Discrimination à l’embauche : la preuve par trois !

Publié le 25/01/2023

Comment prouver une discrimination à l’embauche ? Hormis certains cas de discriminations criantes et sans complexes, la chose est bien souvent délicate. Un arrêt récent de la Cour de cassation offre une piste intéressante. Pour la haute juridiction, la comparaison statistique des profils des candidats recrutés en CDI et de ceux non recrutés, en fonction de l’origine de leurs patronymes, permet de laisser supposer l’existence d’une discrimination systémique à l’embauche. Cass.soc.14.12.22, n°21-19628.

Un intérimaire se dit victime d’une discrimination à l’embauche fondée sur son patronyme…

L’affaire commence de manière banale : un salarié est recruté en intérim de façon intermittente pendant plusieurs années sur des postes de monteur et de pré-monteur, sans jamais se voir proposer de contrat à durée indéterminée.

Au bout de quelques années, il décide de saisir la juridiction prud’homale pour demander la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée, ainsi que des dommages-intérêts en réparation de la discrimination dont il estime avoir été victime en raison de son patronyme extra-européen.L’article L.1132-1 du Code du travail interdit les mesures discriminatoires dans l’emploi (licenciement, refus de formation, sanction…), en raison d’un certain nombre de motifs parmi lesquels on trouve le nom de famille, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une prétendue race. Ainsi, un candidat ne doit-il pas être écarté d’une procédure de recrutement sur l’un de ces motifs.

Pour appuyer cette dernière demande, il produit des analyses statistiques s’appuyant sur le registre du personnel et l’organigramme de la société. Ces analyses font ressortir que :

  • environ 3 fois plus d’intérimaires ayant un patronyme européen, que d’intérimaires aux patronymes extra-européens, se sont vu proposer un CDI à l’issue de leur mission en CDD (18% env. contre 7%) ;
  • les 4/5 des salariés aux patronymes européens sont en CDI, tandis que seulement 1/5 environ des salariés à patronyme extra-européen le sont ;
  • les salariés à patronyme extra-européen représentent environ 2% des salariés en CDI mais 8% des intérimaires en CDD.

L’employeur tente de se justifier, en produisant 4 contre-exemples et en alléguant que lors des derniers recrutements, les candidats plus jeunes ont été préférés…

La cour d’appel donne raison au salarié et condamne l’employeur pour discrimination à l’embauche en raison de son patronyme extra-européen.

L’employeur forme un pourvoi.

Les analyses statistiques peuvent laisser supposer une discrimination…

Devant la Haute juridiction, l’employeur prétend que la seule comparaison statistique des salariés en CDI avec ceux recrutés dans le cadre d’un contrat temporaire selon leur patronyme est insuffisante à laisser supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche.

L’article L.1134-1 du Code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à une discrimination prohibée, le candidat à un emploi, à un stage, à une formation, le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte (…) ». Au vu de ces éléments, le défendeur doit « prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle considère que la cour d’appel a pu considérer que les éléments produits par le salarié pris dans leur ensemble laissent supposer une discrimination à l’embauche, ce dont il résulte que l’employeur doit justifier sa décision par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Or, les juges du fond ont retenu que « l’employeur n’apportait pas d’analyse réfutant celle faite par le salarié ».

Une méthode statistique issue du droit européen de l’égalité entre les femmes et les hommes

Pour l’essentiel, la Cour de cassation ne fait là qu’appliquer l’aménagement de la charge de la preuve spécifique à la non-discrimination et rappeler le « pouvoir souverain d’appréciation » des juges du fond sur les éléments de preuve qui lui étaient soumis.

Toutefois, la solution -qui admet pour la première fois à notre connaissance des éléments de preuve reposant sur la statistique en matière d’embauche- n’est pas sans rappeler des décisions européennes anciennes ayant fait avancer le droit de la non-discrimination entre les femmes et les hommes.

En effet, dès 1993, dans un arrêt Enderby (1), la Cour de justice a admis la possibilité pour les juges nationaux d’accueillir la preuve statistique en ces termes : « il appartient au juge national d’apprécier s’il peut prendre en compte ces données statistiques, c’est-à-dire si elles portent sur un nombre suffisant d’individus, si elles ne sont pas l’expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels et si d’une manière générale, elles apparaissent significatives ». Et la Directive n°2000/43/CE de préciser elle aussi (2) la possibilité de faire référence à la preuve par comparaisons statistiques !

Cette affaire ne fait donc que nous rappeler que la méthode statistique, utilisée également pour prouver certaines discriminations syndicales bien qu’avec davantage de difficultés à constituer un groupe de comparaison (3), mérite d’être mobilisée.

 

(1)CJCE, 27.10.93, aff. C-127/92.

(2)Point 15 de son exposé des motifs.

(3)Méthode Clerc.

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