Rupture conventionnelle collective : quelles conditions de validation de l’accord ?

Publié le 07/11/2018

Première occurrence de jugement portant sur la contestation de la validation d’un accord portant rupture conventionnelle collective (RCC), une décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise tranche plusieurs questions délicates. Quelle sanction en cas de retard dans l’information de la Direccte sur l’engagement des négociations ? Les IRP doivent-elles être consultées préalablement à la conclusion de l’accord ? Le juge peut-il se substituer aux négociateurs et considérer que la RCC constitue un contournement du droit du licenciement économique, autrement dit que l’employeur aurait dû élaborer un PSE ? TA Cergy-Pontoise, 16.10.18, n°1807099.

  • Faits, procédure, prétentions

En janvier 2018, la société Téléperformance a engagé la négociation d’un accord portant RCC comme l’y autorise le nouvel article L.1237-19 du Code du travail, issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017.

Un accord portant RCC et incluant un congé de mobilité a été signé par 3 organisations syndicales représentatives (dont la CFDT/F3C). Aux termes de celui-ci, 226 emplois devaient être supprimés. Après transmission à la Direccte, cet accord a été validé.

A la suite de quoi la fédération d’un syndicat non-signataire, le CHSCT, ainsi qu’un salarié (membre dudit syndicat non signataire) ont demandé l’annulation de la décision de validation de l’accord.

Une première contestation des requérants portait sur la Direccte compétente, puisque l’entreprise comportait des établissements situés dans des ressorts différents. Sur ce point cependant, l’administration avait fait une application des textes donnant compétence au ministre du Travail pour désigner la Direccte compétente (articles L. 1237-19-6, R. 1237-6 et R. 1237-6-1 du Code du travail) qui ne semblait pas vraiment prêter à discussion.

Reste que des questions plus épineuses se posaient, notamment celle de la sanction du retard dans l’information de l’administration de l’engagement des négociations.

 

  • Quelle sanction en cas de retard dans l’information du Direccte ?

 

Pour rappel, l’article L.1237-19, alinéa 2 du Code du travail prévoit que : « L’administration est informée sans délai de l’ouverture d’une négociation en vue de l’accord ». Lors du contrôle de validation de l’accord portant RCC, dont les contours sont précisés à l’article L.1237-19-3 du Code du travail, celle-ci doit notamment vérifier que ces prescriptions ont bien été respectées.

En l’espèce, l’administration avait été prévenue environ 3 semaines après l’engagement des négociations.

Se posait donc la question de savoir si la validation dudit accord pouvait être remise en cause du fait du non-respect de l’obligation, incombant aux négociateurs, d’informer l’administration.

Le tribunal rejette assez logiquement cette critique en se référant à la finalité du texte posant ladite obligation d’information : il s’agit principalement, selon lui, « de permettre à l’administration du travail d’exercer un suivi de la négociation collective, ainsi que de procéder (…) à la désignation du directeur régional compétent ».

Or, il relève d’une part qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier (…) que l’inobservation de ce délai (..) ait eu pour conséquence de porter une atteinte à une garantie de procédure ou ait exercé une influence sur le sens de la décision litigieuse » et d’autre part, que « l’observation du délai imparti (…) n’est pas prescrite à peine de nullité ».

Bref, on retiendra ici que si l’information tardive du Direccte ne semble pas devoir être sanctionnée, dès lors que cela n'a pas eu d’incidence sur la décision prise, il en aurait probablement été tout autrement s’il n’y avait pas eu d’information en temps utile pour procéder à la désignation du Direccte - et quoi qu’il en soit en amont du dépôt de la demande de validation !

 

  • Pas d’obligation de consultation sur le fondement des compétences générales du CE

Par ailleurs, les requérants critiquaient la décision de validation en ce qu’elle n’aurait pas tenu compte du (prétendu) non-respect de la procédure d’information-consultation des IRP (restées en l’espèce sous la forme CE et CHSCT).

En effet, l’article L.1237-19-3, 3° du Code du travail prévoit bien que le Direccte vérifie le respect de la procédure d’information-consultation du CSE. Mais de quelle procédure s’agit-il exactement ?

Concernant l’accord de RCC 2 types de procédure d’information-consultation peuvent être envisagés.

Tout d’abord, on peut penser à la procédure d’information-consultation sur le fondement des compétences générales du CE (devenu CSE) en cas de restructuration et de compression d’effectifs (1), la consultation serait alors préalable à la signature de l’accord et aurait pour objet cette signature elle-même en ce qu’elle entérine, en même temps qu’elle les accompagne, le principe d’un certain nombre de suppressions d’emplois.

