CDD : l’effectivité de la requalification en CDI est-elle possible ?

Publié le 30/03/2016

Le conseil de prud’hommes peut, en référé, ordonner le maintien du contrat de travail jusqu’au prononcé de la décision sur le fond statuant sur une demande de requalification d’un CDD en CDI. L’employeur ne peut pas accéder à la demande de requalification du CDD en CDI pour ensuite licencier le salarié sans porter atteinte à son droit d’agir en justice. Cass.soc, 16 mars 2016, n°14-23589.

Le Code du travail offre la possibilité au salarié en contrat à durée déterminée de saisir les juges afin d’obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée lorsqu’il considère que ce ou ces contrats ne remplissent pas les conditions légales. Le Code du travail prévoit même que dans une telle situation, le dossier est porté directement devant le bureau de jugement, qui doit statuer dans un délai d’un mois suivant la saisine(1). L’objectif de cette procédure « rapide », sans phase de conciliation, est de permettre l’effectivité de la requalification en CDI, lorsque le salarié est toujours en emploi.

Pour autant, force est de constater que l’encombrement de la justice prud’homale ne permet pas, dans la quasi-totalité des cas, le rendu du jugement sous ce délai d’un mois. Ainsi, bien souvent, lorsque le jugement est prononcé, le salarié n’est plus en poste, la requalification en CDI n’est pas effective et ne peut donc se traduire que par le versement de dommages et intérêts.

Se pose alors la question de savoir comment faire, en dehors de cette procédure rapide, pour que le salarié qui demande une requalification de son CDD en CDI conserve son emploi.

Un salarié astucieux, suivi par des conseillers prud’hommes courageux, a peut-être trouvé la solution !

Ce dernier enchaînait les CDD, sur un même poste et pour le même employeur, depuis juillet 2009. Le dernier contrat signé devait prendre fin le 31 décembre 2012.

Avant cette date, il avait saisi le conseil de prud’hommes au fond afin d’obtenir la requalification de ces contrats en CDI.

Le référé pour obtenir le maintien du contrat jusqu’au prononcé de la décision de justice au fond : une solution ?

Il a en parallèle saisi le conseil en référé afin d’obtenir le maintien du contrat de travail jusqu’à la décision d'intervenir au fond, ce qu’il a obtenu par une ordonnance rendue avant la fin de son contrat de travail.

Voilà ici un bon moyen, inédit, pour assurer la continuité du contrat de travail, sous réserve bien évidemment, d’être suivi par les juges du fond.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là ! L’employeur, lui aussi, a cru bon pouvoir user d’astuces pour contourner l’ordonnance de référé.

En effet, trois mois plus tard, il informe le salarié qu’il accède à sa demande de requalification des CDD en CDI, en même temps qu’il le convoque à un entretien préalable au licenciement ! Puis le licencie pour insuffisance professionnelle.

Le salarié ajoute alors à sa demande initiale une demande tendant à la nullité de son licenciement et à sa réintégration, pour violation du droit d’agir en justice.

Il est débouté par la cour d’appel, qui considère que l’employeur, en transformant le CDD en CDI, a épuisé les effets de l’ordonnance de référé et que par conséquent, les droits fondamentaux du salarié n’ont pas été violés.

Elle rejette par conséquent la demande de réintégration dans la mesure où, selon elle, aucun droit fondamental n’a été atteint.

La Cour de cassation, alors saisie du pourvoi, a dû répondre aux questions suivantes.

  • L’employeur peut-il contourner l’ordonnance de référé en requalifiant lui-même le contrat en CDI, puis prononcer un licenciement sans porter atteinte au droit d’agir en justice ?

Sur le fondement des articles L.1121-1(2) du Code du travail et 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et après avoir rappelé le principe selon lequel « est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié », la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel.

Elle précise que « l’employeur n’avait pas, en licenciant le salarié le 19 avril 2013, respecté les dispositions de l’ordonnance de référé qui prescrivaient la poursuite du contrat de travail jusqu’à l’intervention de la décision au fond du conseil de prud’hommes ».

La Cour ajoute que la cour d’appel aurait donc dû rechercher « si l’employeur avait utilisé son pouvoir de licencier en rétorsion à l’action en justice du salarié ».

Si tel est le cas, le licenciement est frappé de nullité car portant atteinte à un droit fondamental du salarié, celui d’agir en justice.

Voici une belle décision de la Cour de cassation, qui sauvegarde le droit d’agir en justice, mais qui protège aussi les salariés qui oseraient tenter de sortir de la précarité en usant de ce droit, via la saisine des juges, pour obtenir le maintien de leur contrat dans l’attente d’une décision sur la requalification du CDD en CDI.

Cette décision pourra, on l’espère, encourager plus d’un défenseur syndical à user de la voie du référé dans pareille situation, mais aussi venir appuyer les conseillers prud’hommes référistes dans leur prise de décision.



(1) Article L.1245-2 du code du travail.

(2) L’arrêt de la Cour de cassation vise l’article L.1221-1 du Code du travail. Il semblerait qu’il s’agisse d’une erreur de frappe et que ce soit l’article L.1121-1 du code qui soit en réalité visé. En effet, le premier moyen de cassation annexé au pourvoi fait bien référence à l’article L.1121-1.