Salariés itinérants : leur temps de trajet domicile/travail n’est pas toujours du temps de travail effectif !
La qualification comme temps de travail effectif des temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et ses premier ou dernier clients n’est pas systématique. Par une analyse concrète, le juge détermine si le salarié est à la disposition de l’employeur et s'il ne peut vaquer librement à ses occupations. Dans le cas contraire, ces temps ne peuvent être considérés comme du temps de travail effectif. C’est ce qu'a décidé la chambre sociale dans un arrêt du 25 octobre 2023, faisant suite au revirement de jurisprudence du 23 novembre 2022. Cass.soc. 25.10.23, n°20-22.800
La non-rémunération des temps de trajet domicile/premier et dernier clients
Dans cette affaire, un salarié itinérant inspecteur régional d’une société, saisit le conseil de prud’hommes afin de faire annuler sa convention de forfait jours et obtenir le paiement de diverses sommes. Parmi celles-ci, des rappels de salaire au titre des temps de trajet effectués entre son domicile et ses premier et dernier clients.
Selon lui, ces trajets entraient dans le champ d’application de l’article L. 3121-1 du Code du travail, et constituaient donc du temps de travail effectif qui devait donner lieu à rémunération.
L’article L. 3121-1 du Code du travail dispose que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
L’article L. 3121-4 précise quant à lui que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, poursuit l’article, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.
À l’appui de cette demande, il avançait plusieurs éléments pour justifier qu’il se trouvait à la disposition de l’employeur pendant ces temps : son véhicule de service était équipé d’un dispositif de géolocalisation, il devait respecter un planning mensuel et hebdomadaire, il devait impérativement soumettre à l’accord de son supérieur la réalisation d’heures supplémentaires, l’employeur contrôlait le respect des plannings et imposait des « soirées étapes » dans le cadre de ces déplacements…
Dans un autre moyen, il soutenait que le volume des heures de travail administratives qu’il accomplissait à son domicile conférait à ce dernier le caractère de lieu de travail. Ainsi, les trajets domicile/premier et dernier trajets se transformaient en trajet d’un lieu de travail vers un autre lieu de travail, ce qui devait constituer selon lui du temps de travail effectif.
La cour d’appel rejette cette analyse et l’affaire est portée devant la Cour de cassation.
Une évolution jurisprudentielle récente
La Cour de cassation commence par rappeler le principe selon lequel « lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code. ».
Cette position résulte d’une évolution jurisprudentielle de la chambre sociale sur la question des temps de trajet des salariés itinérants. Sous la pression de la Cour de justice de l'Union européenne, elle a opéré un revirement de jurisprudence en novembre 2022(1), se conformant ainsi au droit de l'UE. Dans cet arrêt les juges ont considéré que les déplacements domicile/travail de ce type de travailleur pouvaient être considérés comme du temps de travail effectif, et devaient donc être rémunérés comme tel. Pour une analyse plus détaillée de ce revirement, voir la rubrique Vos droits/ de ce site(2).
La Cour de cassation posait néanmoins une condition pour retenir la qualification de temps de travail effectif de tels déplacements : le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.
Cela n’est autre qu’une application de l’article L. 3121-1 du Code du travail. Peu adapté pour les travailleurs itinérants, l’article L. 3121-4 peut quant à lui être écarté.
Mais distinguer si un salarié est ou non à la disposition de l’employeur et peut ou non vaquer à ses occupations personnelles est parfois difficile. Il revient donc au juge d’analyser concrètement les conditions de déplacement du salarié(3). C’est ce que confirme la Cour de cassation dans cet arrêt du 25 octobre 2023.
Le rejet de la qualification de temps travail effectif
La chambre sociale confirme la position de la cour d’appel, qui rejette l’argumentaire du salarié par un examen des conditions dans lesquels les trajets étaient effectués :
- un interrupteur « vie privée » sur le véhicule permettait au salarié de désactiver la géolocalisation ;
- le salarié pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles avant le premier rendez-vous et après le dernier.
- il avait l’initiative de son circuit quotidien ;
- les contrôles de l’employeur n’étaient que rétrospectifs et se justifiaient, selon les juges, dès lors que l’employeur avait mis en place un dispositif d’indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de 45 minutes ;
- les « soirées étapes » pouvait être choisies par le salarié et n’étaient imposée par l’employeur que pour éviter de trop longs trajets, et non pas pour maintenir le salarié à sa disposition.
La Cour de cassation rejette également le raisonnement du salarié consistant à considérer son domicile comme un lieu de travail. L’accomplissement de tâches administratives ponctuelles ne permettait pas d’emporter une telle qualification.
De ces constatations, il ressort que le salarié ne se trouvait pas à la disposition de l’employeur et pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles. La qualification de temps de travail effectif est donc rejetée pour ces temps de trajet, ce qui les ramènent logiquement dans le champ de l’article L. 3121-4 du Code du travail.
Cette solution tempère la position de l’arrêt du 23 novembre 2022, sans pour autant la remettre en cause. Pas surprenante, elle illustre l’analyse précise que les juges font pour rejeter la qualification de temps de travail effectif. Qualification qui n'est pas systématique mais qui peut toujours être soulevée par les salariés itinérants depuis 2022.
(1) Cass.soc. 23.11.22, n°20-21.924.
(2) Actu du 30.11.22 : Salariés itinérants : leur temps de trajet domicile/lieu de travail peut être qualifié de temps de travail effectif !
(3) Cass.soc. 01.03.23, n°21-12.068.