Une telle consultation est-elle souhaitable ? Sachant que des organisations syndicales acceptent d’apposer une signature majoritaire, quel serait l’intérêt de demander l’avis des élus, si ce n’est de mettre (dans certaines hypothèses de discordance entre la majorité issue de la représentation élue et celle issue de la représentation syndicale) les représentants des salariés en porte-à-faux ?

Le tribunal rejette d’ailleurs cet argument. Selon lui, lors du contrôle de validation, le Direccte n’a d’obligation de s’assurer que de la « régularité de la procédure d’information du comité d’entreprise au regard des prescriptions dudit accord, ainsi que le prévoit l’article L.1237-19-1 du code du travail ». Autrement dit, et conformément à ce texte, c’est à l’accord lui-même que revient de prévoir « les modalités et conditions d’information » du CSE.

Dispositions qui avaient été respectées en l’espèce, puisqu’il existait des stipulations conventionnelles sur ce point et que celles-ci avaient été respectées. En effet, 2 réunions s’étaient tenues : la première pour informer de l’ouverture des négociations, la seconde pour présenter l’accord signé.

On notera que l’objet de cette information (sans consultation) n’est pas de se prononcer sur l’opportunité de signer un tel accord, ce que les organisations syndicales majoritaires peuvent apprécier d’elles-mêmes (le débat pouvant s’organiser à ce sujet reste une question d’organisation interne et non une occasion de mettre les équipes publiquement en porte-à-faux).

Quant à la consultation du CHSCT, le tribunal note qu’elle n’est tout simplement pas prévue par les textes !

 

  • Un engagement de ne pas licencier pendant 12 mois est suffisant

En outre, les requérants prétendaient que la société avait éludé les règles du licenciement pour motif économique, en vertu desquelles elle aurait dû élaborer un PSE.

A cet égard, le tribunal relève que la société « a expressément pris l’engagement de ne procéder à aucun licenciement pendant une période de douze mois suivant les premiers départs réalisés » et que « ce délai raisonnable est de nature à établir l’absence de contournement des règles relatives au licenciement pour motif économique ».

On touche ici à un point délicat : quand un accord portant RCC est signé, pendant combien de temps tout licenciement doit-il être exclu, ainsi que le prescrit l’article L. 1237-19 du Code du travail ?

De deux choses l’une :

- soit l’accord ne dit rien, car les textes ne l’y obligent pas, et c’est alors au Direccte d’apprécier, en cas de demande d’homologation/validation d’un PSE par la suite si une durée raisonnable s’est écoulée depuis les RCC (au moins 6 mois ? 1 an ?) ;

- soit l’accord prévoit lui-même un engagement de ne pas licencier, et cette durée devra être respectée. Ce qui signifie, à notre sens, qu’aucune demande d’homologation/validation d’un PSE ne saurait prospérer pendant cette durée, à moins de retournement exceptionnel de situation.

 

  • Seules des mesures de reclassement externe sont obligatoires

Enfin, selon les requérants, l’accord aurait dû prévoir, comme les PSE, un plan de reclassement interne à destination des candidats au départ.

Autre prétention balayée par le tribunal qui rappelle, à juste titre, que l’article L.1237-19-1 du Code du travail oblige seulement à prévoir dans l’accord « des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents ».

Le reclassement interne vise à proposer un autre emploi dans l’entreprise au salarié dont le poste est supprimé, cet emploi devant en principe correspondre à sa catégorie professionnelle, et être également rémunéré. Afin de permettre le reclassement interne des salariés, des mesures de formation peuvent (et dans certaines limites doivent) être proposées (article L.1233-4 du Code du travail).
Cette obligation de reclassement interne vise tous les licenciements pour motif économique. Les mesures de reclassement externe visent en revanche à proposer des emplois ou à favoriser le retour à l’emploi à l’extérieur de l’entreprise, par exemple dans les entreprises partenaires, ou en recourant à un cabinet d’outplacement. Le plus souvent, elles sont mises en place dans le cadre des grands licenciements collectifs (avec PSE).

La solution n’est pas surprenante, puisqu’en effet les accords portant rupture conventionnelle collective ont précisément été consacrés dans le Code du travail par le législateur afin de sécuriser les plans de départ volontaires, dits autonomes, c’est-à-dire ceux pour lesquels les licenciements sont exclus, même si les objectifs posés par l’entreprise en termes de suppression d’emplois ne sont pas atteints par le biais du volontariat. Or, dans ce cas, la Cour de cassation avait décidé, dans un arrêt Renault, que la mise en place d’un plan de reclassement interne n’était pas obligatoire (2).

Un arrêt riche d’enseignement, dont les solutions nous semblent toutefois sans surprise...

 

(1)   Articles L.2323-2, L.2323-31 et L.2323-46 du Code du travail.

(2)   Cass.soc.26.10.10, n°09-15187.