Chèque syndical : mode d’emploi

Publié le 19/10/2022

Principale source de financement des syndicats et critère de représentativité, les cotisations des adhérents peuvent être favorisées par ce que l’on appelle les « chèques syndicaux ». Dans un arrêt récent, la Cour de cassation rappelle le cadre juridique des accords prévoyant une prise en charge des cotisations syndicales par l’employeur. Selon la Haute juridiction, la liberté syndicale interdit de distinguer selon que l’adhésion est en faveur de syndicats représentatifs ou de syndicats non-représentatifs. De plus, la prise en charge de la totalité des cotisations par l’employeur serait de nature à rendre suspecte l’indépendance syndicale. Cass.soc.28.09.22, n°21-10785.

La validité d’un accord sur la prise en charge des cotisations syndicales est contestée…

Un accord d’adaptation du dialogue social est signé au sein de l’UES Solvay France. L’une de ses dispositions (art.17.1) prévoit un chèque syndical réservé aux salariés adhérant à un syndicat représentatif dans l’UES. Le mécanisme est le suivant : par l’intermédiaire des syndicats et d’un officier ministériel, l'employeur rembourse le reste à charge du salarié, soustraction faite des déductions fiscales (prévues par l’art.199 ter du Code général des impôts).

L’article L.2141-6 du Code du travail interdit à l’employeur de prélever les cotisations sur le salaire et de les payer à la place des salariés. Il ne serait en effet pas possible dans ces conditions d’assurer la confidentialité des adhésions. C’est pourquoi, l’accord Solvay avait prévu l’intervention d’un tiers (un officier ministériel).

Une fédération syndicale demande l’annulation de l’accord.

En substance, elle fait valoir deux arguments :

- d’une part qu’en vertu du principe de liberté syndicale, le bénéfice du chèque syndical ne peut être restreint aux salariés adhérant à un syndicat représentatif ;

- d’autre part que l’indépendance syndicale interdit à l’employeur de prendre en charge la totalité du reste à charge pour le salarié.

La cour d’appel rejette ces arguments. Selon les juges du fond, le critère de distinction reposant sur la qualité représentative du syndicat n’est pas illicite et ne crée pas de discrimination, puisque la différence de traitement ainsi créée repose sur une raison objective, matériellement vérifiable, et a pour but d’inciter à l’engagement syndical. Un accord pouvait donc prévoir cette prise en charge, qui ne prive pas les syndicats non-représentatifs des moyens qu’ils tiennent de la loi.

La fédération syndicale ne l’entend pas ainsi et saisit la Cour de cassation.

La liberté syndicale et l’indépendance financière encadrent strictement la licéité des accords

La Cour de cassation accueille favorablement le pourvoi. Elle rappelle les règles énoncées dans cette même affaire en référé en 2021 (1) et casse l’arrêt d’appel, en se fondant sur l’alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946, l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le principe d’égalité, ainsi que sur l’article L.2121-1 du Code du travail.

Au regard de ces textes, qui consacrent respectivement la liberté syndicale, l’égalité (dont l’égalité de traitement) et les critères de représentativité syndicale, elle confirme à nouveau la possibilité d’instituer un chèque syndical par accord :

« Un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale dans l’entreprise, et dans ce cadre, en vue d’encourager l’adhésion des salariés de l’entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles ».

Pour ensuite en encadrer les conditions de validité. En effet, le dispositif ne doit :

  • ni porter « atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix » ;
  • ni permettre « à l’employeur de connaître l’identité des salariés adhérant aux organisations syndicales ».

En outre, il doit bénéficier « tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise » et « le montant de la participation de l’employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d’indépendance visé à l’article L.2121-1 du Code du travail. »

En conséquence, la Cour de cassation annule l’accord, sans renvoi. Cependant, afin de tenir compte de la complexité qu’impliquerait le remboursement par les adhérents des cotisations déjà prises en charge, elle use de la faculté du juge de ne pas donner d’effet rétroactif à l’annulation d’un accord collectif. L’annulation du chèque syndical ne vaudra donc en l’espèce qu’à compter du 1er janvier 2024.

 

L’article L.2262-15 du Code du travail autorise les juges à moduler dans le temps les effets de l’annulation d’un accord collectif. Ce texte prévoit en effet que le juge « peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps ».
La Cour de cassation a d’ailleurs déjà eu l’occasion de préciser comment appliquer ce texte (Cass.soc.13.01.21, n°19-13977).

La solution se justifie au regard de la liberté syndicale. Il n’est évidemment pas possible de distinguer la prise en charge selon que les salariés souhaitent adhérer à un syndicat représentatif ou non représentatif dans l’entreprise sans exercer une forme de pression et acter en faveur du renforcement du statu quo en matière de forces syndicales. Ce qui n’est d’ailleurs pas dans l’esprit de la Position commune de 2008.  

Certes, de manière générale, un accord collectif peut accorder des avantages aux seuls syndicats représentatifs (2), mais telle n’est pas ici la question, puisqu’il ne s’agit pas d’accorder un financement aux syndicats, mais de favoriser l’adhésion syndicale des salariés. A cet égard, il importe de préserver leur liberté de choix !

Par ailleurs, l’anonymat des salariés adhérents est bien sûr nécessaire pour éviter toute tentative de représailles ou de discrimination.

 

 

(1) Cass.soc.27.01.21, n°18-10672. La Cour de cassation statuait alors sur un arrêt rendu en référé qui avait considéré qu’il y avait là un trouble manifestement illicite, ce qu’elle a confirmé.

(2) Par exemple : Cass.soc.22.09.10, n°09-60410.

(3) En ce sens : Y. Ferkane, Répertoire de droit du travail, n°765.

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