Covid-19 : peut-on changer mon poste de travail ?

Publié le 08/04/2020

Pendant cette crise sanitaire, certains employeurs souhaitent modifier le poste d’un (ou de plusieurs) salarié(s) afin qu’il(s) puisse(nt), par exemple, occuper le poste d’un collègue qui est en arrêt de travail, ou encore occuper un poste qui demande plus de salariés que d’habitude. Aussi, de nombreux salariés se demandent-ils si leur employeur est en droit de leur imposer ce changement de poste ou s’ils peuvent le refuser.

Dans le cadre du pouvoir de direction en principe, toute décision prise par l’employeur s'impose au salarié, excepté lorsque celle-ci a pour incidence de modifier le contrat de travail. En cette période de crise sanitaire,  aucun changement des règles en la matière n'est prévu, mais ce sera toujours aux juges d'apprécier la situation au cas par cas. 

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  • Les règles concernant le simple changement des conditions de travail

En principe, seules les conditions du travail peuvent être modifiées sans l'accord du salarié. 

En l'absence de précision dans le Code du travail, c'est la jurisprudence qui a précisé la notion de modification du contrat en distinguant les modifications du contrat qui nécessitent l'accord du salarié et les simples changements des conditions de travail qui s'imposent au salarié.

La jurisprudence reconnaît notamment que l’octroi de nouvelles tâches qui correspondent à la qualification du salarié constitue un simple changement des conditions de travail. Le salarié n'a en effet aucun droit reconnu à effectuer toujours les mêmes tâches.

Aussi, lorsqu’il s’agira d’un simple changement des conditions de travail, le salarié ne pourra pas s'y opposer, sauf s'il prouve que cette modification porte une atteinte excessive à sa vie privée ou encore qu’il s’agit d'un changement lié à un motif discriminatoire.

En cas de refus du salarié, l'employeur pourra :

- soit renoncer à changer les conditions de travail ;

- soit engager une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Le salarié commet une faute en refusant la simple modification de ses conditions de travail.

La jurisprudence considère depuis un arrêt de 1996 (18.06.96, n°94-44654) que le fait de mettre un salarié en activité partielle constitue un simple changement de ses conditions de travail qui ne requiert pas son autorisation.

  • Les règles concernant la modification du contrat de travail

En revanche, il n’est pas possible de modifier les éléments essentiels du contrat de travail sans l’accord du salarié. Pour être modifié, le contrat requiert l'accord des parties qui l’ont signé.

Il est considéré couramment que les éléments essentiels d’un contrat sont les suivants :

  • la qualification ;
  • la rémunération contractuelle ;
  • la durée du travail ;
  • le lieu, défini par le secteur géographique d’affectation.

Mais attention ! Ces éléments peuvent revêtir une valeur différente selon la façon dont le contrat de travail a été formaliséS'agissant des fonctions du salarié, il faut se référer à celles réellement exercées par lui et non à celles inscrites dans le contrat de travail (1).

Récemment, la Cour de cassation a reconnu que le refus par un salarié d’effectuer une tâche ne correspondant pas à sa qualification n’est pas fautif (2).

En cas de refus du salarié, la modification du contrat de travail ne peut être imposée au salarié. L’employeur pourra alors :

- soit renoncer à modifier le contrat de travail ;

- soit engager une procédure de licenciement dont le motif ne pourra pas se justifier par le seul refus de la modification du contrat de travail par le salarié. Il s'agira le plus souvent d'un motif économique. Le licenciement pourrait éventuellement se justifier en cas d'inaptitude professionnelle, ou bien pour des raisons disciplinaires. Le salarié devra donc être vigilant quant au motif de l'employeur pour modifier son contrat de travail. L'employeur devra respecter la procédure de licenciement, y compris dans la période actuelle.  

Lorsqu’il s’agit d’une modification du contrat faisant suite à un accord de performance collective (APC) (3), les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Si l’employeur engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié ayant refusé l’application de l’accord, ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse.

  • La procédure à respecter pour modifier le contrat de travail

La procédure à respecter varie selon que la modification du contrat de travail a une cause économique ou non.

Lorsque la modification du contrat de travail repose sur un motif personnel, il est conseillé de soumettre la proposition de modification au salarié, par écrit et de recueillir sa réponse également par écrit. Cette proposition doit préciser le contexte de la modification et la date à laquelle la modification entrera en vigueur. L'employeur doit laisser un délai de réflexion au salarié. Si le salarié ne répond pas et/ou qu'il poursuit le travail, le contrat n'est pas pour autant modifié. Il faudra toujours l'accord exprès (4).

