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Stupéfiants : l’employeur peut-il recourir à des tests salivaires ?

Publié le 16/09/2015

Même si la sécurité des salariés est invoquée, l’employeur ne peut pratiquer des dépistages de produits stupéfiants sans que le secret médical, ni la fiabilité du dispositif ne soient garantis. La Cour administrative d’appel de Marseille illustre à nouveau les limites du pouvoir disciplinaire de l’employeur au regard de la liberté individuelle des salariés. CAA Marseille n°14MA02413, 21.08.15.

En matière de contrôle des salariés, l’employeur se doit de composer avec les droits et libertés individuels du salarié qui ne doivent être entravés que pour un motif légitime et proportionné au but recherché (1). Ce principe de proportionnalité et de légitimité s’étend jusqu’aux dispositions du règlement intérieur.

Le Règlement intérieur est un document établi par l’employeur, obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 20 salariés. Son objet est de dresser les règles internes en matière de discipline et de santé et de sécurité dans l’entreprise.

Il est par exemple admis que le règlement intérieur (ou une note de service à défaut) interdise l’introduction et la consommation d’alcool dans l’entreprise, ou encore prévoie des contrôles par alcootest pour les personnes précisément visées (par exemple celles qui sont amenées à utiliser leur véhicule professionnel ou manœuvrer des engins sur les chantiers). La limite du pouvoir de l'employeur, c’est la  restriction aux droits et libertés qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (2).

La question était ici de savoir si le fait d’imposer des tests salivaires pour dépister la consommation de drogues représentait une atteinte disproportionnée à la vie privée de ces salariés.

Une décision positive des juges du fond tenant en grande partie aux circonstances de l’espèce.

  • Mise en place de tests salivaires de dépistage de drogues

En l’espèce, une entreprise de travaux avait introduit dans son règlement intérieur la possibilité de soumettre ses salariés à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants. Ces dispositifs de contrôle, sous couvert d’assurer la sécurité des travailleurs sur les sites, étaient réservés aux salariés occupant des postes « hypersensibles ». Ces tests pouvaient être pratiqués par les supérieurs hiérarchiques de ces salariés et, s’ils s’avéraient positifs, entraîner une sanction disciplinaire, allant jusqu’au licenciement.

L’inspectrice du travail de la Direccte a enjoint à l'entreprise de modifier son règlement intérieur sur ce point, estimant que ce dispositif ne respectait pas les impératifs de légitimité et de proportionnalité.

Les règlements intérieurs d’entreprise, notamment en ce qu’ils sont susceptibles de contenir des dispositions restrictives de liberté pour les salariés, sont soumis à des mesures d’information-consultation des représentants du personnel, de publicité envers les salariés et de contrôle de l’administration. La Direccte est destinataire des projets de règlement intérieur et peut demander les modifications qu’elle estime nécessaire. L’employeur peut contester ces modifications par voie gracieuse ou contentieuse devant le juge administratif.

La décision administrative de l’inspectrice du travail a par la suite été contestée devant le tribunal administratif, qui a donné raison à l’entreprise. L’administration a interjeté appel, ce qui a permis à la cour d’apporter de nouvelles conditions de recours régulières des tests de dépistages sur les lieux de travail.

  • Les failles du dispositif de contrôle

Si des mécanismes de contrôle de sécurité et d’aptitude d’un salarié à occuper son poste de travail peuvent figurer dans le règlement intérieur (ex : éthylotest), encore faut-il que ces tests soient fiables.

En l’occurrence c’est le degré de précision du test salivaire qui a fait défaut. Les juges ont relevé que ce test ne permet pas de déterminer un seuil à partir duquel le salarié « devrait être regardé comme étant dans l’incapacité de tenir son poste de travail », sans compter que la marge d’erreur est assez large puisque « la fenêtre de détection peut (…) s’étendre jusqu’à 24 heures après usage » et que ces tests peuvent aboutir « à de faux résultats positifs ou de faux résultats négatifs dans une proportion non négligeable ».

En plus d’être sujettes à caution, ces données biologiques cliniques ainsi collectées portaient atteinte au secret médical dont doit bénéficier le salarié (la prise d emédicaments étant susceptible d'influer sur le résultat des tests).

 

  • La gravité des conséquences d’un test « positif » pour le salarié

La perspective d’un licenciement disciplinaire en cas de résultat positif a également joué sur le sens de la décision du juge. En l’espèce, il a considéré qu’il y avait une disproportion trop grande entre les conséquences potentielles d’un « positif », et l’absence de fiabilité et de confidentialité du dispositif.

Toutefois, dans d’autres circonstances, la jurisprudence peut admettre que, même si le contrôle de drogue vise avant tout à faire cesser une situation dangereuse, le résultat des tests pratiqués sur le lieu de travail peut avoir des conséquences disciplinaires et aller jusqu’à constituer une faute grave justifiant un licenciement. Il a notamment été jugé qu’était justifié le licenciement pour faute grave d’un steward « appartenant au personnel critique pour la sécurité » qui avait consommé de la drogue lors des escales entre deux vols. Se trouvant toujours sous l’influence de la drogue pendant ses heures de vol, il avait fait courir un risque aux passagers et n’avait donc pas res­pecté ses obligations contractuelles (3).

 

(1)  Article L.1121-1 du Code du travail.

(2)  Article L.1321-3 du Code du travail

(3)  Cass.soc.27.03.12, n° 10-19915.

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