Droit du travail : Quelle lecture des 61 grands principes?

Publié le 27/01/2016

Attendue avec intérêt et impatience, le comité Badinter a rendu sa copie le 24 janvier dernier. Ce seront finalement 61 principes essentiels du droit du travail qui vont guider la future réécriture du Code du travail. Si l’objectif de simplification et de clarification des principes du droit du travail semble rempli, en revanche, le rapport déçoit sur l’aspect innovation.

La CFDT avait communiqué sa propre liste de 75 principes du droit du travail au comité Badinter lors des auditions et poursuivait une série d’objectifs (circulaire ci-dessous).

  •  Une ambition et des objectifs, à demi satisfaits

En préambule de son rapport, le comité présente la philosophie qui l’a guidé : dégager des principes concis, sans commentaire surabondant, sur la base des dispositions actuelles du droit du travail (c’est-à-dire à droit constant) et en s’inspirant des textes fondamentaux internationaux, européens, ainsi que des jurisprudences sociales des plus hautes Cours.

Ces principes devraient, selon les vœux de la CFDT repris par le comité, figurer dans un préambule, en ouverture du Code du travail, pour en éclairer la lecture.

La CFDT partage la volonté de donner une valeur législative et interprétative à ces principes, en les faisant figurer au frontispice du Code du travail.

Formulés dans des termes usuels et clairs, ils rempliraient une fonction pédagogique pour les salariés et les employeurs. Ils assumeraient également une fonction normative et pourraient, selon les cas, être invoqués directement par les salariés dans leur relation avec leurs employeurs, ou face aux pouvoirs publics, pour conduire à l’adoption d’une législation ou une institution permettant la mise en œuvre de ce droit.

Par exemple, le principe n° 7 disposant que « le harcèlement moral ou sexuel est interdit et sa victime protégée » s’imposerait à la fois à l’employeur et à l'État, qui se doit d’adopter des lois réprimant ces comportements et mettre en place un corps d’inspection du travail pour sanctionner ces infractions.

En revanche, parce qu’il a procédé à droit constant, sans innover ni créer de droits nouveaux, le rapport déçoit. Pour la CFDT, la définition de ces principes de droit du travail devait permettre de faire émerger des droits nouveaux, en phase avec l’évolution de la société. La CFDT avait notamment proposé d’introduire le droit à la sécurisation des parcours professionnels, le droit d’alerte en cas de risque grave en matière de santé ou d’environnement…

L’autre ambition pour ces grands principes, dans une visée d’avenir, était de protéger l’ensemble des travailleurs, en allant au-delà des seuls salariés. Pour la CFDT, certains de ces principes auraient dû pouvoir s’appliquer à tout travailleur quel que soit son statut : le droit à une rémunération décente, l’interdiction des discriminations, le droit à la conciliation des temps de vie personnelle et professionnelle, etc.

Or dans les 61 principes listés par le comité Badiner, les travailleurs indépendants, mais aussi les demandeurs d’emploi, les candidats à l’embauche ou les stagiaires, qui sont pourtant actuellement protégés à certains égards par le Code du travail, semblent les grands oubliés…

Le principe n° 4, par exemple, dispose que « le principe d’égalité s’applique dans l’entreprise ». Quid des candidats à l’embauche, des demandeurs d’emploi ou des sous-traitants ?

  • Des principes forts et utiles

Sur le fond, la CFDT se félicite de la réaffirmation de certains grands principes au cœur de notre droit du travail : comme le fait que le contrat de travail soit par principe à durée indéterminée (principe n° 13), et que l’égalité professionnelle entre hommes et femmes soit réaffirmée (principe n° 4).

Saluons également l'ascension au rang de principes du droit du travail,  de droits ni tout à fait nouveaux, ni vraiment consacrés clairement dans le Code, tels que la « conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale » (principe n° 9), le respect de la vie privée ou des données personnelles (principe n° 3). De même, le droit à l’information du salarié, lors de son embauche, « des éléments essentiels de la relation de travail » (principe n° 16) est une introduction bienvenue d’un principe affirmé par une directive européenne de 1991.

Enfin, notons que les auteurs ne se limitent pas aux droits individuels des salariés, mais rappellent des principes et droits collectifs, comme l’exercice du droit syndical dans l’entreprise (principe n° 44), le droit à la participation et à la représentation des salariés (principe n° 47). Ils réaffirment la place centrale des organisations syndicales avec l’obligation de concertation préalable avec les partenaires sociaux avant toute législation du travail (principe n° 51), ou la consécration de la représentativité syndicale et des prérogatives qui y sont attachées (principe n° 46).

  • D’autres flous ou absents

Les auteurs ont souhaité dresser une liste de principes concis, pour plus de clarté. Pourtant, certains paraissent flous. Par exemple, le principe de réparation suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle n’est pas affirmé de manière assez claire (principe n° 43).

Certains principes sont trop restrictifs dans leur formulation. Notamment le principe n° 19 qui pose un droit au maintien des contrats de travail circonscrit aux cas de transfert d’entreprise (alors que ce principe doit s’appliquer plus largement pour tous les cas de modification juridique de la situation de l’employeur).

De même, si le principe d’un licenciement justifié par un motif réel et sérieux est posé (principe n° 26), l’obligation de réparation des licenciements injustifiés n' est pas précisée.

Enfin, certains principes font cruellement défaut, comme le droit à l’accompagnement vers l’emploi, ou le droit à la protection sociale…

Aucun principe ne vient limiter le champ des contrats à durée déterminée (ex : interdiction de pourvoir de manière durable à un emploi permanent). Ce qui aurait pu utilement accompagner le principe du CDI et limiter les exceptions introduites dans la législation, et surtout leur usage abusif.

On le voit, la définition de ces principes est un début, qui mériterait d’être étoffé et musclé pour qu’ils constituent un cadre réellement contraignant et protecteur en vue de la  réécriture du Code. Les limites que se sont posées les auteurs pourraient être levées par la commission de refondation du Code du travail qui devra entamer ce travail de réécriture, à horizon 2018.