Inaptitude : la recherche tardive de reclassement par l’employeur peut justifier une résiliation judiciaire

  • Inaptitude au travail

L’employeur qui tarde à engager une procédure de reclassement d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail peut se voir sanctionner d’une résiliation judiciaire à ses torts. Maintenir le salarié en situation d’inactivité forcée constitue en effet un manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail. Peu importe que le Code du travail n’enferme pas cette obligation de reclassement dans un délai. C’est ce que décide la Cour de cassation dans un arrêt du 4 décembre 2024. Cass.soc. 04.12.2024, n°23-15.337.

Un retard dans les recherches de reclassement après un avis d’inaptitude

Dans cette affaire, un salarié exerçant le métier de conducteur routier est déclaré inapte par le médecin du travail en juin 2019. L’avis du médecin n’était pas des plus clair, car il prévoyait à la fois que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement mais renvoyait l’employeur à un précédent courrier pour connaître les capacités restantes du salarié.

Bon à savoir

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte à reprendre son poste par le médecin du travail, à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle ou non, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités dans l’entreprise ou le groupe. L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé [1].

En revanche, l’employeur n’est pas tenu de reclasser le salarié dès lors que l’avis d’inaptitude indique que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable pour sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi [2].

Les démarches de reclassement ne sont pas tout de suite engagées par l’employeur. Trois mois après la déclaration d’inaptitude, ce dernier reprend le paiement du salaire (avec régularisation depuis le mois de juillet), comme l’y oblige le Code du travail.

Bon à savoir

Les articles L.1226-4 et L.1226-11 du Code du travail prévoient qu’après 1 mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, si le salarié déclaré inapte n’est ni reclassé ni licencié, l’employeur doit reprendre le versement de son salaire.

Ce n’est qu’à partir d’octobre que l’employeur propose au salarié un poste de reclassement à l'étranger, mais qui est refusé par le salarié. Quelques jours après la proposition, il demande au médecin du travail des précisions sur l’avis d’inaptitude de juin. Puis, fin novembre, il consulte les sociétés du groupe pour étudier les possibilités de reclassement.

En janvier 2020, le salarié saisit le conseil de prud'hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, reprochant à son employeur d’avoir tardé à engager la procédure de reclassement. Et en mars, l’employeur le licencie pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Le rejet de la résiliation judiciaire par la cour d’appel

L’affaire arrive devant la cour d’appel qui rejette la demande de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. Se basant sur les faits évoqués, les juges d’appel soulignent tout d’abord que la procédure de reclassement, puis celle de licenciement, ont en effet été engagée tardivement par l’employeur.

Ils considèrent toutefois que l’obligation de reclassement se distingue de l’obligation de reprendre le paiement du salaire après 1 mois pesant sur l’employeur, et n’est donc pas enfermée dans un délai. Par conséquent, les juges en concluent que cette lenteur de l’employeur ne constitue pas un manquement de sa part et il n’y a donc pas lieu de faire droit à la résiliation judiciaire réclamée par le salarié.

Un pourvoi en cassation est alors formé par le salarié.

La recherche tardive de l’employeur peut pourtant justifier la résiliation judiciaire

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, en se fondant sur les articles L.1222-1 et L.1226-11 du Code du travail. Le premier prévoit que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Le second est relatif à l’obligation pour l’employeur de reprendre le paiement du salaire après un mois suivant l'examen médical de reprise.

Se basant sur les constatations de la cour d’appel, les juges de la chambre sociale estiment que le salarié avait été maintenu dans une situation d’inactivité forcée dans l’entreprise, ce qui l’avait contraint à saisir les prud’hommes. Ces faits auraient dû conduire à reconnaître un manquement de l’employeur à ses obligations. Il appartenait alors à la cour d’appel d’analyser si une telle faute de l’employeur était d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En d’autres termes, une recherche de reclassement trop tardive et non justifiée peut caractériser un manquement de l’employeur à ses obligations d’exécuter le contrat de travail de bonne foi et de reclassement. Ce qui peut entraîner la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur.

Cette solution est bienvenue car elle sanctionne l’employeur qui ne réagirait pas assez vite dans des situations où les salariés sont en difficulté, du fait de leur inaptitude médicalement constatée.

La Cour de cassation avait déjà considéré que la reprise par l’employeur du paiement des salaires, comme l’oblige le Code du travail, ne le dispense pas de rechercher un poste de reclassement au salarié après cette date [3]. Elle a pu aussi considérer que l’absence de reclassement dans le délai d’un mois prévu pour la reprise du paiement des salaires, ne conduit pas automatiquement à reconnaitre un manquement à l’obligation de reclassement [4].


 

[1] Art. L.1226-2 et L.1226-10 C.trav.

[2] Art. L.1226-2-1 et L.1226-12 C.trav.

[3] Cass.soc. 08.09.21, n°19-24.448.

[4] Cass.soc. 21.03.12, n°10-12.068.

L'arrêt de la Cour de cassation

  • Cass.soc. 04.12.24, n°23-15.337

    PDF — 51Ko

Ces articles peuvent également vous intéresser

  • Licenciement et vie personnelle : professionnellement, fumer en douce le narguilé ne tue pas !

    Lire l'article
  • Souffrance au travail : la Cour de cassation conforte le harcèlement moral institutionnel

    Lire l'article
  • Santé au travail : la Cour de cassation conforte la notion de harcèlement moral institutionnel

    Lire l'article