Libertés: quand s'arrête le tractage et quand commence la manifestation?

Publié le 01/03/2016

Y’a-t-il manifestation quand un groupe de personne se réunit pour faire valoir des revendications en distribuant des tracts? Ou faut-il d’autres conditions, telles que l’usage de banderoles, de chants, ou de matériel sonore ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation dans un arrêt récent et quelque peu inquiétant pour les militants. Cass.crim, 09.02.16, n°14-82234

Dans cette affaire, un responsable d’une union départementale a organisé une opération de distribution d'un tract sur la réforme des retraites par une centaine de militants du syndicat à la barrière de péage d’une autoroute. Considérant qu’il s’agissait d’une manifestation sans déclaration préalable, le ministère public l’a poursuivi devant le tribunal correctionnel.

Le tribunal, puis la cour d’appel l’ont relaxé, considérant que la distribution de tract en question ne pouvait être qualifiée de manifestation, et par conséquent ne nécessitait aucune déclaration préalable.

  • Une simple distribution de tract peut-elle être qualifiée de manifestation ?

Toute manifestation sur la voie publique est soumise à l’obligation préalable de déclaration en mairie, préfecture ou sous-préfecture, conformément au Code pénal et au Code de la sécurité intérieure(1).

Les juges du fond retiennent en effet que « la manifestation se définit comme un déplacement collectif, organisé sur la voie publique, aux fins de produire un effet politique par l'expression pacifique d'une opinion ou d'une revendication ».

Ils ajoutent que cette expression pacifique d’opinion ou de revendication se fait à l’aide de « chants, banderoles, bannières, slogans, et l'utilisation de moyens de sonorisation ».

Tel n’était pas le cas en l’espèce. Les juges du fond en ont donc déduit que les faits poursuivis devaient être qualifiés de simple distribution de tracts sur la voie publique et non d’une manifestation nécessitant une déclaration préalable.

C’est dans ces conditions que l’affaire a été présentée à la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a dû répondre à la question suivante : Une manifestation est-elle nécessairement accompagnée de chants, banderoles, ou encore utilisation de moyens sonores ?

La Chambre criminelle de la Cour de cassation précise, au visa des articles 431-9 du code pénal et L. 211-1 du code de la sécurité intérieure que constitue une manifestation « tout rassemblement, statique ou mobile, sur la voie publique d'un groupe organisé de personnes aux fins d'exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune ».

Au regard de cette définition, la Chambre criminelle ajoute qu’aucune autre condition ne peut être ajoutée, à savoir, en l’espèce, comme l’ont fait les juges du fond, la présence de banderoles, de chants, de bannières, ou encore de moyens sonorisés.

  • Une interprétation large de la manifestation qui interroge sur les frontières avec le tractage

La décision de la Chambre criminelle laisse perplexe quant à ses conséquences en matière de distribution de tracts sur la voie publique.

La différence que l’on pourrait faire en pratique entre la manifestation et le tractage, à savoir l’utilisation de chants, banderoles, slogans et moyens sonores, n'apparaît pas pertinente pour la Cour de cassation.

Ainsi, à la lecture de l’arrêt, les opérations de tractage pourraient, dans bien des cas, être qualifiées juridiquement de manifestation sur la voie publique. Lors d’une opération de tractage, il peut y avoir rassemblement d’un groupe, plus ou moins important de personnes, sur la voie publique, dont l’objectif est d’exprimer une opinion ou une volonté commune.

Par conséquent, dès qu’une opération de tractage entre dans cette définition, elle devrait faire l’objet d’une déclaration préalable.

Cela n’est pas sans interroger les pratiques des militants qui, de bonne foi, ne prennent pas le soin de faire une déclaration préalable avant de se lancer dans une opération de tractage, considérant qu’il ne s’agit pas là d’une manifestation où l’on scande des slogans, utilise des micros, et brandit de drapeaux.

Une décision qui apparaît comme une atteinte à la liberté d’expression syndicale, dans un contexte déjà tendu par l’état d’urgence dans lequel le pays se trouve.

(1) Article 431-9 du Code pénal et article L 211-1 du Code de la sécurité intérieure.