Rupture conventionnelle : quelle incidence d'un licenciement pour faute grave sur le versement de l'indemnité spécifique ?
Entre l’expiration du délai de rétractation et la date de la rupture conventionnelle convenue par les parties, l’employeur peut prononcer un licenciement pour faute grave en raison de manquements survenus ou découverts durant cette période.
Le salarié peut-il néanmoins conserver son droit à l’indemnité spécifique de rupture lorsque la convention de rupture a déjà été homologuée ? C’est la question à laquelle la Cour de cassation a du répondre dans un arrêt récent. Cass. soc.25.06.25, n° 24-12.096.
Faits et procédure
Le 15 janvier 2018, un salarié signe une rupture conventionnelle avec prise d’effet fixée au 30 juin suivant. Le 20 février, à l’issue du délai de rétractation et d’instruction, l’autorité administrative homologue la convention.
Le 23 avril, l’employeur licencie le salarié pour faute grave.

Bon à savoir
En vertu des art. L. 1234-1 et L. 1234-9 du Code du travail, le licenciement disciplinaire pour faute grave est une cause de rupture du contrat de travail sans préavis ni indemnité de licenciement car la faute est considérée comme rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant le préavis.
L’employeur a ensuite découvert que le salarié s’était rendu coupable d’agissements de harcèlement sexuel. De ce fait, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir malgré tout le paiement de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle de 68 000 € négociée antérieurement.
Il a été débouté par la cour d’appel de Versailles, au motif que le licenciement, jugé justifié, avait rompu le contrat avant la date prévue dans la convention, de sorte que la rupture conventionnelle était « non avenue », ce qui privait le salarié de l’indemnité spécifique. Saisie du pourvoi, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel de Versailles avait jugé à tort.
Il convient ici de s’interroger : le licenciement pour faute grave remet-il en cause la validité d'une convention de rupture conventionnelle antérieurement conclue ? Dispense-t-il l’employeur du versement de l’indemnité prévue par cette convention ?
Un licenciement sans conséquence sur la validité de la rupture conventionnelle
Par son arrêt du 25 juin 2025, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles.

Bon à savoir
Dans la décision les juges ont implicitement rappelé:
-que la convention de rupture doit être homologuée (en vertu de l’article L1237-14 du Code du travail) ;
-qu’une indemnité spécifique doit être définie, au moins égale à l’indemnité légale de licenciement (en vertu de l’art L1234-9 du même code) ;
-et qu’une date de rupture doit être prévue, ne pouvant intervenir avant le lendemain de l’homologation (selon l’art L1237-13 dudit code).
Par cet arrêt, la Cour de cassation met en lumière deux principes :
En vertu de son pouvoir de direction et en l’absence de rétractation dans le délai légal (15 jours calendaires), l’employeur peut licencier le salarié entre la fin du délai de rétractation et la date de rupture prévue dans la convention, pour des faits graves survenus ou révélés durant cette période - après l’homologation, mais avant la date de rupture prévue dans la convention.
Le licenciement n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle. Il a seulement pour effet, s’il est justifié, de mettre un terme au contrat de travail avant la date d’effet prévue par les parties dans la convention. En somme, il ne fait qu’écourter la relation contractuelle, sans supprimer les obligations qui en découlent.
- L’employeur reste malgré tout tenu de payer l’indemnité spécifique prévue lors de la signature de la rupture conventionnelle. C’est sur ce point que la Cour de cassation émet une avancée au regard de la jurisprudence antérieure. Effectivement, elle a eu l’occasion de préciser que la créance d’indemnité naît à la date de l’homologation, même si elle n’est exigible qu’à la date prévue de rupture.
Un renforcement de la sécurité juridique pour le salarié
Cet arrêt s’inscrit comme une évolution logique de la jurisprudence antérieure. En 2015, la Cour de cassation avait déjà précisé que la prise d’acte de la rupture n’était recevable qu’en cas de manquements survenus après l’homologation. Par la suite, en 2022, elle avait reconnu la naissance de la créance d’indemnité dès l’homologation, même en cas de décès du salarié avant la date de rupture.
À notre sens, cette nouvelle décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence existante, tout en marquant une avancée significative en faveur des droits des salariés. En effet, bien que les faits d'espèce soient très particuliers et justifient un licenciement pour faute grave (même si nous ne connaissons pas le détail de l'affaire), cette solution dans une majorité de cas est bienvenue en ce qu'elle renforce la sécurité juridique au bénéfice du salarié.
Il aurait été paradoxal que l’employeur puisse contourner l’obligation de versement en se fondant sur une faute grave découverte après coup, alors même que la convention avait été homologuée et validée par l’autorité administrative.
L'arrêt de la Cour de cassation : Cass. soc.25.06.25, n° 24-12.096