Représentant de proximité : qui pour le remplacer en cas de démission ?

Publié le 15/02/2023

Les contentieux portant sur la désignation des représentants de proximité sont rares. Ce qui trouve en grande partie à s'expliquer par le fait ces représentants ne peuvent être mis en place que par accord ; accord qui doit notamment veiller à déterminer les modalités de leur désignation. Mais lorsque les dispositions ainsi négociées se font trop imprécises, un conflit peut se faire jour. Comme ce fut le cas dans l’affaire ici commentée. Cass. soc. 01.02.23, n° 21-13.206, publié au Bulletin

Démission. Le 18 septembre 2018, un accord collectif « portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac » a été conclu au sein de la société Fnac Darty avec les organisations syndicales représentatives. Cet accord dessinait les contours d’une représentation du personnel ainsi structurée : un CSE unique et des représentants de proximité au niveau de chaque site de plus de 11 salariés compris dans le périmètre du CSE. Il prévoyait également que les sièges de représentants de proximité, dont le nombre devait varier en fonction de la taille de l'établissement, seraient attribués aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale au niveau du site concerné.

Si l’accord prévoyait que les sièges de représentants de proximité reviendraient bien aux organisations syndicales en fonction de leur poids électoral, il précisait aussi que les candidats retenus par elles devraient par la suite être « élus par le CSE à la majorité des présents ». Une manière de respecter les équilibres entre organisations syndicales et CSE. Mais aussi de se conformer au cadre légal existant. Etant entendu que le seul et unique article du Code du travail traitant des représentants de proximité précise en son ultime alinéa qu’ils doivent être « membres du CSE ou désignés par lui ».

En raison de sa taille, l’établissement de Bercy s’était vu octroyer 4 sièges de représentants de proximité, tous attribués à la CFTC en raison de son audience électorale sur le site. 4 candidats avaient ainsi été choisis par la CFTC, puis élus par le CSE.

Jusqu’ici tout va bien…

 

Petite cause, grandes conséquences

Oui mais voilà, la vraie vie va finir par passer sur ce bel équilibre : quelques années plus tard, l'un des représentants de proximité CFTC du site de Bercy sera amené à démissionner…

Rien que de très classique… Et pourtant ! C’est bien à partir de cet événement banal que naitra un contentieux qui conduira CSE et syndicat à s’entredéchirer jusque devant la Cour de cassation…  

Après la démission du représentant de proximité, le CSE se réunit en visioconférence. Nous sommes  le 10 décembre 2020. Et là, coup de tonnerre ! Afin de pourvoir le siège laissé vacant, ce sont deux candidats qui sortent du bois : l’un présenté par la CFTC, l’autre « sans appartenance syndicale ». Et à la surprise générale, c’est le candidat « sans appartenance syndicale » qui l’emporte ! Provoquant l’ire de la CFTC, se sentant spoliée de ce siège qui aurait dû de droit rester dans son escarcelle selon elle.

Les hostilités étaient alors ouvertes. Avec d’un côté, un CSE revendiquant la légalité de l’élection du représentant de proximité qu’il avait démocratiquement choisi et, de l’autre, un syndicat criant au vol et à la violation des dispositions conventionnelles applicables…

 

Silence conventionnel sur le remplacement des représentants de proximité en cours de mandat

Les dispositions conventionnelles applicables, et bien justement : parlons-en ! C’est bien leur assourdissant silence qui a permis d’alimenter la polémique. Se conformant aux dispositions légales, elles avaient bien songé à fixer les règles relatives à la désignation et à l’élection des représentants de proximité. Mais la loi ne prescrivant rien à propos de leur remplacement en cours de mandat, elles avaient passé outre.

S’engouffrant dans la brèche, le CSE en a déduit que le traçage « candidat à élire / organisation syndicale » n’avait été conventionnellement prévu que pour la désignation et l’élection initiale des représentants de proximité, et non pour leur remplacement en cours de mandat. Et qu’en conséquence, l’élection du 10 décembre 2020 était licite.

Inacceptable pour la CFTC, qui n’aura donc d’autre choix que de saisir la justice afin d’y défendre la thèse inverse et de solliciter son annulation.

 

Triomphe du bon sens et de… la commission paritaire conventionnelle

Devant le tribunal judiciaire, le syndicat arguera que les règles attenantes à l’élection initiale des représentants de proximité devaient également trouver application en cas de remplacements à opérer en cours de mandat. Elle s'appuiera en cela sur un avis qui avait été rendu dès septembre 2018 par la commission paritaire d'interprétation de l’accord ; avis qui avait expressément précisé que « le CSE devait désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale y compris en cas de remplacement d'un représentant de proximité ».

Le juge de première instance donnera raison au syndicat et annulera l'élection.

Mais les choses ne s'arrêteront pas là, puisque le CSE décidera de se pourvoir en cassation, insistant sur le fait que l’avis n'avait nullement la valeur d'un avenant à l'accord et qu’il n’aurait pas dû lier le juge.

Argument rejeté par la juridiction suprême de l'ordre judiciaire, considérant à juste titre que : « si l'interprétation donnée par une commission paritaire conventionnelle du texte d'un accord collectif n'a pas de portée obligatoire », rien n’empêche pour autant le juge « après analyse du texte » de la reprendre à son compte.

Or en l’espèce, interpréter l’accord du 18 septembre 2018 en considérant qu’il y a lieu d’appliquer les mêmes règles de désignation et d'élection en début comme en cours de mandat est tout à la fois logique et équitable. C’est donc sans surprise que la Cour de cassation rejette le pourvoi du CSE, et ce faisant, confirme l’annulation de l’élection du 10 décembre 2020 du représentant « sans appartenance syndicale ».

 

Quelques enseignements à tirer…

Premier enseignement à tirer : un accord mettant en place des représentants de proximité dans l’entreprise, dès lors qu’il ne prévoit pas de disposition spécifique quant à leur remplacement en cours de mandat, génère l’application des règles classiques de désignation et d'élection.

Deuxième enseignement : même si cet arrêt donne raison au syndicat, les négociateurs des accords de fonctionnement du CSE doivent veiller à se montrer précis dans les dispositions qu'ils élaborent, en particulier concernant la mise en place des représentants de proximité.

Car sur ce sujet, la loi ne dit rien et renvoie tout à l’accord[1]. Ainsi, prévoir la même application d'élections et de désignations en début et en cours de mandat aurait ici évité le développement d'un long contentieux…

Troisième enseignement :  le cas échéant, les juges prennent en considération les avis rendus par les commissions paritaires mises en place par les accords, bien que ceux-ci n'aient pas de portée obligatoire. C’est à l’évidence là un gage d’efficacité du dialogue social dans les entreprises !

 

Deux autres apports en marge de cet arrêt et qui méritent d’être mis en lumière 

Premier apport : les contestations relatives aux conditions de désignation des représentants de proximité sont de la compétence du tribunal judiciaire du lieu où la désignation est destinée à prendre effet. Et non pas du tribunal judiciaire du lieu d'implantation du CSE ou de négociation de l'accord de fonctionnement.

Deuxième apport : la contestation des désignations des représentants de proximité doit être formée devant le tribunal judiciaire statuant « sur requête », et non « par voie d'assignation »,  les parties étant de ce fait dispensées de constituer avocat.

 

[1] Art. L. 2313-7 C. trav.