Grève : un lock-out est justifié en cas d’impératifs de sécurité

Publié le 01/02/2017

Dès lors que la sécurité des salariés et des installations est menacée, la fermeture d'une usine de production de substances chimiques, classée Seveso "seuil haut" en raison d'un mouvement de grève, est justifiée. C’est ce que retient la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 janvier 2017. Cass. soc. 18.01.17, n° 15-23.986.

  • Qu’est que le lockout ?

Le lock-out n’est ni défini par la loi, ni par la jurisprudence, il consiste, pour l'employeur, à fermer de manière provisoire son entreprise en réponse à une grève ou à une menace de grève de son personnel. Si le lock-out est parfois justifié par de réelles difficultés économiques liées à la grève, il n'en demeure pas moins que le lock-out  est plus généralement  utilisé par les employeurs comme mesure de rétorsion à l'égard du mouvement revendicatif.  Dans ce cas, son objectif est simple : il vise à faire pression sur les non-grévistes, privés de rémunération en raison du lock out, et à parvenir ainsi à diviser les deux catégories de salariés afin de mettre fin au mouvement.

Il est à souligner que sur le plan international, certains textes citent le droit de lock-out mais ne le définissent pas :
- l'article 137 du Traité de Rome parle du « droit de lock-out », en excluant la réglementation du lock-out de la compétence communautaire ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, dans son article 28, reconnaît aux employeurs le droit de recourir, en cas de conflits d'intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts. Toutefois, la charte renvoie au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales pour mettre en oeuvre ce droit.

Certains décrivent le lock-out comme le pendant du droit de grève. En réalité il n’en rien, car si le lock out n’est pas reconnu légalement, le droit de grève, lui, est un droit constitutionnel reconnu et protégé par la loi.

La jurisprudence nourrit donc une certaine méfiance à l’égard du lock out et ne l’admet que dans de rares situations. C'est ce qu'illustre la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 18 janvier 2017.

 

  • Les faits

 A l’origine des faits, les négociations salariales annuelles qui ont échoué au sein d'un établissement de production de substances chimiques classé Seveso "seuil haut". Une grève est alors déclenchée. Suite à ce mouvement de grève, l’employeur décide lors d’une réunion extraordinaire du comité d’établissement de présenter un projet de repli des installations et de suspension des contrats de travail en raison des contraintes générées par les débrayages. Ce dernier justifie cette décision par un impératif de sécurité. Les mesures de l’employeur sont alors exécutées le soir même, et maintenues pendant deux jours.

 

  • La procédure

S’estimant lésés, les salariés décident de saisir le conseil de prud’hommes en référé pour fermeture illicite de l’entreprise. Ces derniers demandent des dommages-intérêts pour atteinte au droit de grève, mais aussi pour compenser leurs pertes de salaire.

Les demandes des salariés sont rejetées par le conseil de prud’hommes. Ils forment alors un pourvoi en cassation. Les salariés estiment notamment que la situation générée par la grève n’était pas contraignante, et que le lock-out avait en réalité pour but de faire pression sur les salariés grévistes. Ils ajoutent que les opérations de fermeture, de redémarrage et de vidange rendues nécessaires par les débrayages faisaient partie des tâches habituelles des opérateurs.

 

  • Le lock-out est justifié dès lors qu’il y a une situation contraignante pour la sécurité 

Les magistrats du Quai de l’Horloge ne font que peu d’état des griefs formulés contre la décision du conseil de prudhommes et valident le lock-out.

Pour la Haute Cour, c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes a pu décider que la fermeture de l’entreprise était licite après avoir constaté que la succession d’arrêts et de redémarrages des installations avait pour effet un risque de  bouchage de la tuyauterie imposant des opérations exposant les salariés à un risque de brûlure et avait entraîné une importante fuite d’éther se répandant hors de l’entreprise. Ces dysfonctionnements, qui ne relevaient pas de phénomènes habituels dans le cadre du fonctionnement normal des ateliers, étaient d’une particulière dangerosité, obligeant l’employeur à arrêter la production et rendaient impossible la fourniture de travail aux salariés non-grévistes.

Autrement dit, le lock-out est justifié dans le cas où, du fait de la grève, l’employeur est dans une situation contraignante l’obligeant à arrêter la production et rendant impossible la fourniture de travail aux salariés non-grévistes.

 

 

La Cour de cassation préfère parler de « situation contraignante » plutôt que de parler de l’existence d’un cas de force majeur. Les difficultés à réunir les critères de la notion de la force majeure concernant une grève ont amené la Cour de cassation à lui préférer cette formulation plus large. En effet, la force majeure est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur qui rend impossible l'exécution du contrat de travail. Or, la grève n'est pas un événement imprévisible pour l'employeur, puisqu'il a été informé des revendications qui l'ont déterminée. Elle n’est qui plus est pas non plus étrangère à l'entreprise, par définition.

La décision de la Chambre sociale s’inscrit dans sa droite ligne jurisprudentielle. Puisque depuis de nombreuses années, elle n’admet l’exonération de faute de l’employeur que si ce dernier apporte la preuve que la décision de fermer l'entreprise résulte(1) :

- soit d'une situation de force majeure ou d'une situation contraignante (ce qui est le cas en l’espèce) ;

- soit de l'inexécution fautive par les salariés de leurs propres obligations ;

- soit de la nécessité d'assurer, dans le cadre de ses pouvoirs de direction, un minimum d'ordre et de sécurité dans l'entreprise.

Plusieurs hypothèses ont conduit, la Cour de cassation à reconnaître l’existence d’une situation contraignante :

-          faits du prince,

-          occupation des lieux de travail par les grévistes,

-          grèves accompagnées d’entraves caractérisées à la liberté du travail,

-          désorganisation de l’entreprise ou de la production...



(1)Cass.soc. 21.07.86, n° 83-42.494.