Faute grave : en cas d’absence du salarié, l’employeur a plus de temps pour le licencier

Publié le 30/03/2022

Une fois qu’il a connaissance des faits fautifs commis par le salarié, l’employeur qui envisage de le licencier pour faute grave doit en principe engager la procédure disciplinaire dans un délai restreint. On considère en effet que le comportement du salarié est si grave qu’il rend impossible son maintien dans l’entreprise, y compris durant le préavis.

Mais qu’en est-il de ce délai lorsque le salarié est déjà absent de l’entreprise ? Pour la première fois, la Cour de cassation tranche cette question. Cass.soc.09.03.22, n°20-20872.

Faits et procédure

Alors qu’elle est en arrêt maladie depuis le 31 mai 2013, la salariée d’un cabinet d’assurance est convoquée à un entretien préalable au licenciement le 14 novembre 2014, puis licenciée pour faute grave par lettre du 12 décembre 2014. Jusque-là rien d’original, si ce n’est que les faits reprochés remontent à 2011 et 2012 et que l’employeur n’en a eu connaissance que le 17 octobre 2014…

Or pour la salariée, l’employeur, qui a laissé s’écouler 4 semaines entre le moment où il a connu les faits et le moment où il a engagé la procédure de licenciement, a trop tardé et ne peut plus invoquer la faute grave. Elle décide donc de contester son licenciement devant le conseil de prud’hommes.

Seulement les juges du fond ne vont pas lui donner raison : la salariée se pourvoit alors en cassation.

La question étant de savoir si le fait que l’employeur ait engagé la procédure disciplinaire 4 semaines après avoir eu connaissance des faits fautifs retire toute gravité à la faute commise par le salarié.

Pour rappel : la procédure disciplinaire oblige en principe l’employeur à agir dans un délai restreint

La faute grave a de lourdes conséquences pour le salarié : il est congédié immédiatement, sans préavis, et il perd le droit à ses indemnités de licenciement(1). C’est pourquoi la loi et la jurisprudence ont strictement encadré la procédure de licenciement pour ce type de faute.

L’employeur doit en effet engager la procédure de licenciement dans les 2 mois suivant le jour où il a eu connaissance des faits fautifs (2). Au-delà, il ne peut plus le faire, sauf exceptions (3).

La Cour de cassation a précisé les éléments qui caractérisent une faute grave selon elle :

- celle-ci doit résulter d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable(s) au salarié personnellement ;

- ces faits doivent constituer la violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise ;

- enfin, la faute doit rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

C’est précisément ce dernier élément qui nous intéresse ici, puisque c’est celui-ci qu’invoque la salariée. Pour que la faute grave soit retenue, encore faut-il que les faits incriminés rendent impossible la poursuite de la relation contractuelle - y compris pendant le temps du préavis qui peut s’imposer. Ce qui suppose qu’une fois avoir eu connaissance des faits fautifs, l’employeur mette rapidement en œuvre la procédure de licenciement, c’est-à-dire, dans un délai restreint (4).

Les juges considèrent en effet que si l’employeur tarde à sanctionner le salarié, la faute ne peut plus être considérée comme grave, et ce, même s’il a engagé la procédure disciplinaire dans le délai de prescription requis.

C’est par exemple le cas si l’employeur licencie le salarié plus de 2 mois après l’entretien préalable (5), ou encore s’il convoque le salarié à un entretien préalable plus de 3 semaines après la connaissance des faits (6).

Il faut noter que la jurisprudence ne fixe pas de délai précis, ce sont les juges du fond qui l’apprécient au cas par cas, sachant qu’en principe, l’employeur doit agir rapidement !

Attention ! Dans des situations particulières, il est admis qu’il puisse s’écouler un certain délai entre le licenciement et le départ effectif du salarié :

- Le salarié peut être maintenu dans l’entreprise pendant le temps nécessaire à l’accomplissement des formalités légales (7).

- L’employeur peut licencier le salarié même si les faits ont été commis il y a un certain temps lorsqu’il n’en a eu connaissance qu’ultérieurement (8) ou lorsqu’il a eu besoin d’un délai pour s’assurer de l’existence même de la faute reprochée au salarié ou pour en apprécier la gravité (9).

- Enfin, d’autres circonstances particulières peuvent justifier un délai entre la connaissance des faits et le licenciement, à condition de se trouver dans le délai de prescription : la volonté de l’employeur de ne pas prononcer une sanction trop hâtive (10), une tentative de négocier le départ du salarié (11), etc.

Un délai qui se trouve prolongé en cas d’absence du salarié

Bien que les 4 semaines qui se sont écoulées entre la connaissance des faits fautifs et l’engagement de la procédure de licenciement puissent sembler un peu longues, la Cour de cassation va ici rejeter le pourvoi de la salariée et confirmer la position des juges du fond.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’au-delà de ces 4 semaines, un autre élément doit être pris en compte : le fait que la salariée soit absente de l’entreprise.

Pour les juges, le fait, pour l’employeur, de laisser s’écouler un délai entre la révélation des faits et l’engagement de la procédure de licenciement ne peut pas avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, dès lors que la salariée dont le contrat était suspendu était absente de l’entreprise.

Autrement dit, le fait que l’employeur ait, en raison de l’absence de la salariée, engagé tardivement la procédure de licenciement, n’exclut pas la possibilité d’invoquer sa faute grave.

La solution peut paraître logique : si le salarié est absent, la condition selon laquelle sa faute, pour être grave, doit rendre impossible son maintien dans l’entreprise a automatiquement moins de sens.  Attention toutefois, car si les juges accordent ainsi plus de temps à l’employeur pour décider ou non de licencier un salarié pour faute grave, lorsque celui-ci est déjà absent de l’entreprise, elle ne remet pas en cause le délai de prescription de 2 mois dont il dispose pour engager la procédure disciplinaire !

 

 

(1)Art. L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 C.trav.

(2)Art. L.1332-4 C.trav.

(3)Sauf poursuites pénales et autres situations particulières.

(4)Cass.soc.28.01.14, n°12-17862.

(5)Cass.soc. 07.04.93, n°91-42340.

(6)Cass.soc.23.10.12, n°11-23861 ; Cass.soc.04.05.17, n°15-20184.

(7)Cass. soc.08.07.85, n° 85-41.507 ; Cass. soc.5.11.87, n° 84-44.971.

(8)Cass. soc.13.03.74, n° 73-40.476.

(9)Cass. soc.12.10.83, n° 81-40.703 ; Cass. soc.10.03.93, n° 91-44.504

(10)Cass. soc.10.06.98, n° 96-42.019.

(11)Cass. soc.27.06.91, n° 89-44.148.

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