Liberté religieuse : point final à l’affaire Baby-Loup

Publié le 25/06/2014

L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a finalement validé le licenciement dans l'affaire Baby-loup, confirmant qu'une crèche privée peut imposer, sous certaines conditions, à sa salariée en contact avec de jeunes enfants de retirer son voile. Une décision en contradiction avec celle que cette même Cour (dans une autre formation) avait rendue il y a plus d'un an. Cass. soc. 25.06.14, n°13-28369.

« Baby Loup » est une association dont l'objet est l’accueil de la petite enfance. Le règlement intérieur de cette crèche prévoit que « Le principe de liberté de conscience d'opinion et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées par la crèche. »  En 2008, une des éducatrices, de retour de congé parental, se présente voilée sur son lieu de travail. À l'appui du règlement intérieur, l’employeur lui demande de retirer son voile. Refusant d'obtempérer, la salariée se voit licenciée et enclenche une action judiciaire pour faire reconnaître son droit à porter le voile.

Il serait erroné de dire que cet arrêt remet en cause la liberté religieuse en entreprise privée. La Cour de cassation donne toutefois une interprétation plus souple qu’auparavant des conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte à cette liberté dans le règlement intérieur d’une entreprise privée.

  • Légalité du règlement intérieur

En combinant les articles L1121-1 et L.1321-3 du Code du travail, la Cour rappelle le principe selon lequel : « les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». Le règlement intérieur qui interdit le port de signe religieux doit donc respecter ce double principe pour être légal et non discriminatoire.

Il y a 15 mois de cela, dans un précédent arrêt du 19 mars 2013, la Cour de cassation avait estimé que cette clause « instaurant une restriction générale et imprécise de la liberté religieuse, ne répondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du Code du travail. » Par conséquent, le licenciement avait été jugé nul, car fondé sur un motif discriminatoire.

La haute Cour, réunie en Assemblée Plénière cette fois, semble avoir changé d’opinion sur le contenu de ce règlement intérieur puisqu’elle juge désormais que: « la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché. »

  • Un contexte déterminant

Pour évaluer si une restriction à la liberté religieuse est justifiée et proportionnée, la Cour de cassation appelle les juges de fond à examiner concrètement les conditions dans lesquelles se déroule la tâche du salarié, sa mission, le public avec lequel elle est en contact, etc.

En l’espèce, les juges relèvent qu’il s’agit : « d’une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents. » Autant d’éléments susceptibles, à ses yeux, de justifier l’interdiction du port du voile.

On peut toutefois se demander ce qui a pu faire modifier ainsi l’appréciation que fait la Cour de cassation du règlement intérieur, dans la mesure où aucun élément nouveau, ni en fait ni en droit, n’a bougé entre les deux décisions.

  • Ni laïcité, ni entreprise de tendance

La Cour de cassation n’a pas cédé à la revendication d’élargir le principe de laïcité au secteur de la petite enfance (au même titre que pour les activités de service public). Elle a également balayé d’un revers de la main l’autre point de droit qui faisait débat, en refusant de reconnaître à Baby Loup la qualité « d’entreprise de conviction » (ce qu'elle revendiquait et qui aurait pu justifier plus facilement, une atteinte à la liberté religieuse). Pour la Cour de cassation, Baby loup n’a pas pour objet « de promouvoir ni de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques ».

  • Portée de l’arrêt ?

Il y a fort à croire que la salariée licenciée, lancée depuis cinq ans dans la bataille judiciaire, ne s’arrêtera pas là. Maintenant que toutes les voies de recours internes ont été épuisées, il lui reste la voie européenne et un éventuel recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans l’attente, cette décision crée une brèche dans l’atteinte à la liberté fondamentale de croire et d’exprimer ses convictions dans la sphère professionnelle.