Lanceurs d’alerte : l’aménagement de la charge de la preuve s’applique en référé !
Lorsqu’un salarié fait un signalement de bonne foi et dans le respect des dispositions de la loi, il bénéficie de la protection applicable aux lanceurs d’alerte contre le licenciement, les sanctions et les mesures discriminatoires. En cas de litige, cette protection prévoit un aménagement de la charge de la preuve au profit des lanceurs d’alerte.
Cet aménagement de la charge de la preuve est-il applicable lorsqu’un lanceur d’alerte saisit le juge des référés ? Dans un arrêt rendu sous l’empire des dispositions antérieures à la loi du 21 mars 2022, mais dont la solution nous paraît transposable, la Cour de cassation répond par l’affirmative. Cass.soc.1er février 2023, n°21-24271.
Faits, procédure, prétentions
Une salariée saisit le comité d’éthique du groupe qui l’emploie pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption, mettant en cause l’un de ses anciens collaborateurs et son employeur.
Par la suite, estimant subir du harcèlement elle en informe également le comité d’éthique, mais au bout du compte celui-ci conclut à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques et la salariée est convoquée à un entretien préalable puis licenciée.
Sur ce, la salariée saisit la formation des référés de la juridiction prud’homale pour demander la nullité de son licenciement intervenu, selon elle, en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alerte, ainsi que sa réintégration.
En l’espèce, la salariée invoquait les articles protégeant les lanceurs d’alerte en matière de corruption contre le licenciement et les représailles, à savoir les articles L.1132-3-3 et L.1132-4 du Code du travail tels qu’issus de la loi Sapin II (donc avant la transposition de la Directive par la loi du 22 mars 2022).
Son syndicat et la Maison des lanceurs d'alerte interviennent à l'instance. Le Défenseur des droits dépose des observations en cassation.
L’aménagement de la charge de la preuve au profit des lanceurs d’alerte s’applique en référé
La Cour de cassation a donc été amenée à répondre à cette question : l’aménagement de la charge de la preuve, prévue au profit des lanceurs d’alerte s’applique-t-elle en référé ?Lorsqu’il existe un litige portant sur son licenciement ou toute autre mesure de représailles (sanction, mesure discriminatoire), l’article L.1132-3-3 du Code du travail prévoit un aménagement de la charge de la preuve au profit du salarié auquel est reconnue la qualité de lanceur d’alerte. Dans ce cas, sur le modèle du droit de la non-discrimination, le salarié peut se contenter d’apporter des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il/elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016. Il incombe à l’employeur, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié.
La Haute juridiction tranche au visa des articles L.1132-3-3 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 21 mars 2022 (1), L1132-4 et R.1455-6 du même code.
Le premier de ces articles porte sur l’aménagement de la charge de la preuve, le deuxième prévoit la nullité des mesures prononcées en violation et le dernier donne compétence au juge des référés pour, selon les termes de la Cour, « mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte », et ce même en présence d’une contestation sérieuse.
Pour la Cour de cassation, le juge des référés doit d’abord apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits susceptibles de constituer un délit ou un crime ou qu’il a signalé une alerte dans les conditions prévues par la loi. Ce qui en l’espèce était le cas, les juges du fond ayant relevé que rien ne permettait de remettre en cause la bonne foi de la salariée. Autrement dit, elle avait bien la qualité de lanceur d’alerte et pouvait bénéficier de la protection afférente.Dès lors que le salarié a la qualité de lanceur d’alerte et bénéficie de la protection, il appartient au juge des référés « de rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée»
La solution doit être saluée en ce qu’elle permet d’agir vite pour préserver les droits des lanceurs d’alerte.
Toutefois, à lire l’arrêt, on peut se demander si le « voile d’apparence » que doit créer le salarié porte uniquement sur sa qualité de lanceur d’alerte ou bien s’il porte également sur le fait que la décision de l’employeur de le licencier est intervenue en réaction à son signalement, puisque l’employeur, quant à lui, doit bien rapporter la preuve qu’il a fondé sa décision sur des éléments étrangers au signalement…
Si la loi du 21 mars 2022 a réécrit l’article L1132-363, qui ne fait désormais plus référence à ce mécanisme probatoire, l’article 10-1 de la loi y fait toujours référence, comme l’article 21 de la Directive européenne (2). En sorte que la solution semble transposable aux situations dans lesquelles la loi de 2022 serait applicable.
(1) Loi n°2022-401.
(2) Directive n°2019/1937.