CE, ordonnance du 17.09.25 n°508023
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Au cœur de l’été, le ministère de l’Intérieur a diffusé un document intitulé « Schéma national des violences urbaines » visant à donner la marche à suivre aux services territoriaux de la police nationale en cas de violences urbaines. Ce document cadre fait exception aux règles du schéma national du maintien de l’ordre en remettant en cause le statut et la protection dont bénéficient les journalistes qui couvrent les manifestations. Ce document contesté en urgence par la CFDT et d’autres organisations, a fait l’objet d’une décision en référé du Conseil d’État rendue le 17 septembre dernier. CE, ordonnance du 17.09.25 n°508023.
Le 31 juillet 2025, une instruction commune de la direction générale de la police nationale et de la préfecture de police a diffusé aux agents « le schéma national des violences urbaines » (SNVU) pour répondre à l’intensification des violences urbaines. En ligne de mire le mouvement du 10 septembre et comme indiqué dans l’introduction de ce document les précédents des violences de l’été 2023 et des émeutes de 2005.
Le SNVU définit les violences urbaines comme « tout acte violent commis à force ouverte contre des biens, des personnes et/ou des symboles de l’autorité de l’État, par un groupe généralement jeune structuré ou non, commis sur un territoire donné dont le contrôle est revendiqué par le groupe ». Il vient ensuite organiser l’activité des services de police confrontés à des violences urbaines en 3 phases chronologiques : la préparation, le rétablissement de l’ordre public et les démarches à effectuer une fois l’ordre établi.
Mais le SNVU pose également un cadre juridique aux violences urbaines faisant exception à la doctrine en matière de maintien de l’ordre déterminée dans le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO). Il précise en point d’attention (art.1.4.1) que « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacré par le SNMO, ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines » [1] !
C’est principalement pour ce motif que la Fédération Communication Conseil Culture CFDT et la CFDT Journalistes sont intervenues dans la procédure en référé liberté engagée devant le Conseil d’État.

Cette procédure prévue à l’article L521-2 du Code de justice administrative permet d’obtenir du juge des référés des mesures d’urgence afin de préserver une liberté fondamentale (dont fait partie la liberté de la presse, la liberté d’aller et venir…) dès lors que l’administration y a porté une atteinte grave et manifestement illégale. La décision est rendue dans un délai de 48h.
L’existence de ce document a été découvert seulement au début du mois de septembre. Dès le 8 septembre le Conseil d’État a donc été saisi d’une demande de suspension du SNVU en ce qu’il comprenait des mesures attentatoires au droit d’informer mais aussi au regard de la définition des violences urbaines contenue dans le document évoquant le fait de « groupes de jeunes ». Des requérants ont soulevé que cela conduisait à restreindre le droit de manifester d’une catégorie de la population étant rappelé que les « violences urbaines » ne sont pas définies par le législateur.
Pour la partie du document visant les journalistes, à la suite d’échanges entre l’intersyndicale et le ministère de l’Intérieur l’engagement avait été pris de supprimer la phrase litigieuse. Un nouveau document expurgé de toute référence aux journalistes ayant été produit la veille au soir de l’audience– rebaptisé pour l’occasion « Guide opérationnel des violences urbaines » - le Conseil d’État n’a pu que constater qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur cette demande.
En revanche, le juge des référés a pris soin d’argumenter au rejet des autres demandes en estimant :
Qu’il s’agit d’un simple guide à vocation opérationnelle qui n’ajoute rien à l’état du droit en vigueur. Il n’institue aucune nouvelle infraction ni ne déroge aux conditions de recours à la force, autrement dit pour le juge de l’urgence cette instruction relevait bien des pouvoirs de l’administration.
Que la mention des « groupes de jeunes » est strictement factuelle et ne peut être assimilée comme restreignant leur droit de manifester (point 10 de l’ordonnance).
Ainsi pour le juge des référés, le document n’est pas « de nature à porter, par lui-même » une atteinte aux droits et libertés fondamentales (point 11).
Cette action en justice démontre l’importance de prendre connaissance puis de contester les actes de l’administration lorsqu’elles contiennent des mesures susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits (en l’espèce fondamentaux !) ou la situation d'autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre [2]. La CFDT demeure vigilante et réactive quand cela arrive. Au-delà, la question de l’illégalité de ce document au regard de la définition des violences urbaines est toujours susceptible d’être posée lors d’un recours au fond devant le Conseil d’État.
[1] Cette doctrine élaborée en 2021 avait également fait l’objet d’une action devant le Conseil d’Etat sur la question de la liberté de circulation et la protection accordée aux journalistes lors des manifestations (voir l’article de CFDT Journalistes).