Licenciement : précisions inédites sur le report d’entretien préalable à l’initiative de l’employeur

  • Licenciement pour motif personnel

Un employeur peut-il reporter l’entretien préalable au licenciement d’un salarié en arrêt maladie, sans avoir à relancer toute la procédure de convocation ? Telle était la question posée à la Cour de cassation. Sa réponse est claire : le report est possible, sans nouvelle convocation formelle, à condition que le salarié soit avisé par tout moyen et en temps utile des nouvelles date et heure de l’entretien. Cass.soc.21.05.25, n°23-18003.

Les faits

Une salariée, serveuse depuis 2016 dans un restaurant, est mise à pied à titre conservatoire le 28 octobre, à la suite d’une altercation avec l’associé majoritaire de la SARL. Celui-ci lui reproche d’avoir consommé de l’alcool durant ses heures de travail, ce qu’elle conteste fermement. Le lendemain, le 29 octobre, elle dépose une main courante et est placée en arrêt maladie jusqu’au 16 novembre. Elle est finalement licenciée pour faute grave le 3 décembre 2016.

Contestant son licenciement, elle saisit le conseil de prud’hommes.

Le nœud du litige : la régularité de la procédure de licenciement

Au-delà du fond (non, elle ne consommait pas d’alcool durant ses horaires de travail puisqu’elle avait terminé son service, d’ailleurs tout cela n’était selon elle qu’un prétexte pour se débarrasser d’elle, dans un contexte de reprise en main de la direction du restaurant et d’éviction de son mari, ancien gérant), la salariée soulève un vice de procédure. Et c’est sur ce point que l’arrêt présente tout son intérêt.

Pour bien comprendre, reprenons le fil de l’histoire :

-          Mise à pied à titre conservatoire le jour de l’altercation, la salariée est convoquée, par une lettre recommandée du 31 octobre 2016, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 9 novembre 2016.

-          Ayant été placée en arrêt maladie sur cette même période (du 29 octobre au 16 novembre), son employeur décide de reporter cet entretien préalable.

-          Le 24 novembre, il la convoque donc par courrier à un nouvel entretien fixé au 30 novembre 2016. Entretien auquel elle ne se présentera finalement pas.

C’est précisément la régularité de cette seconde convocation que la salariée conteste : elle estime que le délai de 5 jours ouvrables prévu par l’article L.1232-2 du Code du travail n’a pas été respecté entre la seconde lettre de convocation du 24 novembre et le jour de l’entretien fixé au 30 novembre.

Que prévoit le Code du travail ?

Lorsqu’un employeur envisage de licencier un salarié, quel qu’en soit le motif, il doit, avant de prendre toute décision, le convoquer à un entretien préalable. Selon l’article L.1232-2 du Code du travail, cette lettre de convocation doit :

- Être transmise au salarié par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge ;

- Comporter un certain nombre de mentions (objet un éventuel licenciement, date et heure de l’entretien, la possibilité pour le salarié de s’y faire assister…) [1].

Et pour laisser au salarié le temps de se préparer à cet entretien, notamment de trouver une personne susceptible de l’assister, la loi oblige l’employeur à respecter un délai minimum de 5 jours ouvrables entre la date de remise de la lettre de convocation au salarié (jour de la remise en main propre ou de la présentation de la lettre recommandée) et le jour de l’entretien.

Ce délai se décomptant en jours ouvrables, on tient compte de tous les jours de la semaine à l’exception des dimanches et des jours fériés habituellement chômés dans l’entreprise.

Pour la salariée, dès lors que c’est l’employeur qui prend l’initiative de reporter l’entretien préalable, il doit recommencer toute la procédure de convocation et respecter à nouveau le délai de 5 jours ouvrables entre la convocation et l’entretien. La procédure est donc, selon elle, irrégulière.

Ce n’est malheureusement pas l’avis des juges du fond. Ces derniers déboutent la salariée qui se pourvoit en cassation. La question posée étant : lorsque l’employeur reporte un entretien préalable au licenciement en raison de l’état de santé du salarié, doit-il à nouveau respecter le délai légal de 5 jours ouvrables entre la date de présentation de la lettre de convocation et le jour de l’entretien ?

Que dit la loi en cas de report de l’entretien ?

Absolument rien ! Et pourtant, la question peut légitimement se poser, en particulier lorsque l’état de santé du salarié ne lui permet pas de s’y rendre… C’est donc la jurisprudence qui, au fil des années, a reconnu non seulement la possibilité de reporter l’entretien, mais en a également précisé les modalités.

La jurisprudence antérieure : le report à la demande du salarié

Dès 2014, la Cour de cassation a eu l’occasion de trancher la question d’un report accepté par l’employeur à la demande du salarié. Dans ce cas, l’employeur est seulement tenu d’aviser en temps utile et par tous moyens le salarié, des nouvelles dates et heure de l’entretien. Il est donc dispensé de respecter les exigences imposées par le Code du travail tant en ce qui concerne le contenu de la lettre, que le délai de 5 jours ouvrables [2].

