Licenciement nul :  l’indemnisation en cas de pluralité de motifs est précisée

Publié le 16/11/2022

Depuis les ordonnances Macron, la nullité du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale ne dispense pas les juges d’examiner les autres griefs reprochés au salarié pour évaluer le montant de l’indemnité qui lui est due.  

Pour la première fois, la Cour de cassation précise qu’il s’agit là d’un moyen de défense au fond ne s’imposant au juge que si l’employeur en a fait la demande...Cass.soc.19.10.22, n°21-15.533.

Un licenciement jugé nul, peu importe une pluralité de motifs !

Dans cette affaire, une salariée a saisi le conseil de prud'hommes pour faire reconnaître la nullité de son licenciement. Dans la lettre de licenciement,  l’employeur fait en effet référence à une action en justice engagée par la salariée suite à un avertissement non justifié. D’autres motifs, qui ne sont pas à l’origine de la nullité, y sont également mentionnés.

Appliquant une jurisprudence constante (1), les juges ne tiennent pas compte de ces autres motifs et annulent le licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale : celle du droit d’ester en justice. Il s’agit là de la théorie du motif contaminant.

Mais attention, si la pluralité de motifs dans la lettre de licenciement n’impacte pas la nullité du licenciement, elle peut avoir un impact sur le calcul de l’indemnisation due à la salariée lorsqu’elle ne demande pas sa réintégration ! C’est là le véritable enjeu de notre arrêt…

Pour rappel, l’indemnisation du licenciement nul échappe au plafonnement issu du barème Macron

En cas de nullité du licenciement, l’article L.1235-3-1 du Code du travail prévoit que le salarié a droit :

- soit à sa réintégration dans l’entreprise, accompagnée d’une indemnité d’éviction correspondant à la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration (sans déduction des salaires perçus dans l’intervalle dans le cas d’une violation d’une liberté fondamentale) ;

- soit, s’il ne demande pas sa réintégration, à une indemnité pour licenciement nul (non soumise au plafonnement issu du barème Macron), dont le montant minimum s’élève à 6 mois de salaire et qui s’ajoute aux indemnités de rupture.

L’indemnisation peut néanmoins être minorée si plusieurs griefs sont invoqués…

L’ordonnance n°2017-1387 du 22.09.17 a certes consacré la théorie du motif contaminant, et ainsi fait échapper cette indemnité au plafonnement issu du barème Macron, mais le législateur a néanmoins introduit l’article L.1235-2-1 précisant que la nullité de la rupture encourue ne dispense pas le juge d’examiner les autres griefs pour éventuellement en tenir compte au moment du calcul de l’indemnisation accordée au salarié lorsqu’il ne demande pas sa réintégration.  Sachant qu’en tout état de cause, le juge devra octroyer au salarié une indemnité minimum de 6 mois de salaire !

La tournure du texte laisse à penser qu’il s’agit là d’une obligation pour le juge d’examiner les autres griefs au moment de l’évaluation de l’indemnisation. C’est d’ailleurs également ce qu’a pensé l’employeur dans notre affaire. Ce dernier reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné les autres motifs de la lettre de licenciement pour évaluer l’indemnité due au salarié (l’employeur a été condamné au versement de 16 mois de salaire). Pour les juges du fond, l’employeur aurait dû leur faire cette demande à titre subsidiaire, sans quoi rien ne les obligeait à examiner les autres motifs de licenciement.  

La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante :  

En cas de licenciement jugé nul pour violation d’une liberté fondamentale, les juges doivent-ils d’office examiner les autres motifs de licenciement pour évaluer l’indemnisation allouée au salarié ?

… mais à la condition que l’employeur en fasse la demande

La Cour de cassation cite l’article L.1235-2-1 du Code du travail et reconnaît ainsi la possibilité offerte à l’employeur que les juges examinent les autres motifs invoqués dans la lettre de licenciement, bien qu’il soit jugé nul.

En revanche, la Cour de cassation, qui se prononce pour la première fois sur cet article issu des ordonnances de 2017 précise que :ces dispositions offrent à l’employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l’indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire.

Si l’employeur veut en bénéficier, encore faut-il qu’il en fasse la demande aux juges ! C’est alors seulement que le magistrat « examine si les autres motifs invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l’indemnité versé au salarié ».

Or, comme le souligne la Cour de cassation, les juges du fond ont relevé que l’employeur n’avait pas critiqué à titre subsidiaire la somme réclamée par la salariée en conséquence de la nullité de son licenciement. Les juges n’étaient donc pas contraints de les examiner.

Une solution logique

Cette solution est assez logique, puisque les juges font application des principes de la procédure civile. Le juge n’est en effet pas tenu de soulever d’office les moyens de défense au fond qui ne sont pas de pur droit et d’ordre public. Ce qui n’est pas le cas ici...

Les Sages ne se sont donc pas fait piéger par l’écriture de cet article, qui pouvait laisser entendre que le juge devait d’office examiner les autres motifs. À travers cet article, le législateur souhaitait certes consacrer la théorie du motif contaminant, mais aussi signifier que dans une telle situation, l’indemnisation puisse être minorée.

Pour la CFDT, dès lors qu’il s’agit d’un licenciement jugé nul pour violation d’une liberté fondamentale, l’indemnisation du préjudice doit être intégrale ! D’ailleurs, un relativement récent rapport de l’OIT du 16.02.2022 (article 10) va dans ce sens.

Un autre apport dans cet arrêt :  l’employeur n’a pas à rembourser les indemnités chômage 

Sur un autre moyen, la Cour de cassation va en revanche casser l’arrêt de la cour d’appel. Dans cette affaire, les juges du fond ordonnent à l’employeur le remboursement à Pôle emploi des indemnités chômage (dans la limite des 6 mois). Pour la Cour de cassation, cette obligation n’est prévue par aucun texte. En effet, les cas de remboursement par l’employeur des indemnités chômage à la suite d’une nullité de licenciement sont de droit strict et limitativement énumérés par l’article L.1235-4 du Code du travail.

Or, cet article ne prévoit pas le cas d’un licenciement faisant suite à une action en justice du salarié, comme c'est le cas dans notre affaire. L’article L.1235-4 ne vise donc pas, et c’est dommage, l’ensemble des cas de nullité d’un licenciement...

 

(1) Cass.soc.03.02.16, n°14-18.600.

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