IRP : incidences de la crise sanitaire et de l’activité partielle

Publié le 08/04/2020

Les représentants du personnel peuvent exercer leur mandat dans une entreprise au sein de laquelle les salariés, ou une partie d’entre eux (un établissement, un service, une unité…) ont été mis en activité partielle.

Selon quelles modalités l’employeur peut-il mettre les représentants en activité partielle ? Quelle est l’incidence de l’activité partielle sur le paiement des heures de délégation ?

De manière plus générale, pendant la période de crise sanitaire, quels sont les changements concernant les modalités de réunion du CSE ? Dans quelles conditions les représentants des salariés peuvent-ils avoir accès à l’entreprise et échanger avec les salariés ?

Nous vous proposons ici un tour d’horizon non exhaustif sur ces questions, tenant compte des récentes ordonnances relatives à l’urgence sanitaire liée à la crise du Covid-19.

  • Les nouvelles modalités de mise en activité partielle des représentants

C’est l’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle, publiée au Journal officiel du 28 mars, date à partir de laquelle les mesures sont applicables, qui modifie de manière temporaire le droit concernant la mise en activité partielle des représentants. 

Contrairement au décret relatif à l’activité partielle, adopté le 25 mars, dont les dispositions sont d’application pérenne, l’intégralité des mesures adoptées par l’ordonnance est temporaire.
Un décret doit être publié pour fixer la date à laquelle les dispositions cesseront de s’appliquer : en vertu de la loi d’habilitation, cette date ne pourra pas dépasser le 31 décembre 2020.

 

L’article 6 de l’ordonnance limite, pour la durée de son application, les possibilités de refus de l’activité partielle par le salarié protégé.

 

En temps normal, l’employeur doit obtenir l’accord du salarié protégé pour le placer en activité partielle. L’ordonnance prévoit que les salariés protégés ne pourront plus s’opposer à l’activité partielle, si la mise en activité partielle concerne tous les salariés de l’entreprise, ou de l’établissement, du service ou de l’atelier auquel celui-ci est affecté ou rattaché. Dans ce cas, le salarié protégé qui s’y oppose commet une faute. Si l’employeur souhaite le licencier, il devra bien sûr obtenir l’autorisation de l’inspection du travail.

Autrement dit, l’employeur peut imposer l’activité partielle au représentant du personnel, sauf si celle-ci n’affecte pas tous les salariés de l’entreprise, de l’établissement, du service ou de l’atelier auquel le salarié protégé est affecté ou rattaché.

 

Pour la CFDT, le fait que l’accord du salarié protégé ne soit plus systématiquement requis pour la mise au chômage partiel n’est pas en soi contestable, notamment pour des raisons d’équité vis-à-vis des autres salariés de l’entreprise.

Par ailleurs, même en cas de fermeture totale de l’entreprise ou de l’établissement, le mandat n’est pas suspendu. Dès lors, deux questions peuvent se posent : celle des modalités d’exercice du mandat d’une part, et celle de la rémunération des heures de délégation. 

  • L’incidence de l’activité partielle sur le paiement des heures de délégation et des temps de réunion

Le crédit d'heures est délivré en fonction du mandat et non du temps de travail effectif, le représentant du personnel dispose donc toujours du même crédit d’heures. Dans le cas particulier où toute l’entreprise est fermée et tous les salariés en activité partielle, il peut se poser la question de la prise d’heures de délégation.

A priori, cela est possible. Ce n’est pas parce que l’activité est interrompue, ou qu’elle ne peut s’effectuer dans des conditions écartant tout risque sanitaire, que l’utilisation d’heures de délégation est impossible et inutile, bien au contraire ! 

Par exemple, des réunions nécessitant une préparation peuvent être prévues (concernant les mesures de protection, en cas de passage au chômage partiel ou de modification de la durée du travail, ou des congés et repos, par exemple). Au-delà de cela, la pose d’heures de délégation se justifie aussi pour répondre aux questions des salariés qui appellent les représentants du personnel concernant leur cas précis ou pour les alerter d’une situation particulière ayant trait à leur situation de travail.

Bien qu’il n’y ait que peu de jurisprudence et que les textes ne tranchent pas cette question (1), nous considérons que les heures de délégation et le temps passé en réunion n’entrent normalement pas dans les heures indemnisées au titre de l’activité partielle. Par conséquent, ces heures doivent être rémunérées normalement. Il faudra donc bien veiller à ce que les heures accomplies au titre du mandat soient bien rémunérées à 100% (et non à 70% comme les heures indemnisées au titre de l’activité partielle).

Pour ces heures, même s’il existe une présomption d’utilisation conforme, il est néanmoins plus prudent de s’en ménager la preuve, par la pratique notamment de bons de délégation.

En outre, la période actuelle, avec les mises en activité partielle, les soucis de protection de la santé des salariés, les difficultés économiques etc., doit, selon nous, être considérée comme pouvant donner lieu à des heures pour « circonstances exceptionnelles », dont bénéficient tant les élus que les délégués syndicaux et les salariés mandatés (cf. art. L2143-13, R2314-1 du Code du travail, L2232-27 du Code du travail).

Attention ! Ces heures ne bénéficient pas de la présomption de bonne utilisation et ne sont pas, de droit, payées à échéance normale comme les heures de délégation « normales ». Il faudra donc se garantir les moyens de justifier de leur réalisation et de leur utilisation conformes au mandat.

