le travailleur dans ce cas ;

- les garanties de protection sociale complémentaire dont les travailleurs peuvent bénéficier.

 

Quelques précisions sur les dispositions pouvant figurer dans la charte

A ce jour, la loi prévoit que le partage d’informations et le dialogue entre la plateforme et les travailleurs est un dialogue direct, autrement dit sans représentant obligatoire. De même lorsque la plateforme « consulte » les travailleurs.

Pour la CFDT, cela est regrettable : une négociation aurait été préférable et la mise en place d’un système de représentation doit être la prochaine étape pour contrebalancer le pouvoir des plateformes.
Cette négociation doit avoir lieu dans un délai de 12 mois, prévu pour l’adoption d’une ordonnance portant sur un système de représentation concernant cette fois tous les travailleurs des plateformes (article 48, 2° de la présente loi).

Par ailleurs, s’agissant de la rupture du contrat, il est renvoyé à un article du Code de commerce qui encadre la rupture de certains contrats commerciaux (article L442-1 du Code de commerce) et condamne le fait de « rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence de préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale en référence aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels ».

Ce renvoi est bienvenu car il permet de limiter les abus dont pourraient faire preuve les plateformes lors de la rupture des relations contractuelles. Les plateformes ne peuvent ainsi inscrire des conditions abusives dans la charte et doivent se référer aux usages et accords applicables dans leur champ.

Procédure d’homologation de la charte et compétence du TGI

La loi (nouvel article L 7342-9 du Code du travail) prévoit également une procédure d’homologation de la charte.

La plateforme doit consulter les travailleurs de la plateforme « par tout moyen » afin de pouvoir ensuite transmettre la charte, accompagnée du résultat de cette consultation, à l’autorité administrative en vue de son homologation.

Celle-ci contrôle la conformité de la charte aux dispositions de la loi et notifie l’homologation ou son refus dans un délai de 4 mois, à défaut de quoi la charte est « réputée » homologuée.

La charte est publiée sur le site internet de la plateforme et annexée aux contrats des travailleurs.

Toute contestation portant sur la charte, son homologation ou son refus d’homologation, est de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Lorsque, dans un litige relevant du conseil de prud’hommes, une difficulté sérieuse relative à la charte est soulevée, un système de question préjudicielle est prévu : le juge sursoit à statuer et transmet la question au TGI (nouvel article L7342-10 du Code du travail).

- Portée de la charte dûment homologuée

Une fois homologuée, la charte, et surtout les engagements que la plateforme y prend ne peuvent servir à établir un lien de subordination entre le travailleur et la plateforme (L7342-9 du Code du travail).

Si l’on songe que les conditions d’exercice de l’activité, ainsi que les modalités de contrôle de l’activité et de sa réalisation par la plateforme, font partie des éléments qui peuvent figurer dans ces chartes, autant dire que, pour les travailleurs des plateformes de transport et de livraison (chauffeurs VTC, livreurs à vélo…) l’introduction d’une demande de requalification de leurs contrats en contrats de travail est presque assurément une peine perdue ! Comment prouver l’existence d’un tel lien sans pouvoir se référer aux conditions d’exercice de l’activité et  de son contrôle, c’est-à-dire au pouvoir de donner des directives et au pouvoir contrôle (et de sanction)… ?!

 

Ces dispositions sont d’ailleurs parmi les plus controversées de la loi, et font partie de celles faisant l’objet d’une critique devant le Conseil constitutionnel, notamment pour atteinte au droit au recours effectif à un juge, consacré à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au principe de participation prévu à l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution.