Mixité proportionnelle : des précisions sur la saisine du tribunal avant les élections

Publié le 27/04/2022

Lorsqu’un syndicat dépose une liste de candidats au CSE qui ne respecte pas les règles de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, la Cour de cassation a admis que le tribunal judiciaire pouvait être saisi avant les élections pour déclarer cette liste irrégulière. Très peu de décisions ont été rendues sur cette procédure préélectorale, de sorte que l’arrêt récent de la Cour de cassation, bien que portant sur un point de procédure, est l’occasion de mettre en lumière cette action. Cass.soc.06.04.22, n°20-18198

La saisine préélectorale en matière de mixité proportionnelle

Si la bonne application des règles de mixité proportionnelle avait vocation à n’être vérifiée que postérieurement aux résultats des élections en raison des sanctions prévues par la loi, c’était sans compter la jurisprudence de la Cour de cassation.

Les règles de mixité proportionnelle sont sanctionnées dans le Code du travail de la manière suivante.

=> La constatation par le juge après l'élection du non respect de la proportion de femmes et d’hommes sur la liste de candidats entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste. Le juge annule alors l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats.

=> La constatation par le juge après l'élection du non-respect par une liste de candidats de la règle de l’alternance entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions (L2314-32 C.trav.).

L’une des sanctions de l’annulation d’une élection au titre de la mixité entraîne la vacance des sièges jusqu’aux prochaines élections, ce qui peut être lourd de conséquences pour l’ensemble de la représentation élue.

En 2019, dans une logique préventive et afin de limiter les risques d’un contentieux pouvant produire de telles conséquences, la jurisprudence est venue renforcer l’effectivité ou à tout le moins l’importance des règles de mixité proportionnelle dès le dépôt de la liste (1).

En effet le tribunal judiciaire peut déclarer une liste irrégulière à condition de statuer avant l’élection, en reportant le cas échéant la date de l'élection pour en permettre la régularisation.

C’est donc un véritable changement de paradigme par rapport aux prescriptions légales issues de la loi Rebsamen, changement qui, bien utilisé, peut avoir des répercussions non négligeables pour un syndicat qui déposerait une liste irrégulière en toute connaissance de cause dans le seul but d’obtenir une forte audience au 1er tour des élections.

La déclaration par le juge de l’irrégularité de la liste obligera le syndicat à la modifier en urgence s’il ne veut pas prendre le risque d’être totalement écarté du processus électoral...

Cela dit, ce contentieux préélectoral nécessite encore de nombreuses précisions afin d’y recourir utilement. Quelles conséquences le dépôt d’une liste autrement composée mais toujours irrégulière entraîne-t-il ? Jusqu’à quelle date le syndicat peut-il régulariser sa liste, compte tenu des contraintes de calendrier liées au processus électoral ? Quels effets l’irrégularité d'une liste constatée à la suite d’un pourvoi en cassation alors que les élections auront nécessairement eu lieu auraient-ils ?

Chaque décision de la Cour de cassation est donc importante à suivre pour mieux cerner les contours de cette action.

L’articulation entre le contentieux préélectoral et le contentieux électoral

L’objet n’est pas ici de commenter en détail l’arrêt, mais il nous semble utile de revenir succinctement sur les faits pour comprendre la portée de la décision.

Au sein d’un établissement de la société Eiffage, alors qu'il y avait 1 siège à pourvoir, FO a présenté dans le 3è collège une candidate comme titulaire en vue du 1er tour des élections au CSE, puis comme suppléante lors du 2è tour. La CFDT a contesté la régularité de la liste déposée par FO au motif que le syndicat aurait dû présenter un candidat appartenant au sexe majoritaire dans le collège (7,89% de femmes et 92,11% d’hommes), mais également en raison de l’inéligibilité de la candidate représentant l’employeur en sa qualité de responsable Qualité Sécurité Environnement.

Déboutée par le tribunal d’instance en décembre 2019, la candidate FO ayant ensuite été élue suppléante, la CFDT a saisi à nouveau le tribunal d’instance pour faire annuler son élection, avec des arguments juridiques identiques à ceux présentés pour la demande d’annulation de la liste et de sa candidature. 

En juillet 2020, le tribunal d’instance, devenu entre temps tribunal judiciaire, juge l’action de la CFDT irrecevable au regard de l’autorité de la chose jugée de la décision de décembre 2019.

Le principe de l’autorité de la chose jugée rend impossible pour une partie de saisir à nouveau la justice sur un fait précédemment jugé. Pour opposer à un justiciable l’autorité de la chose jugée, le Code civil (2) précise qu’il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Saisie d’un pourvoi par la CFDT, la Cour de cassation juge que la décision prise en matière de contentieux préélectoral n’a pas d’autorité de chose jugée dans le litige tendant à l’annulation des élections professionnelles.

Plus en détail, la Cour de cassation, au visa de l’article 1355 du Code civil, rappelle que ces deux contentieux ont un objet différent : le contentieux électoral vise à obtenir l’annulation des opérations électorales, le contentieux préélectoral vise « à vider préventivement le litige relatif aux candidatures ».

L’action de la CFDT était donc bien recevable !

Quelle est la portée de la décision ?

A première vue, on pourrait douter de l’intérêt d’une telle solution, dans la mesure ou cela oblige le syndicat à retourner devant le même tribunal pour faire juger les mêmes griefs. Quand bien même l’objet serait différent, il faut s’attendre à ce que le raisonnement du tribunal reste le même.

Toutefois, pour comprendre l’importance de cette décision, il faut prendre en compte une autre règle procédurale en lien avec les actions judiciaires : « en l’absence de recours contre les élections, le pourvoi en cassation dirigé contre les opérations préélectorales est jugé irrecevable faute d’intérêt (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-11445) ».

Ainsi, la solution de la Cour de cassation nous semble-t-elle logique, compte tenu de sa jurisprudence antérieure pour ne pas que le pourvoi du syndicat relatif au jugement rendu en matière préélectoral soit irrecevable s’il n’a pas de nouveaux griefs à développer à l’issue des élections.

Autrement dit, pour que le pourvoi en cassation contre la décision de première instance en matière préélectorale soit recevable, il sera possible et a priori nécessaire, tant que la jurisprudence n'apporte pas de précisions propres au contentieux préelectoral relatif à la mixité, de développer a minima la même argumentation lors du contentieux électoral.

 

 

(1) Cass. soc., 11.12.19, n° 18-26.568.

(2) Art. 1355 C.civ.

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