DS dans les petites entreprises : le syndicat peut désormais désigner un élu sous une autre étiquette !

Publié le 26/04/2023

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence sur la désignation du délégué syndical (DS) dans les petites entreprises. De longue date, la chambre sociale considérait que les syndicats représentatifs pouvaient désigner un élu du personnel comme DS à condition qu’il ait été présenté aux élections sous leur étiquette syndicale ou ait été élu en tant que candidat libre.

Se prononçant pour la première fois sur le sujet depuis le passage au CSE, elle opère un revirement de jurisprudence offrant aux organisations syndicales une liberté d’appréciation sur la personne choisie § Et ce, que celle-ci ait précédemment représenté un autre syndicat ou qu’elle ait été élue lors des dernières élections professionnelles sur des listes présentées par un autre syndicat...

Cass.soc. 19.04.23, n°21-17.916.

Un salarié élu sous une autre étiquette syndicale est désigné DS…

Des élections professionnelles se sont déroulées dans une entreprise comptant 43 salariés. A l’issue de la proclamation des résultats du 1er tour, le syndicat CFTC a désigné un élu présenté sur sa liste en tant que délégué syndical. 1 an plus tard, ce dernier a démissionné de son mandat syndical auprès de la CFTC. Et 1 mois après, c’est le syndicat CFDT qui a désigné ce même salarié en qualité de délégué syndical.

 

En principe, les délégués syndicaux ne peuvent être désignés que dans les entreprises ou les établissements distincts d'au moins 50 salariés (1). Cependant, il existe des exceptions à cette règle. Notamment, dans les établissements qui emploient moins de 50 salariés, les syndicats représentatifs peuvent désigner un membre élu du CSE comme délégué syndical pour la durée de son mandat. Sauf disposition conventionnelle, cette désignation n’ouvre pas droit à un crédit d’heures. Ainsi, le temps dont dispose l’élu au CSE pour l’exercice de son mandat peut être utilisé dans les mêmes conditions pour l’exercice de ses fonctions de délégué syndical (2).

C’est ainsi que la société a saisi le tribunal judiciaire pour contester cette désignation. Les juges du fond ont fait droit à sa demande, considérant que dans les entreprises de moins de 50 salariés, les syndicats représentatifs ne peuvent désigner comme délégué syndical qu'un élu titulaire dont la candidature a été présentée par son syndicat ou un candidat libre. Ainsi, selon eux, le salarié désigné ayant en l’espèce été élu sur une liste établie par la CFTC, il ne pouvait pas être désigné en qualité de DS par la CFDT.

Le syndicat CFDT s’est pourvu en cassation. Selon lui, « dès lors qu'un salarié remplit les conditions prévues par la loi pour être désigné délégué syndical, il n'appartient qu'au syndicat désignataire d'apprécier s'il est en mesure d'accomplir sa mission, peu important que ce salarié ait précédemment exercé des fonctions de représentant d'un autre syndicat ou qu'il ait été élu lors des dernières élections sur des listes présentées par un autre syndicat ».

Ce faisant, il s’appuyait sur la jurisprudence de la chambre sociale sur la désignation des DS dans les entreprises d’au moins 50 salariés qu’il considère applicable aux entreprises de moins de 50 salariés (3).

Il revenait ainsi à la Cour de cassation de répondre à la question suivante : Dans les entreprises de moins de 50 salariés, un salarié élu au CSE, sur une liste établie par un syndicat, peut-il être désigné DS d’un autre syndicat ?

Le passage des délégués du personnel aux membres élus du CSE

Selon une jurisprudence établie avant l’instauration du CSE, la Cour de cassation répondait par la négative à cette question. « La désignation d’un salarié en qualité de délégué syndical était subordonnée à son élection en qualité de délégué du personnel » (DP) et, en conséquence, un salarié « ne pouvait valablement représenter un autre syndicat que celui qui avait présenté sa candidature aux élections » (4).

Ainsi concrètement, un DP ne pouvait être désigné DS par un autre syndicat, quand bien même il aurait adhéré à cet autre syndicat postérieurement aux élections. La Cour avait toutefois jugé qu’il était possible, pour les syndicats représentatifs, de désigner un DP élu en tant que candidat libre (5).

Or, dans les entreprises de 50 salariés et plus, un candidat aux élections professionnelles ayant obtenu 10 % des suffrages à titre personnel pouvait (et peut toujours) être désigné en qualité de DS par tout syndicat représentatif, et pas forcément par celui sous l'étiquette duquel il s'est présenté. Cela s’explique par le fait que « le score électoral exigé du candidat par l'article L. 2143-3 du code du travail, pour sa désignation en qualité de délégué syndical, est un score personnel qui l'habilite à recevoir mandat de représentation par tout syndicat représentatif » (6).

La solution était donc opposée selon que l’on se soit trouvés dans une  entreprise de plus de 50 salariés ou de moins de 50 salariés.

Entre temps, les ordonnances de 2017 sont passées par là et les délégués du personnel ont laissé place aux membres du CSE. Un litige sur la désignation du DS dans une petite entreprise s’est présenté. Ce fut l’occasion pour la chambre sociale de réexaminer sa jurisprudence au regard du droit positif.

À l’occasion de l’examen de ce pourvoi, la chambre sociale a consulté les organisations syndicales et patronales représentatives aux niveaux national et interprofessionnel en application de la procédure prévue à l’article L. 431-3-1 du Code de l’organisation judiciaire.
La CFDT s’est exprimée en faveur du respect du principe de la liberté syndicale, aussi bien pour l’élu qui change d’étiquette syndicale que pour le syndicat qui choisit de le désigner.
L’avis de l’ensemble des organisations syndicales, allant d’ailleurs dans le même sens, fut donc entendu par la Haute Cour.

Liberté d’appréciation du syndicat désignataire

Dans le présent arrêt, la chambre sociale met fin à sa jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur : « il y a lieu de juger désormais qu'en application des dispositions de l'article L. 2143-6 du code du travail » (sur la désignation des DS dans les petites entreprises), « dès lors qu'un salarié remplit les conditions prévues par la loi pour être désigné délégué syndical, il n'appartient qu'au syndicat désignataire d'apprécier s'il est en mesure de remplir sa mission, peu important que ce salarié ait précédemment exercé des fonctions de représentant d'un autre syndicat ou qu'il ait été élu lors des dernières élections sur des listes présentées par un autre syndicat ».

La chambre sociale étend dorénavant sa position aux entreprises de moins de 50 salariés, facilitant ainsi la représentation syndicale dans les petites structures. Elle justifie son revirement par la place qu’occupe aujourd’hui la négociation collective au sein des entreprises :

« le rôle désormais dévolu par le législateur à la négociation collective au sein des entreprises suppose que la désignation d'un délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés ne soit pas subordonnée à des conditions inappropriées ».

 

On ne peut que saluer cette solution, en ce  qu'elle favorise la négociation collective dans les petites entreprises et permet de préserver à la fois la liberté des salariés de changer d’organisation syndicale et celle des syndicats de choisir librement leur représentant.


(1) Art. L.2143-3 C.trav.

(2) Art. L.2143-6 C.trav.

(3) Cass.soc.17.04.13, n°12-22.699.

(4) Cass.soc.02.11.94, n° 94-60.008.

(5) Cass.soc.06.07.99, n° 98-60.329.

(6) Cass.soc.28.09.11, n° 10-26.762 ; Cass.soc. 14.11.13, n° 12-29.984.