En revanche, les tribunaux ne s’étaient pas encore prononcés sur les modalités d’un report demandé par l’employeur, comme c’est le cas ici.

La décision de la Cour de cassation : report possible par l’employeur sans nouveau délai

Tout comme les juges du fond, la Cour de cassation va rejeter la demande de la salariée. Après avoir rappelé les obligations légales de l’employeur en la matière, elle en déduit « qu’en cas de report de l’entretien, en raison de l’état de santé du salarié, l’employeur est seulement tenu d’aviser, en temps utile et par tous moyens, celui-ci des nouvelles date et heure de cet entretien » et que le délai de 5 jours ouvrables requis court à compter de la lettre de convocation initiale (et non à compter de la seconde lettre de convocation).

Autrement dit, dans une telle hypothèse, ce qui compte, c’est que l’employeur ait respecté l’ensemble des exigences imposées par le Code du travail, en termes de contenu et de délai minimum, lors de la 1ère convocation à l’entretien préalable. Dès lors que c’est le cas, la procédure est régulière. En cas de report, y compris de son initiative, il n’a plus à respecter ces obligations à la lettre, mais doit seulement aviser le salarié des nouvelles date et heure de cet entretien par tous moyens et en temps utile.

Dans notre affaire, la première lettre de convocation respectait bien le délai minimum de 5 jours ouvrables et la seconde convocation était intervenue et de manière régulière. Aucune irrégularité n’entachait donc la procédure de licenciement.

Une uniformisation des modalités de report : plus souples mais encadrées

Ce faisant, la Cour de cassation aligne les modalités du report demandé par l’employeur sur celles applicables au report sollicité par le salarié. Offrant ainsi à l'employeur davantage de souplesse en l'épargnant de règles procédurales jugées « excessives ».  

Si cette approche pragmatique de la Cour de cassation n’est pas vraiment surprenante, la souplesse qu’elle accorde à l’employeur semble toutefois limitée aux cas où le report de l’entretien est motivé par l’état de santé du salarié. A l'inverse, un report fondé sur un autre motif (disponibilité, organisation interne, etc.), resterait, selon nous, soumis aux exigences de l’article L.1232-2 du Code du travail.

A noter également que certaines conventions collectives prévoient des dispositions plus favorables au salarié. Il est donc toujours utile de s’y référer.

Quant au salarié, même si son absence à l’entretien ne dispense pas l’employeur de motiver son licenciement et de justifier d’une cause réelle et sérieuse, il reste souvent préférable de s’y présenter et si possible, accompagné.

Autres questions entourant l’entretien préalable :

Que se passe-t-il en cas d’absence du salarié à l’entretien ?

L’entretien étant une garantie instituée en faveur du salarié, ce dernier est libre de s’y rendre ou non. Dès lors que l’employeur a régulièrement convoqué le salarié, il peut poursuivre la procédure normalement, même en cas d'absence de ce dernier. La régularité de la procédure de licenciement n’en sera pas affectée [3]. En revanche, cette absence du salarié ne saurait permettre à l’employeur d’en déduire que le licenciement est justifié [4].

L’employeur a-t-il l’obligation de reporter l’entretien ?

Non. L’employeur n’est tenu ni de reporter l’entretien, ni d’accepter une demande de report émanant du salarié, que celle-ci soit motivée par un problème de santé [5], par l'indisponibilité du représentant du personnel initialement désigné pour l'assister [6] ou encore par le retard du conseiller du salarié [7].

En revanche, l’employeur ne doit pas non plus mettre intentionnellement le salarié dans l’impossibilité de se rendre à l’entretien [8]. C’est pourquoi, en cas de maladie, il est recommandé à l’employeur d'accorder au salarié, un délai suffisant pour s'organiser et de veiller à le convoquer aux heures de sorties éventuellement autorisées par la Sécurité sociale [9].

L'arrêt de la Cour de cassation : Cass.soc.21.05.25, n°23-18003
 

[1] Art. R.1232-1, L.1232-4, D.1232-5 C.trav.

[2] Cass.soc.29.10.14, n°12-19872 ; Cass.soc.24.11.10, n°09-66616.

[3] Cass.soc.15.05.91, n°89-44670 ; Cass.soc.11.09.12, n°11-20371 ; Cass.soc.17.09.14, n°13-16756

[4] Cass.soc.3.10.90, n°88-43311.

[5] Cass.soc.6.40.16, n°14-28815.

[6] Cass.soc.24.06.09, n°08-41681.

[7] Cass.soc.26.01.10, n°08-40333

[8] Cass.soc.1er.02.01, n°98-45784.

[9] L’employeur peut aussi demander envoyer au salarié une lettre recommandée constatant son absence lors de l’entretien et l’invitant à lui faire part de ses observations dans un délai suffisant.

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