
Cass.soc.12/03/25 n°23-21.223
PDF — 120Ko
En 2024, un arrêt de la Cour de cassation a bousculé les CSE et leur gestion des activités sociales et culturelles (ASC) en interdisant d’appliquer une condition d’ancienneté pour faire bénéficier les salariés des ASC. Et cette pratique était pourtant courante. D’autres CSE proratisent les avantages en fonction de l’ancienneté ou de la présence effective des salariés dans l’entreprise. Cette méthode n’est pas plus conforme à la loi selon la Chambre sociale de la Cour de cassation. En effet, dans un arrêt du 12 mars 2025 que nous commentons aujourd’hui, la Cour précise qu’il n’est pas possible de moduler l’accès aux ASC selon le critère du temps de travail effectif. Cass.soc.12.03.2025, n°23-21.223.
A l’occasion des fêtes de fin d’année 2020, le CSE d’une grande entreprise attribue un bon cadeau de 170€ aux salariés. Mais pas à tous les salariés. Pour les salariés nouvellement transférés depuis le 1er octobre 2020, le bon cadeau s’élève à 150€, dont une partie relève de leur emploi précédent. Le CSE justifie cette différence au motif qu’ils ne remplissent pas la condition des 6 mois de présence effective exigée. Pour précision, ils bénéficient d'une ancienneté minimale d'une année par effet de l'article L.1224-1 du Code du travail au jour de l'attribution du bon cadeau par le CSE.
Mécontents, 3 salariés concernés saisissent la justice. Selon eux, ce critère de présence effective institue une discrimination indirecte et ils demandent réparation de leur préjudice. Le syndicat CFDT, quant à lui, se joint à la procédure pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
Le tribunal judiciaire compétent les déboute de leurs demandes au motif que la discrimination alléguée est inexistante : un bon cadeau leur a bel et bien été attribué, dont le montant a certes été modulé.
Les 3 salariés et le syndicat se pourvoient donc en cassation.
Selon la Cour de cassation, relève des ASC « toute activité non obligatoire légalement, quels qu'en soient sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement, exercée principalement au bénéfice du personnel de l'entreprise, sans discrimination, en vue d'améliorer les conditions collectives d'emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l'entreprise » (Cass.soc.13.11.1975, n°73-14.848).
L’article R.2312-35 C. trav. détaille les activités associées aux ASC et en voici quelques exemples : les cantines, les logements, les colonies de vacances, les loisirs et l'organisation sportive, les centres d'apprentissage et de formation professionnelle, les bibliothèques ou encore les services sociaux chargés de veiller au bien-être du salarié dans l'entreprise.
Pour bien comprendre l’arrêt du 12 mars 2025, il est important de revenir en arrière et de s’arrêter sur la décision du 3 avril 2024 puisque le visa et la solution de la Cour de cassation sont identiques (Cass. soc., 3 avr. 2024, n° 22-16.812).
Deux précisions sont à noter quant au contexte de l’arrêt du 3 avril 2024, très proche de celui du 12 mars 2025 :
- Dans cette affaire, le CSE conditionne l’accès aux ASC à un critère d’ancienneté de 6 mois, sans aucune modulation durant les 6 premiers mois.
- Et le CSE se réfère à l’ancienneté et non à la présence effective pour ouvrir les droits aux ASC.
Ici, la Cour de cassation avait jugé que la loi ne permet pas aux CSE d’appliquer une condition d’ancienneté pour avoir accès aux ASC en se référant aux articles L.2312-78 et R.2312-35 C trav. En effet, « s'il appartient au comité social et économique de définir ses actions en matière d'activités sociales et culturelles, l'ouverture du droit de l'ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l'entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d'ancienneté. »
En d’autres termes, les articles cités au visa donnent compétence au CSE pour assurer la gestion des ASC mais d’aucune manière, la loi lui permet de réduire le personnel bénéficiaire des ASC.
Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le CSE est doté d’un budget pour les ASC, distinct du budget de fonctionnement. L’employeur verse une contribution annuellement pour alimenter ce budget, défini par accord d’entreprise. A défaut d'accord, la contribution se calculera à partir du montant versé l’année précédente, proportionnellement à la masse salariale actuelle.
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’employeur peut financer directement des ASC pour ses salariés. D’ailleurs, certaines conventions collectives ou accords de branche peuvent prévoir des dispositions en matière d’ASC.
Dans notre cas d’espèce, les salariés ont bel et bien reçu un bon cadeau : ils avaient donc accès aux ASC. Mais le bon cadeau était réduit en raison de leur temps de présence effective au sein de l’entreprise absorbante. Et nous l’avons vu, ces salariés disposaient pourtant d’un an minimum d’ancienneté.
La Cour de cassation n’est pas plus convaincue par cette pratique. Ainsi, elle confirme et affine sa position en matière de condition d’attribution des ASC :
- Il n’est pas possible de proratiser ou de refuser d’octroyer les avantages
- aussi bien en fonction de l’ancienneté ou de la présence effective du salarié dans l’entreprise.
Cette décision est en conformité avec une réponse ministérielle de 2014 : « Les employeurs ou comités d'entreprise peuvent, dans le cadre de leur politique sociale et en dehors de l'octroi de secours, utiliser des critères leur permettant de réserver ou de moduler les avantages accordés aux salariés dans le cadre des activités sociales et culturelles. Toutefois, ils ne peuvent se référer à des éléments dont l'utilisation constitue une discrimination au sens de l'article L. 225-1 du Code pénal. De même, la différence de traitement entre les salariés au regard d'un même avantage doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes, ce qui n'apparaît pas, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, compatible avec des critères en lien avec l'activité professionnelle tels que l'ancienneté ou la présence effective des salariés dans l'entreprise » (Rép. min. n° 43931 : JOAN Q, 6 mai 2014).
Cette réponse ministérielle nous invite à un dernier constat : la discrimination n’est pas retenue par la Cour de cassation dans notre cas d’espèce. Pour autant, elle se fonde sur les articles L.2312-78 et R.2312-35 C trav cadrant les attributions du CSE en matière d’ASC qui veillent à éviter toute inégalité de traitement.
Les CSE concernés vont donc revoir la distribution de leur budget ASC pour répondre à l’exigence de la Cour de cassation. L'ouverture à tous les salariés, sans modulation des montants sur les prestations, va mécaniquement augmenter les dépenses. La solution sera peut-être de baisser le montant de la prise en charge ou de réduire le nombre d'activités pour respecter le budget alloué annuellement.