Obligation de sécurité : qu’en est-il en cas de violences entre salariés?

Publié le 22/02/2017

L’employeur ne peut se voir reprocher un manquement à son obligation de sécurité dès lors que le salarié invoque des faits ayant pour seule cause son propre comportement (provocation d’une altercation avec un collègue). En outre, la Cour de cassation ajoute que cet évenement était imprévisible et que l'employeur était intervenu pour le faire cesser. Cass.soc.01.02.2017, n°15-24.166.

  • Rappel sur l’obligation de sécurité de l’employeur

Comme chacun le sait, l’employeur est juridiquement tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité.

Pendant longtemps, cette obligation de sécurité de l’employeur était considérée comme étant de résultat. C’est-à-dire que l’employeur, en tant que débiteur d'une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, pouvait voir sa responsabilité engagée du seul fait que la sécurité du salarié n'avait pas été assurée.

Réel atout pour les salariés, cette obligation de résultat permettait au salarié  l’assurance d’une sécurité quasi « absolue » : la seule preuve du défaut de résultat rendant l’employeur défaillant.

Le schéma en matière de sécurité au travail était donc le suivant : dès lors que le risque n'avait pu être « anticipé», la responsabilité de l'employeur était mise en cause, l'absence de faute de sa part ne permettant pas de l'exonérer de sa responsabilité.

Confronté à cette mise en œuvre quasi « automatique » de sa responsabilité, l'employeur pouvait seulement tenter de faire valoir qu'il s'était heurté à une exécution impossible de son obligation (hypothèse assez rarement admise par les juges).

Toutefois, depuis un arrêt du 25 novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a infléchi sa jurisprudence. En effet, depuis l'arrêt Air France, la Cour de cassation offre le moyen à l’employeur de voir sa responsabilité dégagée en cas d’atteinte à la santé ou la sécurité d’un salarié, s’il démontre avoir pris toutes les mesures prévues par les articles  L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) pour tenter de l’éviter (1).

Une solution identique avait été retenue par la jurisprudence en cas de violences (2) ou de harcèlement moral (3).

En somme, la chambre sociale est passée d’une obligation de sécurité de résultat à une obligation de moyens « renforcée », l’employeur ne commettant pas de manquement à l’obligation de résultat s’il a pris les mesures de préventions adaptées ou/et a fait cesser de manière immédiate les agissements.


Lorsqu’une personne est tenue à une obligation de moyen, elle doit démontrer qu'elle a mis en œuvre les moyens nécessaires pour arriver à ce résultat. Autrement dit, faire ce qui est  "dans ses moyens"  pour remplir son obligation, sans être pour autant tenue de parvenir à un résultat ! Tandis que, lorsqu’une personne est tenue d’une obligation de résultat, elle doit parvenir à ce résultat déterminé.

  • Les faits et la procédure 

Un salarié engagé en tant que vendeur dans un magasin d’ameublement a été placé en arrêt de travail après une altercation avec un collègue. Lors de cette rixe, le salarié avait, de manière violente, bousculé un collègue qui, en retour, lui avait asséné un coup de poing. Déclaré inapte, le salarié a été  licencié par la direction.

S’estimant lésé, le salarié a décidé de saisir la juridiction prud’homale pour faire valoir ses droits. Selon ce dernier, le licenciement était entaché de nullité en raison des agissements de harcèlement moral commis par l’employeur et du manquement de celui-ci à son obligation de sécurité.

Pour arriver à ses fins, le salarié s'est fondé sur la jurisprudence selon laquelle « l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. L’employeur manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Cass.soc. 23.01.13, n° 11-18.855).

 

Dans, sa décision du 23 janvier 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation avait reconnu une responsabilité absolue de l’employeur en cas de violence au sein de l’entreprise.

La cour d’appel de Poitiers n'a pas suivi cette jurisprudence et a débouté le salarié de ses demandes au motif que les faits invoqués par le salarié avaient pour seule cause son propre comportement, et non celui de l’employeur.

Le salarié décide alors de se pourvoir devant la chambre sociale de la Cour de cassation.  

  • Les violences entre salariés n’entraînent pas la mise en cause de la responsabilité de l’employeur  

Les magistrats du Quai de l’horloge ne font que peu d’état de l’argumentaire développé par le salarié et se rangent du côté de la cour d’appel.  

Pour la Haute Cour, les juges du fond  « ayant constaté que les faits invoqués par le salarié avaient pour seule cause son propre comportement, caractérisé par une violence commise à l’encontre d’un collègue, et retenu que l’employeur ne pouvait anticiper un tel risque et qu’il était personnellement intervenu pour faire cesser l’altercation, en a exactement déduit l’absence de manquement à son obligation de sécurité ».

Autrement dit, pour les magistrats, l’employeur ne peut se voir reprocher un manquement :

-          dont l’origine provient du salarié,

-          imprévisible,

-          qu’il a fait cesser.

Le pas de l’obligation de moyen en matière de sécurité au travail est ici bien emboîté. Cette solution s'inscrit en effet dans la droite ligne de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, inititiée depuis 2015. 

Par ailleurs, on voit se dégager de la solution de la Cour de cassation deux éléments de la force majeure, à savoir l’élément extérieur et l’imprévisibilité.

 

La force majeure est définie par la jurisprudence comme un événement imprévisible, insurmontable et indépendant de la volonté d’une personne susceptible de la dégager de sa responsabilité juridique ou de la délier de ses engagements. Exemples: une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre ou une inondation.
A ce propos, la récente réforme du droit des obligations a été à l’origine d’un nouvel article 1218 du Code civil donnant une définition  de la force majeure en matière contractuelle : "lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur (...)".

Est-ce là à dire que la Cour retiendrait la faute de l’employeur en cas d'absence de ces deux éléments dans toutes les situations ? Nous n’en sommes pas là !

 

 



(1) Cass.soc.25.11.2015, n°14-24.444. 

(2) Cass.soc.22.09.2016, n°15-14.005.

(3) Cass.soc.01.06.2016, n°14-19.702.

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