Télétravail et titres-restaurants : ticket gagnant !

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Si l’employeur n’a pas l’obligation de prendre en charge les frais de repas des salariés en télétravail, il en va autrement lorsqu’il attribue des titres-restaurant aux salariés présents sur site. Dans ce cas, il doit également en faire bénéficier les salariés en télétravail et ce, en application du principe d'égalité de traitement.

Telle est la décision majeure - et très attendue - rendue par la Cour de cassation le 8 octobre dernier, venant ainsi mettre ainsi un terme à plusieurs années d’incertitude. Cass.soc.8.10.25, n°24-12373.

Un contentieux précipité par la crise Covid

Depuis la crise sanitaire et le recours massif au travail à distance, une question revenait régulièrement : les salariés en télétravail ont-ils, ou non, droit aux titres-restaurants ?

Si l’administration de la Sécurité sociale [1] et le ministère du Travail s’étaient prononcés en faveur de leur attribution, les juges du fond restaient, quant à eux, très divisés, au point de rendre des décisions parfois radicalement opposées…

Tandis que certains refusaient d’accorder des titres-restaurants aux salariés d’une UES placés en télétravail, considérant qu’étant à leur domicile, ils ne subissaient pas de surcoût lié à la restauration [2], d’autres reconnaissaient ce droit, considérant que les télétravailleurs se trouvaient dans une situation comparable à celles des salariés sur site et devaient en bénéficier dès lors que le repas était compris dans leur horaire de travail journalier [3].

Bref… bien que la problématique soit récurrente, les choses étaient loin d’être limpides (en tout cas, ça l'était pour nous [4]).

Il faut croire que cette période d’incertitude est bel et bien derrière nous ! La Cour de cassation a enfin tranché la question le 8 octobre dernier.

Les faits

Dans cette affaire, un directeur commercial, placé en télétravail durant la crise sanitaire (entre 2020 et 2022), réclamait auprès de son employeur le versement d’une somme correspondant à la contribution patronale sur les titres-restaurants dont il n’avait pas bénéficié durant cette période. L’employeur avait en effet réservé leur attribution aux seuls salariés présents sur site.

Bon à savoir 

Les titres-restaurants permettent aux salariés des entreprises sans local de restauration sur le lieu de travail (cantine, réfectoire, restaurant d’entreprise), de déjeuner hors de l’entreprise à des conditions financières avantageuses : l’employeur prend en charge conjointement avec le salarié, le prix des repas et cette prise en charge patronale est, dans certaines limites, exonérée de charges sociales et fiscales.

Il faut savoir que l’employeur n’a aucune obligation de mettre en place un système de titres-restaurants : c’est un avantage qu’il consent au salarié et peut tout à fait prendre en charge la restauration des salariés par un autre moyen, comme une prime de déjeuner ou mise en place d’un restaurant d’entreprise.

Le conseil de prud’hommes donne raison au salarié et condamne l’employeur à lui verser la somme correspondante.

L’employeur conteste et se pourvoit en cassation. Selon lui, le fait de réserver l’attribution de titres-restaurant aux seuls salariés présents physiquement sur le site n’est ni discriminatoire, ni même contraire au principe d’égalité de traitement entre salariés : les salariés en télétravail n’étant pas placés dans une situation identique à celle des salariés sur site, ils peuvent être traités différemment. 

Les salariés en télétravail ont également droit aux titres-restaurants !

La Cour de cassation déboute l’employeur.

Se référant tantôt aux règles relatives aux titres-restaurants, tantôt à celles relatives au télétravail, elle rappelle que :

les télétravailleurs ont les mêmes droits que les salariés qui exécutent leur travail dans les locaux de l’entreprise [5] ;

- le titre restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur pour permettre aux salariés d’acquitter en tout ou partie le prix du repas [6] ;

- Et la seule condition à remplir pour en bénéficier est que le repas du salarié soit compris dans son horaire journalier [7].

Elle en déduit que l’employeur ne peut pas refuser l’octroi de cet avantage à des salariés pour le seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail. Si les salariés sur site bénéficient de titres-restaurants, les salariés placés en télétravail doivent également pouvoir en bénéficier dès lors que le repas est compris dans leur horaire de travail quotidien. Le lieu de travail importe peu et ne peut, à lui seul, justifier une différence de traitement entre les salariés en termes d’accès aux titres-restaurant.

Ce faisant, cet arrêt consacre, s’agissant de cet avantage particulier, une véritable égalité de traitement entre les télétravailleurs et les salariés travaillant sur site.

Dès lors que leur horaire journalier comprend une pause déjeuner, la Cour de cassation considère que, quel que soit le lieu d’exécution du travail (entreprise, siège, domicile, espace de coworking, etc.), les salariés se trouvent dans une situation identique et ne peuvent être traités différemment.