Si les raisons du licenciement sont économiques, comme on peut le penser en période de crise sanitaire, l’employeur doit respecter une procédure spécifique. Il doit informer par LRAR le salarié de son projet de modification du contrat de travail pour un motif économique. Le salarié dispose alors d’un délai de réflexion d’1 mois à compter de la réception de la proposition pour refuser expressément la proposition de modification. Le délai est de 15 jours si l'entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire. À défaut de réponse dans le délai d'1 mois (ou de 15 jours), le salarié est réputé avoir accepté la modification (5). 

En cas de refus du salarié, après le délai de réflexion d’1 mois, l’employeur peut engager une procédure de licenciement économique. Le licenciement peut être justifié lorsque la modification refusée par le salarié est consécutive à des difficultés économiques ou à une réorganisation de l’entreprise nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité.

En cette période de crise sanitaire, l’employeur devra, une fois encore, respecter la procédure et être en capacité de prouver que le motif économique est réellement justifié.

  • Le changement temporaire du contrat de travail : une exception? 

En principe, une modification du contrat de travail, acceptée par les deux parties, est définitive (6).

Néanmoins, la Cour de cassation a admis qu’une modification contractuelle pouvait s’analyser en un simple changement des conditions de travail, dès lors que la modification avait un caractère temporaire. Dans cette affaire, une salariée avait accepté par avenant la modification temporaire de son contrat de travail. Selon elle, le retour à son emploi antérieur devait faire l’objet d’une nouvelle acceptation de sa part. Ce à quoi la Cour de cassation a répondu par la négative. Selon la Haute Cour, le fait de revenir à la situation antérieure n’était qu’un changement des conditions du travail, sans nécessiter l’accord de la salariée (7).

Une modification temporaire du contrat de travail demande-t-elle toujours l'autorisation du salarié ? Les juges peuvent se référer à l’ampleur de la modification, sa durée, les circonstances dans lesquelles elle a été décidée et ses conséquences sur la vie personnelle et familiale pour admettre ou non l’existence d’une modification du contrat.

Par exemple, il a été jugé qu'est responsable de la rupture de son contrat de travail le chef de chantier refusant d'effectuer pendant une courte période (18 jours) des travaux incombant à de simples manœuvres dès lors que ce changement dans l'organisation du travail de l'entreprise était motivé par une baisse d'activité et que son caractère provisoire avait été précisé à l'intéressé, qui n'avait subi ni rétrogradation ni perte de salaire (8).

Et, en 2010, la Cour de cassation a posé trois conditions à l'affectation temporaire du salarié sur un nouveau lieu de travail. « Si l'affectation occasionnelle d'un salarié en dehors du secteur géographique où il  travaille  habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification  de son contrat  de travail, il n'en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé préalablement dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible » (9). 

Certaines conventions collectives peuvent également prévoir qu'une modification temporaire du contrat de travail est possible sans l'accord du salarié. C'est le cas par exemple de l'article 22 de la convention collective de la Couture parisienne. Il prévoit que "les changements temporaires d'emploi ne seront effectués qu'en cas de nécessité de service. Dans ce cas, la direction pourra, momentanément et pour une période, qui, en règle générale, n'excédera pas deux mois, affecter un salarié à une catégorie inférieure à celle de son poste habituel. Dans ce cas, le salarié conservera le bénéfice du salaire de son poste précédent pendant la période de mutation".

Attention donc dans la période ! Il est possible que les juges reconnaissent au cas par cas que le changement temporaire du contrat de travail, sans rétrogradation et sans perte de salaire ne requiert pas l'accord du salarié...

  • Le cas des salariés protégés : l’autorisation est toujours requise, enfin presque…

Si le salarié est un salarié protégé (élu du personnel, délégué syndical...), qu’il s’agisse d’une modification des conditions de travail ou du contrat de travail, son accord sera toujours requis. 

Toutefois, pendant la crise sanitaire et en cas d’activité partielle de tous les salariés de l’entreprise, de l’établissement, du service ou de l’atelier dans lequel le salarié protégé est affecté ou rattaché, il ne pourra pas refuser ce changement de ses conditions de travail sans commettre de faute (10). 

Période exceptionnelle, mesure exceptionnelle… c’est la première fois qu’il est possible d’imposer un changement des conditions de travail à un salarié protégé.

Pour en savoir plus sur la prise des heures de délégation et leur rémunération pendant la mise en activité partielle du salarié protégé, vous pouvez lire l’article suivant.

(1) Cass.soc.17.01.06, n°04-43228.
(2) Cass.soc.18.03.20, n°18-21.700.
(3) Art. L.2254-2 C.trav.
(4) Cass.soc.16.10.19, n° 17-18445.
(5) Art. L.1222-6 C.trav.
(6) Cass.soc.11.01.06, n°03-46.698.
(7) Cass.soc.31.05.12, n°10-22.759.
(8) Cass.soc.12.02.81, n°79-41.140.
(9) Cass.soc.03.02.10, n°08-41.412. 
(10) Art. 6 de l’ordonnance n° 2020-346 du 27.03.20 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle.