Discrimination : une preuve difficile mais pas impossible !

Publié le 01/03/2017

Sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, un conseil de prud’hommes vient d’ordonner, dans un litige relatif à une discrimination syndicale, la communication d’éléments tiers au procès détenus par le seul employeur et concernant des salariés. CPH, 29.12.16, n°16/011454.

  • Rappel:  une difficulté à prouver la discrimination, malgré un aménagement de la charge de la preuve

Lorsque survient un litige quant au respect du principe de non-discrimination, le salarié qui se considère victime doit apporter devant les juges des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, l’employeur doit alors prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge doit ensuite former sa conviction après avoir ordonné, au besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles (1).

Malgré cet aménagement de la charge de la preuve à l’avantage du demandeur, celle-ci n’est pas toujours aisée à rapporter quand il s'agit de discrimination. Le salarié se trouve en effet bien souvent confronté à la difficulté d’accéder à des éléments de preuve que seul l’employeur détient.

Pourtant, des moyens existent, via la justice, pour permettre au demandeur d’accéder à des éléments que l’employeur refuserait de lui communiquer. L’ordonnance rendue récemment par le conseil de prud’hommes de Paris en est la parfaite illustration.

Dans l’affaire soumise à la formation de référé du conseil de prud’hommes, un salarié qui s’estimait victime d’une discrimination syndicale a demandé au juge qu’il ordonne à l’employeur de communiquer les éléments suivants : pour tous les conseillers clientèle à distance embauchés entre 2005 et 2008, le nom, l’évolution de classification et pour chaque niveau, la date d’attribution, la rémunération distinguant la rémunération de base et les primes de toute nature, au 31 décembre de chaque année. Le conseil de prud’hommes, en départage, a fait droit à sa demande.

  • L’article 145 du Code de procédure civile : un instrument juridique pour l’accès aux preuves

Le salarié fonde sa demande sur l’article 145 du Code de procédure civile selon lequel «s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé». Il explique notamment que l’employeur est le seul à détenir des éléments permettant de prouver la discrimination.

  • Un instrument conditionné

Le conseil de prud’hommes, avant d’ordonner la communication des éléments de preuve et de faire droit à la demande du salarié, vérifie que l’ensemble des conditions posées par l’article 145 sont bien réunies, à savoir :

-          l’existence d’un motif légitime permettant d’établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige : en l’espèce, les juges considèrent que :  

  • l’exercice d’une action en justice sur le fondement d’une discrimination est bien un motif légitime justifiant la production de documents relatifs à la rémunération de salariés tiers au procès ;
  • le refus de la société de communiquer à l'amiable les éléments demandés par le salarié constitue également un motif légitime ;

-          avant tout procès, c’est-à-dire avant l’engagement d’une procédure sur le fond, il n’y avait en l’espèce aucune procédure engagée sur le fond, ce que rappellent les juges ;

-          une demande d’ordonnance en référé, ce qui était bien le cas en l’espèce.

L’ensemble des conditions étant réunies, le conseil de prud’hommes a décidé d’ordonner les éléments demandés par le salarié qui pourront être de nature à démontrer, ou non, l’existence d’une discrimination à l’égard du salarié demandeur.

  • La vie privée, un obstacle à la communication des éléments demandés ?

Non, répond le conseil de prud’hommes, qui considère que le respect de la vie privée ne constitue pas un obstacle à la demande dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un intérêt légitime et sont nécessaires à la protection des droits du demandeur.

  • Une ordonnance a priori conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation…

Cette décision du conseil de prud’hommes s’inscrit dans la logique de la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle «le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées» (2).

  • … de nature à inciter les victimes de discrimination en manque de preuves d’y recourir

Cette ordonnance a été rendue suite à une mise en départage, ce qui laisse supposer qu’il est difficile de parvenir à convaincre les juges d’ordonner la communication d’éléments touchant à la vie personnelle de salarié tiers au procès.

Cependant, dans ce cas d’espèce, le salarié a obtenu gain de cause : cela démontre qu’il a eu raison de saisir le conseil de prud’hommes, en référé, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, pour tenter d’obtenir la communication de pièces afin de prouver l’existence d’une discrimination. Sans cette démarche, et faute de preuves, peut-être aurait-il renoncé à saisir la justice ? A l’inverse, cette ordonnance du conseil de prud’hommes lui permet de venir étayer son dossier et peut-être, d’obtenir la reconnaissance du fait qu'il ait bien été victime d’une discrimination syndicale.



(1) Art. L.1134-1 C.trav.

(2) Cass.soc.19.12.12, n°10-20526 10-20528.