Temps partiel : les compléments d’heures ne peuvent aller jusqu’au temps plein

Publié le 12/10/2022

Les salariés à temps partiel peuvent signer avec leur employeur un avenant dit de complément d’heures, par lequel ils s’engagent, sur un temps donné, à travailler au-delà de la durée du travail initialement contractualisée.

Cet avenant est-il pour autant autorisé à porter la durée du travail de ces salariés au niveau - voire au-delà - de la durée légale ou conventionnelle de travail ? C’est à cette délicate question que la Cour de cassation est venue répondre, dans un arrêt rendu au mois de septembre.

Cass. soc. 21.09.22, n° 20-10.701, publié au Bulletin.   

Compléments d’heures et heures complémentaires : quelle différence ?

Depuis presque 10 ans maintenant, la loi autorise employeurs et salariés à temps partiel à signer des avenants permettant, pour un temps donné, de revoir à la hausse la durée du travail initialement contractualisée. Ce dispositif dit des compléments d’heures se distingue très clairement de celui, bien plus ancien, des heures complémentaires qui ne relève pas du contractuel, mais bel et bien du pouvoir de direction de l’employeur, à l’instar des heures supplémentaires des salariés à temps plein.

Nous l’aurons donc compris :

- le recours aux compléments d’heures nécessite que le salarié ait accepté la proposition de l’employeur, via la signature d’un avenant à son contrat de travail ;

- tandis que le recours aux heures complémentaires peut être unilatéralement décidé par l’employeur, dans la limite d’un certain volume(1).

Autre différence notoire entre les deux dispositifs : les heures effectuées dans le cadre d’un complément d’heures ne sont pas nécessairement majorées, tandis que les heures complémentaires le sont légalement dès la première heure réalisée(2).     

Les employeurs ne sont pas tous habilités à recourir aux compléments d’heures. Pour qu’ils le soient, une convention ou un accord de branche étendu doit le permettre. Et c’est précisément à cette convention ou cet accord qu'il revient de « prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans la cadre d’un avenant »(3).

Un complément d’heures particulièrement conséquent

Dans l’affaire ici commentée, une salariée de la société Master Net évolue dans le secteur du nettoyage sous couvert d’un contrat de travail à temps partiel à 86,67 heures mensuelles.

Fin 2014, elle se voit proposer la signature d’un avenant complément d’heures portant sa durée mensuelle de travail à 152 heures pour une période de 11 mois, courant du 1er janvier 2015 au 6 novembre 2015.

152 heures mensuelles, c’est à dire très légèrement au-dessus du niveau de la durée du travail d’un salarié à temps plein qui, comme nous le savons, s’établit à 151,67 heures mensuelles.  

Une fois cet avenant signé, il a trouvé à s’appliquer jusqu’à son terme et la salariée a effectivement été amenée à travailler 152 heures par mois… avant que le 7 novembre 2015 ne vienne sonner l’heure du retour aux 86,67 heures mensuelles initialement contractualisées.

Une action de la salariée pour faire requalifier son contrat de travail en contrat temps plein

Le 21 avril 2016, la salariée saisit le conseil de prud’hommes d’une action en requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. Mais sa requête ne rencontre aucun écho, ni aux prud’hommes, ni en cour d’appel. La salariée est à chaque fois déboutée au motif que ni le Code du travail, ni la convention collective des entreprises de propreté et services associés n’avait entendu limiter le nombre d’heures susceptibles d’être réalisées dans le cadre d’un avenant compléments d’heures…

Pas découragée pour autant, elle décide de se pourvoir en cassation en affirmant que les juges du fond avaient violé l’article L. 3123-25 du Code du travail(4) qui, selon elle, devait être lu comme interdisant, dans le cadre d’un avenant complément d’heures « de porter la durée du travail à un niveau égal ou supérieur à la durée légale du travail ».

Et, in fine, la Haute-juridiction décide de lui donner raison en usant d’un raisonnement en trois temps.

- 1er temps - Si l’article L. 3123-25 du Code du travail(5) n’interdit pas expressément aux avenants complément d’heures d’atteindre ou de dépasser le niveau de la durée légale de travail, il précise cependant in fine que « les heures complémentaires accomplies au-delà de la durée déterminée par l’avenant donnent lieu à une majoration salariale qui ne peut être inférieure à 25% ». Ce texte prévoit donc la possible réalisation, par un salarié signataire d’un avenant complément d’heures, d’heures complémentaires.

- 2è temps - L’article L. 3123-17 alinéa 2 du Code du travail(6), quant à lui, indique que ces heures complémentaires « ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement ».

- 3è temps - En combinant ces deux articles du Code du travail, on peut en tirer la conclusion suivante :  si des heures complémentaires peuvent être réalisées au-delà de la durée de travail fixée à l’avenant complément d’heures, c’est donc bien que cette durée ne peut être fixée à hauteur de la durée légale ou conventionnelle. Sans quoi les heures réalisées au-delà ne seraient plus être des heures complémentaires… mais des heures supplémentaires ! CQFD.

L’arrêt rendu par la cour d’appel qui avait débouté la salariée ne pouvait donc qu’être cassé.

Complément d’heures / heures complémentaires : alignement de jurisprudences

S’agissant des heures complémentaires, la jurisprudence était déjà fixée depuis fort longtemps. De manière constante, elle considère en effet que « la sanction de l’inobservation de ce plafond est la requalification du temps partiel en temps complet à compter de la date à laquelle le dépassement a eu lieu »(7).  

S’agissant des compléments d’heures, la jurisprudence est désormais calée sur le même principe.

Aussi, dès lors qu’un salarié à temps partiel est conduit à travailler à temps plein, que ce soit par l’entremise d’heures supplémentaires ou par celle de compléments d’heures, il doit être considéré comme étant à temps plein à compter « de la date à laquelle le dépassement a eu lieu ».

L’apport de l’arrêt ici commenté est d’autant plus précieux que, sur ce point, les textes régissant les avenants complément d’heures sont relativement imprécis et qu’à l’époque de leur adoption législative, l’intention du législateur était pour le moins incertaine(8)…

De nombreuses conventions et accords collectifs de travail étendus précisent expressément que les avenants complément d’heures sont autorisés à atteindre la durée légale de travail.

Nous devons être attentifs à cette situation et considérer que les clauses en disposant ainsi doivent désormais être écartées en cas de contentieux. De même qu’elles devraient pouvoir être rapidement renégociées !

 

 

[1] Volume fixé par la loi (art.L.3123-28 C.trav.) et éventuellement par les accords collectifs de travail (art.L.3123-20 C. trav.) et qui doit impérativement être indiqué au contrat de travail (art. L.3123-6 4° C. trav.).

[2] Art. L.3123-8 C.trav. : « Chacune des heures complémentaires accomplies donne lieu à une majoration de salaire ».

[3] Art. L.3123-22 2° C.trav.

[4] Devenu depuis art. L.3123-22 C.trav.

[5] Devenu depuis art. L.3123-22 C.trav.

[6] Devenu depuis art. L.3123-9 C.trav.

[7] Cass.soc. 05.04.06, n° 04-43.180, cass.soc. 12.03.14, n° 12-15.014, cass.soc. 06.07.16, n°14-25.881.

[8] Liaisons sociales quotidien du 04.10.22. Cf. « Un avenant complément d’heures ne peut porter la durée du travail au niveau d’un temps plein ».