Preuve illicite : recevable oui, mais pas à n’importe quelles conditions !

Publié le 15/03/2023

On le sait désormais : ce n’est pas parce qu’un moyen de preuve est illicite, qu’il n’est pas recevable dans le cadre d’une procédure prud’homale ! Une telle preuve peut même aller jusqu’à porter atteinte à la vie personnelle d'un salarié à condition toutefois qu’elle soit indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi...

Mais pour cela, encore faut-il que l’employeur ne dispose pas d’une autre preuve plus respectueuse de la vie personnelle du salarié !

Voici le sens d’un arrêt rendu récemment par la Cour de cassation. Cass.soc.08.03.23, n°21-17802.

Les faits 

Accusée de détournements de fonds et de soustractions frauduleuses, une salariée (prothésiste), est licenciée pour faute grave. L’employeur fonde son licenciement sur des enregistrements vidéo extraits du dispositif de vidéosurveillance qu’il a installé au sein de son établissement. Mais la salariée conteste son licenciement au regard des moyens de preuve utilisés par l’employeur (les enregistrements vidéo) qui, selon elle, sont illicites.

Les juges du fond lui donnent raison et déclarent ces enregistrements irrecevables parce qu’ils portent atteinte à deux principes.

  • Le caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Il se trouve que les faits reprochés à la salariée avaient initialement été révélés par un audit mis en place par la société. Audit non versé aux débats mais évoqué dans la lettre de licenciement. L’employeur disposant d’un autre moyen de preuve mettant en évidence de nombreuses irrégularités commises par la salariée, la production des extraits vidéos n’était donc pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve.

  • Le droit au respect de la vie privée de la salariée. L’installation de la caméra dans le magasin étant disproportionnée par rapport au but poursuivi.

La cour d’appel juge alors le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

L’employeur conteste à son tour. Il rappelle que l’illicéité de la preuve n’entraîne pas automatiquement son rejet des débats (1) : dans ce cas, la cour d’appel doit rechercher si l'utilisation de cette preuve a ou non porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. Il ajoute que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié (comme cela peut être le cas ici, via la vidéosurveillance…), à condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Et justement ! L’exploitation des images de la vidéosurveillance constituait pour lui le seul moyen de démontrer les irrégularités reprochées à la salariée. La cour d’appel a d’ailleurs écarté les autres éléments de preuve qu’il avait rapportés, les jugeant insuffisants à démontrer la faute….

Quant au caractère disproportionné de l’atteinte portée à la vie privée par le dispositif de surveillance, l’employeur ajoute que celui-ci avait été installé dans le magasin dans un souci de protection des personnes et des biens compte tenu des fréquents vols qui y étaient perpétrés.

L’employeur saisit la Cour de cassation.

La question étant de savoir si les enregistrements litigieux étaient, pour l’employeur, réellement indispensables à l’exercice de son droit à la preuve, dès lors qu’il disposait d’un autre moyen de preuve.

 

Rappel du rôle du juge et de la méthode d’analyse à suivre en cas de preuve illicite

Après avoir rappelé que ce n’est pas parce qu’un moyen de preuve est illicite qu’il est nécessairement rejeté des débats(2), la Cour de cassation fait le point sur le rôle du juge dans une telle hypothèse.

  • Le juge doit apprécier si l’utilisation de la preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble et doit, pour cela, mettre en balance le droit au respect à la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. Sachant que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à condition toutefois que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Puis la Cour de cassation explique quelle doit être la démarche d’analyse du juge en présence d’une preuve illicite. Il doit successivement :

  • s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existe des raisons concrètes justifiant le recours à la surveillance et son ampleur ;
  • rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
  • apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

La Cour de cassation examine ensuite ces différents points.

 

Le dispositif de vidéosurveillance est-il un mode de preuve licite ? Non !

La première question à se poser est donc de savoir si le moyen de preuve produit est ou non licite. Or, sur ce point, la cour d’appel a pu constater plusieurs manquements de l’employeur, celui-ci n’ayant :

  • ni informé la salariée de la finalité du dispositif de vidéosurveillance et de la base juridique sur laquelle il se fondait ;
  • ni sollicité l’autorisation préfectorale préalable, contrairement à ce que prévoit la loi(3).

Le dispositif ayant été mis en place irrégulièrement, la cour d’appel en déduit justement que les enregistrements litigieux extraits de la vidéo surveillance constituent un moyen de preuve illicite.

 

La production des enregistrements vidéo était-elle indispensable à démontrer les irrégularités commises par la salariée ? Non !

Pour l’employeur, ces enregistrements ont permis de confirmer les soupçons qui avaient été révélés par l’audit précédemment mis en place. Pourtant, la cour d’appel constate que la société n’a pas produit cet audit devant le conseil de prud’hommes et ce, alors même qu’elle l’évoque dans la lettre de licenciement.

Dès lors que l’employeur disposait d’un autre moyen de preuve qu’il n’avait pas versé aux débats, la cour d’appel a donc eu raison de considérer que les enregistrements produits n’étaient pas indispensables à l’exercice du droit à la preuve par l’employeur. Et ce, quand bien même la cour d’appel avait estimé que la réalité de faute de la salariée n’était pas établie par les autres pièces produites.

La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir jugé les pièces litigieuses comme irrecevables.

 

Quelle portée ? 

Globalement, cette décision reste dans la lignée de la jurisprudence se dégageant ces dernières années sur la question du droit à la preuve (4). Cette jurisprudence tendant à faciliter la preuve, elle n’est pas forcément à l’avantage des salariés au regard de l'indiscutable inégal accès à la preuve entre salariés et employeurs ...

Pour autant, les précisions apportées par la Cour de cassation dans cet arrêt sont importantes et bienvenues.

Elles nous indiquent comment apprécier le caractère « indispensable » que doit revêtir une preuve illicite pour être recevable.

Ainsi, le fait que cette preuve soit la seule parmi toutes les autres à permettre de prouver la faute commise ne suffit-elle pas à la qualifier d’« indispensable », dès lors qu’un autre mode de preuve plus respectueux de la vie privée du salarié est à la disposition de l’employeur.

Ensuite, parce que ce faisant, la Cour de cassation encadre et limite la recevabilité des preuves illicites, ce qui est louable.

Enfin, parce qu’à travers cette décision, elle donne aux juges du fond une véritable méthode d’analyse leur permettant d’apprécier cette recevabilité.

 

(1) Art. 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

(2) Sur ce point, voir Preuve par vidéosurveillance : illicéité ne signifie pas nécessairement irrecevabilité !

(3) Article 32 loi « Informatique et Libertés » et art. L.223-1 et s. Code sécurité intérieure.

(4) Cass.soc., 25.11.20, n°17-19523 ; Cass.soc.10.11.21, n°20-12263.