CDI intérimaire : point final ?

Publié le 04/12/2018

Le Conseil d’Etat vient de mettre un point final au contentieux de l’extension de l’accord de branche portant création du CDI intérimaire. Au terme d’une procédure de 4 ans, le Conseil d’Etat annule l’arrêté d’extension (CE, 28.12.18 n° 379677). Me Coudray qui a représenté la CFDT dans ce litige nous apporte son éclairage en fin d'article.

Sans surprise. Au terme d’une décision attendue, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’arrêté du 22 février 2014 permettant la mise en place du CDI intérimaire dans la branche du travail temporaire1.  

Il retient que « le ministre chargé du travail ne pouvait légalement étendre un accord créant une nouvelle catégorie de contrat de travail à durée indéterminée, sans habilitation législative à cet effet, et excluant l’application de dispositions d’ordre public du Code du travail relatif au travail intérimaire. ».

Cette décision s’inscrit bien dans une jurisprudence constante sur la capacité de négociation des partenaires sociaux. Le Conseil d’Etat tire assez logiquement les conséquences de la décision de la Cour de cassation de juillet dernier.  

A propos de cette dernière décision, l'avocate de la CFDT dans ce litige avait d’ailleurs pu en tirer l'analyse suivante : « La Cour a considéré que le CDI intérimaire était un nouveau contrat de travail dont les règles de fonctionnement dérogent aux règles d’ordre public absolu qui régissent à la fois le CDI et le contrat de travail temporaire. D’où elle en a déduit que l’accord instituant le CDI intérimaire fixe, en conséquence, des règles qui relèvent de la loi. Autrement dit, les interlocuteurs sociaux ont empiété sur le domaine de compétence exclusive, constitutionnellement garanti, du législateur. »

Dès l’origine, les négociateurs CFDT étaient conscients de ce point. L’article 11 de l’accord précisait d’ailleurs qu’il entrait en vigueur à compter de sa date d'extension « et de l'adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application ».

Interrogée sur le contentieux initié par FO, Véronique Revillod, secrétaire nationale en charge notamment du travail temporaire à la Fédération des services, ne décolère pas : « Il est regrettable de constater que la stratégie de FO revient en fait à faire confiance à l’Etat qui valide un dispositif moins favorable que celui négocié par les partenaires sociaux.  La loi Rebsamen, puis la loi Avenir professionnel, contiennent des revendications du PRISM'EMPLOI, organisation patronale du secteur, notamment sur la carence et sur la durée des missions pouvant être portée à 36 mois contre 18 mois dans l’accord ! ». La CFDT Services reste dubitative sur cette stratégie contentieuse et considère « improbable de voir une organisation syndicale privilégier la précarité au détriment de la sécurité d’emploi ».

La décision du Conseil interroge à la fois sur la validité des CDI intérimaires conclus et sur la validité du fonds de sécurisation des parcours intérimaires mis en place dans le même accord.

 

Qu’est-ce que le CDI intérimaire ?

Il s’agit d’un contrat particulier, réservé au secteur du travail temporaire, permettant à un salarié d’avoir une relation à durée indéterminée avec une agence de travail temporaire et de réaliser différentes missions pour des entreprises utilisatrices. Une des particularités de ce contrat est que pour la période pendant laquelle il n’est pas en mission, période dite d’intermission, le salarié bénéficie d’une rémunération au moins égale aux minima conventionnels, et donc supérieure au SMIC dans ce secteur d’activité.. Ce contrat offre donc une stabilité au travailleur temporaire et permet de bénéficier des avantages du CDI, notamment pour le logement, ou pour obtenir un emprunt.

 

  • Quelles conséquences pour les contrats conclus ?

Conséquences maîtrisées. Le législateur s’était emparé de la question pour sécuriser en deux temps cette relation contractuelle spécifique et quelque peu bancale suite aux première décisions de justice. D’une part avec la mise en place d’un dispositif expérimental dans la loi Rebsamen du 17 août 2015, d’autre part avec sa pérennisation dans le cadre de la loi "Avenir professionnel" du 7 septembre 2018.

Toutefois une crainte subsistait pour les CDII conclus entre la date de mise en place du dispositif conventionnel et l’entrée en vigueur de la loi Rebsamen, soit du 6 mars 2014 au 9 août 2015. Crainte rapidement levée par l’entrée en vigueur de la loi Avenir professionnel, celle-ci présumant conformes à la loi Rebsamen les contrats conclus pendant cette période. Pour être précis, la validité des contrats pourra être remise en cause devant les conseils de prud'hommes seulement s'ils méconnaissent les dispositions du Code du travail issues de la loi Rebsamen, puis de la loi Avenir professionnel. 

Le Conseil d’Etat tire les conséquences de cette légalisation et sécurisation du CDI intérimaire et refuse de limiter les effets dans le temps de sa décision faute donc de « conséquences manifestement excessives » sur les relations contractuelles.

 

Le long chemin contentieux avant la décision du Conseil d'Etat :

8.07.15 : le Conseil d’Etat, saisi par la CGT-FO, renvoie les parties devant le TGI de Paris sur le point de savoir si les partenaires sociaux avaient compétence pour créer le CDI intérimaire.

