Lanceurs d’alerte : seul le mensonge écarte leur protection

  • Lanceur d'alerte

L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 6 mai dernier permet de rappeler les conditions dans lesquelles un lanceur d’alerte bénéficie d’un statut protecteur interdisant à l’employeur de le sanctionner. Une simple divergence d’interprétation sur la qualification des faits ne suffit pas à démontrer la mauvaise foi du salarié, seule la connaissance de la fausseté des faits peut faire échec au statut protecteur. Cass. soc. 6.05.25, n° 23-15.641.

Le statut de lanceur d’alerte

Instituées par la loi Sapin II du 9 décembre 2016, les règles générales de protection des lanceurs d’alerte ont ensuite été modifiées par la loi du 21 mars 2022 [1] afin d’améliorer leur protection notamment en supprimant l’obligation d’alerter au préalable en interne de l’entreprise (voir ici les principales modifications).

Bon à savoir !

La loi définit le lanceur d'alerte comme une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement (article 6 loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 modifié et L1132-3-3 du Code du travail).

Toute sanction envers un salarié qui remplit les conditions pour être lanceur d’alerte est frappée de nullité (art. L.1132-4 C.trav.). 

Les faits et la procédure

Un salarié du Crédit Agricole, inspecteur vérificateur en risques industriels, a dénoncé en janvier et mai 2018 à l’agence française anticorruption (AFA) une fraude lors du traitement d’un sinistre d’une entreprise assurée par la banque. Pour le salarié, cela relève de la qualification pénale de fraude fiscale et d'abus de bien social.

Pour le salarié les conséquences ne se sont pas fait attendre, en décembre 2018 il est licencié pour faute lourde.

Il saisit le CPH d’une demande principale de nullité du licenciement et obtient gain de cause devant la Cour d’appel qui juge que le critère de bonne foi permettant d’accéder au statut de lanceur d’alerte « ne pouvait résulter que de la connaissance qu’avait le salarié que les faits qu’il dénonçait étaient faux ».

Bon à savoir !

A l’époque des faits, c’est loi Sapin II qui était applicable, mais la solution rendue par la Cour de cassation a vocation à s’appliquer également sous l’empire de la nouvelle loi.

L’employeur se pourvoit en cassation.

Une divergence d’interprétation et l'intention de nuire signes de la mauvaise foi  ? 

La solution de la cour d’appel est contestée par l’employeur qui invoque une divergence d’analyse sur la qualification pénale des faits, la banque ayant bien entendu un point de vue différent dont elle a fait part au salarié en lui apportant une réponse argumentée.

L’employeur a ensuite tenté de démontrer l’intention de nuire du salarié pour justifier son licenciement pour faute lourde et écarter la bonne foi du salarié. Pour la banque le salarié aurait alerté l’AFA uniquement parce qu’il nourrissait du ressentiment envers son employeur. Pour preuve, le salarié s’était vu refuser sa demande d’augmentation en 2018 en raison de performance insuffisante, et a dénoncé seulement en 2018 les faits dont il avait eu connaissance dès juillet 2017. L’intention de nuire est aussi démontrée selon la banque au motif qu’il a alerté de nombreux cadres pour les déstabiliser dans leur travail, menacé des interlocuteurs, et qu’il se vantait d’avoir un accès VIP au procureur de la République. Son employeur allant même jusqu’à souligner un comportement obsessionnel et compulsif.

Enfin, le dernier argument soulevé devant la Cour de cassation visait à dire que le salarié a commis un abus du droit d’alerte (avec les mêmes arguments que l'intention de nuire).

La mauvaise foi c’est le mensonge et rien d’autre !

La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel et rejette donc sur ce point le pourvoi de l’employeur :  

« le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » (point 8 de la décision).

La Cour de cassation maintient donc une solution maintenant bien établie [2] qui définit de manière très restrictive la notion de mauvaise foi. L'intention de nuire du salarié est distincte de la mauvaise foi tel que défini dans les textes nationaux et supra nationaux applicables aux lanceur d'alerte. Ce n'est pas un élément qui entre dans la grille d'analyse des juges. 

Bon à savoir ! 

Deux causes peuvent écarter la protection du lanceur d'alerte, la mauvaise foi telle que précisée par la Cour de cassation, et le fait d'avoir obtenu une contrepartie financière (art.6 de la loi Sapin II précitée).

De plus, un salarié n’est pas tenu de maitriser les subtilités juridiques de la qualification des infractions susceptibles d’accorder le bénéfice du statut de lanceur d’alerte, et c’est bien logique puisque l’objectif est de favoriser les alertes dans un objectif d’intérêt général. Et finalement tant mieux si les faits ne sont finalement pas établis. C'est pourquoi dans tous les cas, sauf le mensonge, les lanceurs d'alerte doivent bénéficier d'une protection.

 

 L'arrêt de la Cour de cassation : Cass. soc. 6.05.25, n° 23-15.641. 
 

[1] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte

[2] Voir not. Cass.soc.15.02.23, n° 21-20.342.

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