 En l’absence de définition légale des circonstances exceptionnelles, ce sont les juges qui apprécient si celles-ci sont, ou non, réunies. La période de crise sanitaire actuelle dans laquelle nous sommes en fait très probablement partie.

Ensuite, lorsque cette période expirera et que le confinement prendra fin, cela dépendra des conditions précises, en particulier économiques, dans lesquelles se trouve chaque entreprise. Cela dépendra aussi de savoir si ces circonstances génèrent, ou pas, un surcroît d’activité pour les représentants.
Ainsi par exemple, l’existence d’un projet de restructuration ou de licenciements collectifs peuvent justifier l’utilisation d’heures sur le fondement des circonstances exceptionnelles (2).

 

  • Les modalités de réunion pendant la période d’urgence sanitaire

L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-389 du 1er avril 2020 portant mesures d'urgence relatives aux instances représentatives du personnel prévoit de nouveaux mécanismes pour permettre au CSE de tenir ses réunions.

Ainsi, les réunions du CSE pendant la période d’état d’urgence sanitaire peuvent-elles être organisées sur simple information des élus par visioconférence, sans que la limite légale de 3 réunions, qui est prévue par le Code du travail en l’absence d’accord, ne s’applique. En d’autres termes, dans ce cas, l’employeur pourra toujours avoir recours à 3 réunions par visio dans l’année quel que soit le nombre de réunions par visio organisées pendant la période d’urgence.

L’employeur peut également décider de procéder par conférence téléphonique, à la simple condition d’en informer les élus préalablement.

Il peut enfin décider d’organiser les échanges par le biais de la messagerie instantanée, mais seulement si ni la visioconférence, ni la conférence téléphonique ne sont possibles, ni si un accord d’entreprise le prévoit. Dans ce cas, les élus doivent également en être informés préalablement.

Des décrets sont attendus pour préciser les modalités de fonctionnement en cas de conférence téléphonique ou d’usage de la messagerie instantanée. Ces textes devront notamment préciser le point de la validité d’un vote par messagerie instantanée !

Pour la CFDT, s’il est évident qu’il était nécessaire d’aménager les modalités d’organisation des réunions du CSE, dans l'attente des décrets, des questions restent pour le moment sans réponse : qu’en est-il par exemple de l’identification des élus en cas de de conférence téléphonique ? Qu’en est-il aussi de l’organisation d’un vote à bulletin secret ?

En revanche, on peut noter avec regret que l’ordonnance ne prévoyant rien sur les délais de consultation, ni dans ses dispositions, ni par renvoi à un décret sur ce point et la loi d’habilitation précisant, en son article 11, qu’il s’agit « de modifier les modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d'émettre les avis requis dans les délais impartis », il est fort probable qu’en l’absence de disposition venant les contrarier, les délais préfix soient maintenus dans toutes les matières autres que celles relatives à la durée du travail (les consultations relatives à la durée du travail, aux congés et aux repos font l’objet de l’article 7 de l’ordonnance ; il est prévu un délai d’1 mois pour rendre un avis).

  • L’accès à l’entreprise et les modalités d’échange avec les salariés pendant la crise

Auparavant, en cas de chômage partiel, l’employeur qui interdisait l’accès aux locaux de l’entreprise pouvait être condamné pour avoir commis un délit d’entrave aux fonctions du représentant (3).

Evidemment, dans la période de crise sanitaire cet accès aux locaux de l’entreprise nous semble pouvoir être restreint en raison des risques de diffusion du Covid et de l’obligation pour l’employeur de protéger la santé des salariés.  Sous cette réserve, l’employeur ne peut s’opposer à la liberté de circulation des élus, du moins tant que des salariés travaillent dans les locaux de l’entreprise ou de l’établissement. Le fait qu’il faille une attestation de déplacement ne semble pas être un motif valable de refus. Il est conseillé de demander à l’employeur de remplir cette attestation en indiquant les locaux auxquels le représentant est autorisé à accéder pour l’exercice de ses mandats.

Enfin, à défaut de pouvoir accéder à l’entreprise pendant la période d’urgence, les échanges des représentants avec les salariés de l’entreprise ne peuvent pas être interdits par l’employeur. Le problème est d’en trouver les modalités, si l’initiative du contact (par exemple téléphonique) ne vient pas des salariés eux-mêmes.

A cet égard, un accord d’entreprise peut autoriser l’usage de l’intranet ou de la messagerie pour communiquer avec les salariés et en définir les modalités (4). Par exemple, un espace sur l’intranet peut être dédié aux échanges pendant la période de confinement. Attention toutefois ! Si l’usage de la messagerie est privilégié, il faut savoir que les salariés doivent être informés préalablement et peuvent, à titre individuel, s’y opposer.

Par ailleurs, l’employeur ne peut limiter l’accès à l’entreprise que pour autant que l’urgence sanitaire et les risques associés perdurent et le nécessitent.

Ainsi, à la fin de la période d’urgence sanitaire (qui ne coïncidera pas nécessairement avec la fin de l’application des dispositions relatives au chômage partiel puisque celui-ci peut durer au-delà de la période sanitaire et aller même jusqu’à 12 mois renouvelables), l’exercice des mandats doit pouvoir reprendre normalement.