Délégué syndical : dans quel cas le syndicat peut-il désigner un simple adhérent ?

Publié le 24/05/2023

La série d’arrêts sur la désignation du délégué syndical (DS) continue. Après avoir tout récemment précisé les conditions de désignation du DS dans les petites entreprises (voir actu du 26/04/2023), la chambre sociale de la Cour de cassation tranche à présent une nouvelle question et voici ses conclusions : un syndicat peut désigner un simple adhérent comme DS lorsque son candidat prioritaire ne paie pas ses cotisations, et ceci sans que celui-ci n’ait à renoncer au mandat. Cass.soc.19.04.23, n° 21-60.127.

Désignation d’un adhérent en qualité de DS

Les élections des représentants du personnel au CSE de la société se sont déroulées le 16 janvier 2018. Le syndicat CGT y présentait 4 candidats obtenant tous au moins 10% des suffrages au 1er tour.

Depuis 2008(1), le DS doit en principe avoir été candidat sur une liste au 1er tour des dernières élections professionnelles et avoir obtenu 10% d’audience sur son nom. Cependant, ce principe connait des exceptions :
- si aucun candidat présenté par le syndicat ne remplit la condition des 10% ;
- ou s’il ne reste plus aucun candidat dans l’entreprise ou l’établissement qui remplisse cette condition ;
- ou encore si l’ensemble des élus ou candidats de la liste présentée par le syndicat qui remplissent la condition des 10% renoncent par écrit à leur droit d’être désignés DS.

Dans ces cas, le syndicat représentatif peut désigner un DS parmi les autres candidats(2), ou à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou l'établissement ou encore parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au CSE. Deux éléments sont à déduire de ces règles :
=> les candidats ou élus ayant recueilli 10% des suffrages sont prioritaires par rapport aux autres candidats, aux adhérents et anciens élus du syndicat ;
=> les candidats du syndicat n’ayant pas recueilli 10% sont prioritaires par rapport aux adhérents ou anciens élus.(3)

Deux ans plus tard, le syndicat CGT a souhaité désigner un délégué syndical. À ce moment, parmi ses 4 candidats, 2 avaient quitté l’entreprise, un autre avait démissionné de son mandat de DS le mois précédent et renoncé par écrit à son droit d'être désigné DS et le quatrième n’était pas à jour de ses cotisations depuis plus de 2 ans (il n’était plus adhérent depuis le 31 mai 2018). C’est ainsi que le syndicat a désigné un adhérent, non-candidat aux dernières élections du CSE, en qualité de DS.

La société a saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annulation de cette désignation et les juges lui ont donné raison. Selon eux, l’adhérent désigné n’avait pas été candidat aux élections du CSE et n’avait donc pu recueillir au moins 10% des suffrages. Il restait en revanche le quatrième candidat qui pouvait prétendre être désigné, peu important qu'il ne soit pas à jour de ses cotisations syndicales, « cette condition [n'étant] pas une condition légale à retenir ». Aussi, le syndicat ne pouvait désigner un simple adhérent sans obtenir de renonciation de la part du candidat prioritaire.

Le syndicat s’est pourvu en cassation.

À l’occasion de l’examen de ce pourvoi, la chambre sociale a consulté les organisations syndicales et patronales représentatives aux niveaux national et interprofessionnel en application de la procédure prévue à l’article L. 431-3-1 du Code de l’organisation judiciaire.

La CFDT s’est exprimée en faveur du respect du principe de la liberté pour le syndicat de désigner un adhérent dans un tel contexte. L’avis de l’ensemble des organisations syndicales, allant d’ailleurs dans le même sens, fut donc entendu par la Haute Cour.

Pas de cotisations = renonciation !

La chambre sociale rejette le raisonnement des juges du fond. Confirmant son arrêt isolé rendu en 2014(4), elle juge que le syndicat qui ne dispose plus de candidats en mesure d’exercer un mandat de délégué syndical à son profit peut désigner l’un de ses adhérents(5). Tel est le cas lorsque les candidats du syndicat ne cotisent plus et ont « renoncé à l’activité syndicale » !

Nul besoin dans ce cas d’obtenir une renonciation formelle du candidat. « L’absence de cotisation syndicale démontre en effet que le salarié en cause n’est plus membre du syndicat », indique l’avocate générale dans son avis. Deux ans sans cotisation en l’espèce, un an dans l’affaire de 2014, il s’agit en réalité de démontrer que le candidat prioritaire a renoncé à son activité syndicale.

Pour autant, cela ne signifie pas que l’adhésion au syndicat devienne une condition pour pouvoir désigner un délégué syndical. D’ailleurs, la CFDT a pris soin de préciser lors de son audition que cette faculté du syndicat ne devait pas conduire à durcir les conditions de désignation du DS !

La Haute juridiction justifie sa position par la nécessité de faciliter la présence syndicale dans l’entreprise. En effet, elle explique que le législateur, en ratifiant les ordonnances de 2017, « a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises ». L’objectif de la Cour est ainsi d’éviter les situations de blocages dans lesquelles un syndicat se retrouverait contraint de désigner un candidat qui n’en est plus membre. L’avocate générale craint que dans cette hypothèse, « le choix [puisse] alors être de se priver d’un représentant au sein de l’entreprise ».

La CFDT salue cette solution qui préserve la liberté de l’organisation syndicale désignatrice dans un contexte où celle-ci avait fait le choix initial de présenter sur ses listes des salariés adhérents.


(1) Art. L.2143-3 C.trav.

(2) Il peut désigner des candidats présentés sous une autre étiquette mais il n’a pas l’obligation de leur proposer avant de pouvoir désigner un adhérent.

(3) Cass.soc.12.04.18, n° 17-60.197.

(4) Cass. soc.26.03.14, n° 13-20.398 ; ayant admis la possibilité pour un syndicat de désigner un adhérent lorsque les candidats de ce syndicat ne versent plus leur cotisation syndicale.

(5) Cass.soc.27.07.2013 n° 12-18.828.