Véhicule de l’entreprise : quelles responsabilités en cas d’infraction de la route ?

Publié le 06/02/2019

Le représentant d’une personne morale est dans l’obligation de dénoncer le conducteur d’un véhicule de l’entreprise ayant commis une infraction. Ce conducteur pouvant être de fait un salarié, il peut être pénalement poursuivi pour s’être soustrait à cette obligation, de même que la personne morale propriétaire du véhicule.  Cass.crim, 11.12.18, nº 18-82.820 et nº 18-82.628

Les infractions routières commises avec un véhicule de société signifient-elle toujours absence de retrait de points ? Depuis la loi du 18 novembre 2016 n°2016-1547, la question, qui intéresse nécessairement les salariés utilisant un ou des véhicules de fonction, est a priori réglée.

  • De la zone de non-droit à la création du délit de non-dénonciation

Avant l’entrée en vigueur de la loi, en cas d’impossibilité d’identifier l’auteur d’une infraction routière (ex : radars fixes) commise avec un véhicule de l’entreprise, il n’existait aucune obligation pour cette dernière d'en dénoncer l’auteur.

La conséquence directe était que l’amende pécuniaire devait être supportée par le titulaire du certificat d’immatriculation. En revanche, l’auteur des faits n’étant pas identifié, aucun retrait de points n’avait lieu.

Pour mettre fin à ce que certains ont qualifié de "zone de non-droit", le législateur a créé le délit de non-dénonciation à l’article L. 121-6 du Code de la route. En cas d’infraction commise avec un véhicule appartenant à une personne morale, son représentant légal a obligation de faire connaître aux autorités compétentes l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait le véhicule. A défaut, il encourt l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe (art. L. 131-13 du Code pénal : « 4 750 euros au plus pour les contraventions de la 4e classe »).

En d’autres termes, s’il ne veut être pas lui-même poursuivi, le représentant légal se doit de désigner le « présumé » conducteur du véhicule. Bien souvent, il s'agit d'un salarié de l’entreprise.

  • Qui est responsable du "délit de non-délation"?

Loin de régler la question de cette délation, non exempte de critiques et de questionnements (le conducteur désigné est-il réellement le vrai conducteur, quel recours possible contre une mauvaise désignation…), la Cour de cassation vient de se pencher sur la question de savoir qui peut être poursuivi en cas de non-dénonciation. En d’autres termes, la personne morale peut-elle être poursuivie au même titre que son représentant légal ?

Rappel des faits. Ce sont deux affaires portant sur le même problème de droit qui ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Dans la première espèce, un véhicule immatriculé au nom de la société Batismac a été flashé en excès de vitesse. L’avis de contravention a alors été envoyé à la société. Le représentant légal de l’entreprise, qui avait bien reçu l’avis de contravention, n’a en revanche pas fait connaître, dans le délai requis, l'identité et l'adresse du conducteur du véhicule lors des faits. La société s’est alors vu adresser une seconde contravention pour non désignation du conducteur du véhicule.

Dans la seconde espèce, un véhicule de l’entreprise Optimmo a lui aussi été flashé. La société, destinataire de l’avis de contravention, a refusé de transmettre l’identité et l’adresse du conducteur. Elle s’est alors vu notifier un avis de contravention.

Dans les deux cas, l’argument avancé pour contester les contraventions a été le suivant : l’avis de contravention doit être adressé au représentant de la personne morale, et non à la personne morale elle-même, conformément à ce que prévoit le Code de la route. L’article L. 121-6 du Code de la route fait en effet expressément reposer l’obligation de dénonciation sur le représentant légal de la personne morale.

Argument qui a convaincu les juges du fond, lesquels ont décidé que l’avis de contravention doit être adressé au représentant de la personne morale, et non pas directement à la personne morale. La conséquence étant alors la relaxe pour les deux entreprises en question.

La Cour de cassation a alors été saisie de la question de savoir si la responsabilité de la personne morale peut être recherchée pour l’infraction de non-dénonciation d’infraction routière.

-  Responsabilité du représentant légal ou de la personne morale

La Cour de cassation rappelle pour commencer que le représentant légal d’une personne peut être poursuivi « pour n'avoir pas satisfait, (…), à l'obligation de communiquer l'identité et l'adresse de la personne physique qui, lors de la commission d'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale ».

Elle ajoute ensuite que cette responsabilité du représentant légal n’exclut pas que « la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant ». Dans l’une des deux affaires, la Cour de cassation se fonde sur l’article 121-2 du Code pénal, lequel précise que « Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. ».

Une telle analyse de la Cour de cassation a pour conséquence directe d’élargir le spectre de la responsabilité en cas de non-respect de l’obligation de dénonciation : représentant légal et personne morale peuvent être directement poursuivis.

Concrètement, ces arrêts de la Cour de cassation sont de nature à inciter fortement les entreprises à dénoncer les salariés pour qu’une infraction routière ne reste pas impunie. Si l’on peut y voir une nécessité d’apporter des réponses pénales aux infractions routières, cette décision, et plus globalement cette obligation de dénonciation, interroge quant aux potentiels risques qu’ils font peser sur les salariés, pouvant être dénoncés à tort, en particulier dans les entreprises disposant d’une flotte importante de véhicules...

Cela interroge aussi sur la potentielle dégradation du climat social que de telles dénonciation sont susceptibles de générer !