Temps partiel : la nullité d’une clause d’exclusivité ne conduit pas nécessairement au temps plein

Publié le 21/04/2021

Au vu des conséquences qu’elle est susceptible d’avoir sur le droit à l’emploi, il est très rare qu’une clause d’exclusivité élise domicile dans un contrat de travail à temps partiel. En droit, une telle perspective n’est cependant pas tout à fait exclue. Dans ce cas, et si le salarié fait reconnaître en justice la nullité d’une telle clause, il n’est pas fondé à demander aux juges qu’ils en déduisent la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. Il devra donc se contenter de dommages-intérêts ayant pour objet de réparer le préjudice subi. Cass.soc., 24 .03.21, n° 19-16.418

Comme son nom l’indique, l’objectif d’une clause d’exclusivité est que le salarié ne travaille qu’au seul service de l’employeur avec lequel il contracte. Longtemps, la jurisprudence a très largement admis la validité de ce type de clause. Par son biais, elle considérait en effet que ce n’était pas seulement une activité concurrente à son activité principale dont l’accès pouvait être refusé au salarié, mais toute autre activité professionnelle, quelle qu’en soit la nature(1).

Ce n’est qu’à l’aube du 21è siècle que les conditions de validité de la clause d’exclusivité se sont sensiblement resserrées. Depuis juillet 2000 en effet, la Cour de cassation considère que seules les activités concurrentielles à celles de l'employeur peuvent entrer dans le champ des activités dont l’exercice est interdit(2).

Que s’est-il passé dans cette affaire ?

Du 17 mai 2014 au 31 mars 2015, un salarié a exercé en qualité d’agent de sécurité pour la société Agi sécurité, sous couvert de CDD à temps partiel successifs. Or, l’un de ses contrats, celui conclu le 1er juin 2014, « stipulait que le salarié s’obligeait à réserver à l’entreprise l’exclusivité de ses services, l’exercice de toute autre activité professionnelle, soit pour son compte, soit pour le compte d’un tiers, lui étant formellement interdit ».

Contestant la validité de cette clause d’exclusivité, il a par la suite saisi le conseil de prud’hommes afin d’y requérir la requalification du CDD à temps partiel conclu le 1er juin 2014 en CDI temps plein.

Clause d’exclusivité et contrat de travail à temps partiel sont-ils juridiquement compatibles ?

Sur ce point également, la jurisprudence a fluctué. Ici, on peut même considérer qu’elle a dessiné un virage à 180° : après avoir longtemps considéré que la clause d'exclusivité figurant à un contrat de travail à temps partiel devait ni plus ni moins être frappée de nullité, elle a en effet fini par admettre que clause d’exclusivité et contrat de travail à temps partiel n’étaient pas incompatibles !

Pourquoi clause d’exclusivité et contrat à temps partiel ont longtemps été considérés comme incompatibles ?
Pour une raison assez simple. De par les conséquences qu’elle génère, la clause d’exclusivité est de nature à porter atteinte au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle. Or, lorsque le salarié ainsi impacté est à temps partiel, il se trouve alors enfermé dans le périmètre de son temps de travail contractualisé… sans jamais pouvoir aller au-delà.
Ce qui est susceptible de gravement porter atteinte au droit à l’emploi tel qu’il est reconnu au point 5 (3) du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (4) et, ce faisant, de pérenniser l’existence de cas de pauvreté salariale.     

Nous l’avons donc compris : temps partiel et clause d’exclusivité ne sont plus nécessairement incompatibles. Mais attention aux conclusions hâtives ! Disons-le, une telle évolution jurisprudentielle n’a pas pour autant conduit à une libéralisation à outrance du recours à la clause d’exclusivité. Car, dans le même temps, la Cour de cassation est aussi venue préciser qu’elle devait désormais répondre à des conditions de validités plus strictes, qui devaient être comprises comme étant opposables à la fois au contrat de travail à temps partiel et au contrat de travail à temps plein.

Ainsi, pour être considéré comme valable, et quel que soit le contrat de travail au sein duquel elle est insérée, la clause d’exclusivité doit être tout à la fois :

- indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ;

- justifiée par la nature des tâches à accomplir ;

et

- proportionnée au but recherché(5).

En conséquence, la clause d’exclusivité ne peut être considérée comme recevable que pour les salariés qui occupent des fonctions à responsabilité. Or, ce type de fonction ne s’exerce que rarement sous couvert d’un contrat de travail à temps partiel… On peut donc considérer que si, en droit, temps partiel et clause d’exclusivité ne sont plus incompatibles, de fait, ils ne sont que très rarement amenés à coexister.

Illicéité de la clause d’exclusivité figurant au contrat de travail…

Et c’est bien à cette conclusion que les juges sont arrivés dans cette affaire. Le salarié occupait des fonctions d’agent de sécurité et ils ont pu estimer qu’en l’espèce, la clause d’exclusivité n’était ni indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, ni justifiée par la nature des tâches à accomplir, ni proportionnée au but recherché et qu’elle devait donc être considérée comme nulle.

… et ses conséquences

Mais ce constat étant juridiquement détaché du caractère « temps partiel » du contrat de travail conclu par le salarié, la nullité frappant la clause d’exclusivité ne pouvait en soi emporter requalification en temps plein de la relation contractuelle. Elle autorisait simplement le salarié à demander réparation du préjudice « ayant résulté pour lui de cette clause illicite »(6)

Ce qu’il avait malheureusement omis de faire…

 

 

 

(1) Cass. soc., 29.06.83, n° 81-40.664.

(2) Cass. soc., 11.07.00, n° 98-43.240.

(3) « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».

(4) Préambule qui, aujourd’hui encore, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

(5)  Cass.soc. 25.02.04, n° 01-43.392.

(6)  Cass.soc., 25.02.04, n° 01-43.392 (déjà cité).