Attention toutefois : si la Cour de cassation refuse de faire du lieu de travail un critère d’attribution des titres-restaurants, elle ne s’oppose pas à ce qu’un autre critère objectif et pertinent puisse en conditionner le bénéfice.

Mais leur exclusion reste possible à certaines conditions

C'est précisément ce que rappelle la Cour de cassation dans un second arrêt rendu le même jour (pourvoi n°24-10566). Car le principe d’égalité de traitement n'est pas absolu : il s'applique seulement entre des salariés placés dans une situation identique ou similaire au regard de l'avantage en cause. 

Il est donc possible de réserver certaines mesures à une catégorie de salariés, à condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables [8]

Dans cette seconde affaire, l'entreprise avait pour usage d'attribuer des titres-restaurants aux salariés qui n'avaient pas accès au restaurant d'entreprise en raison de leur éloignement géographique ou du caractère itinérant de leurs fonctions. Cet usage n'ayant jamais été dénoncé par l'employeur (c'est à dire "officiellement" supprimé), il ne pouvait pas être suspendu lors du placement en télétravail des salariés durant la crise sanitaire. Lors du 1er confinement, l'entreprise avait en effet placé tous les salariés en télétravail, fermé le restaurant d'entreprise et supprimé les titres-restaurants. Or, pour la Cour de cassation, le motif selon lequel les télétravailleurs disposaient d'une cuisine personnelle à leur domicile et se trouvaient donc dans une situation distincte des salariés travaillant sur site, ne constituait pas une raison objective et pertinente pour supprimer l'avantage aux télétravailleurs. 

A partir du moment où le restaurant d'entreprise était fermé et que tous les salariés avaient alors été placés en télétravail, ces derniers se trouvaient tous dans une situation identique au regard de l'avantage lié à la restauration et il ne pouvait pas être fait de différence entre eux par rapport à leur situation antérieure, sans porter atteinte atteinte au principe d'égalité de traitement.

Quelles différences possibles ? 

Il est par exemple possible de prévoir une meilleure prise en charge des frais de repas selon l’éloignement entre le domicile du salarié et son lieu de travail [9] ou encore en fonction de la durée minimale de travail en cours de mois [10]. A l’inverse, l’employeur ne peut pas justifier la différence de traitement sur l’appartenance ou non à la catégories cadres [11]

Un arrêt majeur pour les droits des télétravailleurs !

En refusant d’écarter les télétravailleurs du bénéfice des titres-restaurants, cet arrêt marque un tournant important pour leurs droits. Il contribue surtout à adapter notre droit à l’évolution des nouveaux modes d’organisation du travail. Ce faisant, il va contraindre les entreprises à adapter leurs pratiques, voire à modifier les contrats de travail ou les accords collectifs existants.

Les salariés qui ont pu être lésés disposent, quant à eux, de la possibilité de réclamer une régularisation et donc un rappel de titres-restaurant sur les 3 dernières années, à condition bien entendu de pouvoir justifier que leur repas était bien compris dans leur horaire de travail journalier [12].

L'occasion d'annoncer le clap de faim sur ce sujet ! 

 


 

[1] Bulletin officiel de la Sécurité sociale : « les salariés en situation de télétravail doivent bénéficier de titres-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à celles des autres salariés de leur entreprise travaillant sur site et ne disposant pas d’un restaurant d’entreprise. Ainsi, si les salariés de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, il en est de même pour les télétravailleurs à domicile, nomades ou en bureau satellite » (pt 170). https://boss.gouv.fr/portail/accueil/autres-elements-de-remuneration/avantages-en-nature.html#170

[2] TJ Nanterre, ch.soc.10.03.21, n°20/09616 : sur ce point, voir https://www.cfdt.fr/mes-droits/actualites-juridiques/duree-et-organisation-du-travail/teletravail-et-titres-restaurant-ticket-or-not-ticket; CA Paris, 4.04.24, n°23/03082.

[3] TJ Paris, 30.03.21, n°20/09805 : sur ce point, voir https://www.cfdt.fr/mes-droits/actualites-juridiques/duree-et-organisation-du-travail/teletravail-et-titres-restaurant-2-pour-les-juges-parisiens-cest-ticket-svp ; CA Versailles, 23.11.23, n°22/01633.

[4] Voir la position de la CFDT : https://www.cfdt.fr/mes-droits/actualites-juridiques/duree-et-organisation-du-travail/teletravail-mon-employeur-peut-il-decider-de-supprimer-les-titres-restaurant

[5] Art. L.1222-9, III, al.1er C.trav.

[6] Art. L.3262-1, al.1er et L.3262-3, al.2  C.trav.

[7] Art. R.3262-7 C.trav.

[8] Cass.soc.8.10.25, n°24-10566.

[9] Cass.soc.22.01.92, n°88-40938

[10] Cass.soc.16.09.09, n°08-42040.

[11] Cass.soc.16.11.7, n°05-45438 ; Cass.soc.20.02.08, n°05-45601.

[12] Art. L.3245-1 C.trav.

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