15.11.16 : le TGI de Paris déboute FO. Selon le tribunal, les partenaires sociaux avaient bien compétence pour conclure l’accord litigieux et dans tous les cas, le dispositif de CDI intérimaire était plus favorable que le contrat de mission.

12.07.18 : la Cour de cassation casse la décision du TGI. Elle considère que les partenaires sociaux ont créé une nouvelle catégorie de contrat dérogeant aux règles d’ordre public absolu qui régissent le CDI  et le contrat de mission.

 

  • Quelles conséquences sur le fonds de sécurisation des parcours intérimaires ?

Le grand flou. La CFDT a rapidement relevé une insécurité pour le fonds de sécurisation des parcours intérimaires (FSPI) prévu dans le même accord. Ce fonds est dédié à l’accompagnement, au suivi, à la formation et à l’investissement. Il a ainsi permis de lever les freins périphériques à l’emploi de 80 000 intérimaires par an. A la différence du CDI intérimaire, aucune loi n’est venue sécuriser ce fonds.

La décision du Conseil d'Etat répond en partie au problème puisqu’elle considère que sur ce point, l’annulation rétroactive de l’accord aurait des conséquences manifestement excessives (cotisations indues pour les employeurs, restitution des sommes versées pour les intérimaires). Le fonds a donc été sanctuarisé pour le passé. Néanmoins, faute de nouvelles négociations dans le secteur, son existence est menacée.

Pour la CFDT, il n'est pas acceptable que les choses en restent là ! Lors de la signature de l’accord, ce fonds constituait un ensemble indivisible et il avait notamment permis aux employeurs du secteur d’éviter une surcotisation sur les CDD de courte durée, estimée à 320 millions d’euros.

Le sujet est donc sur la table de manière, lui aussi, indéterminée... Au moins jusqu'à ce que les partenaires sociaux du secteur inscrivent à l'ordre du jour, la négociation du FSPI, à la demande de la CFDT en octobre dernier. 


 

 

- Questions à Me Coudray, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (réseau Avec) : 

Me Coudray représente la CFDT depuis 2014 dans le contentieux de l'extension de l'accord. 

 

CFDT - Une décision logique au regard de l’orthodoxie juridique ?

Me Coudray - Inéluctable, même ! Comme l’avait parfaitement souligné B. Bursztein, les règles générales qui gouvernent le contrat de travail sont des règles dont la Constitution prévoit qu’elles ne peuvent être fixées que par la loi. Puisqu’il n’était pas discutable que l’accord édictait des « règles générales gouvernant le contrat de travail », il en résultait nécessairement que la compétence donnée au législateur avait été méconnue. La Cour de cassation ayant ainsi jugé que l’accord empiétait sur la compétence du Parlement, le Conseil d’Etat n’avait ensuite pas d’autre choix que d’en tirer pour conséquence que l’autorité administrative ne pouvait procéder à l’extension de cet accord.

CFDT - Pouvez vous nous éclairer sur les notions complexes de "rétroactivité" et de conséquences "manifestement excessives" visées par le Conseil d'Etat dans la décision ?  

Me Coudray - Le principe est que l’annulation d’un acte, prononcée par une juridiction administrative, est rétroactive. La décision annulée est censée n’avoir jamais existé et l’exécution d’une telle annulation suppose donc de faire disparaître les mesures prises, pendant la durée de la procédure, en exécution ou sur le fondement de l’acte qui a finalement été annulé. On comprend bien ce que cela peut parfois avoir de compliqué. Pour éviter que de tels effets entrainent des conséquences trop lourdes, le Conseil d’Etat a décidé (C.E. Assemblée 11 mai 2004, Association AC ! et autres, requête n° 255886) que le juge peut, exceptionnellement, pour éviter des conséquences « manifestement excessives », moduler dans le temps les effets d’une annulation. Le principe reste donc que l’annulation est prononcée à compter de la date d’entrée en vigueur de la décision annulée ; par exception, l’annulation peut ne prendre effet qu’à la date de la décision d’annulation, voire même plus tard, si le Conseil d’Etat estime devoir donner à l’auteur de l’acte annulé un délai pour reprendre un nouvel acte, cette fois-ci légal.

Ici, le Conseil d’Etat a considéré qu’une telle modulation n’était pas nécessaire s’agissant des CDII eux-mêmes, dans la mesure de l’intervention des lois du 17 août 2015 et du 7 septembre 2018 qui sont venues valider les contrats conclus sur la base de l’accord illégal. Il a en revanche estimé devoir faire jouer cette modulation pour le fonds de sécurisation des parcours intérimaires en ne prononçant, sur ce point, l’annulation de l’arrêté d’extension qu’à compter du 28 novembre 2018 et donc en décidant que tous les actes antérieurs - sous réserve de contentieux qui seraient en cours - sont considérés comme ayant été pris sur la base d’un accord valablement étendu.

On peut en revanche être extrêmement déçus que le Conseil d’Etat n’ait pas estimé devoir aller plus loin, en reportant à plus tard les effets de l’annulation de façon à laisser le temps aux partenaires sociaux de conclure un nouvel accord incluant ce fonds...


 

  1. Accord relatif à la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire du 10.07.13.

  2. C'est la Fédération des services qui représente le secteur du travail temporaire au niveau national. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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