Résiliation judiciaire : Quand l’ambiance de travail justifie la rupture du contrat

Publié le 12/07/2017

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité. A ce titre, il doit veiller à ce que les salariés travaillent dans des conditions qui n’altèrent pas leur santé ou leur sécurité. A défaut, ceux-ci sont en droit de demander la résiliation judiciaire de leur contrat de travail. Dans trois affaires récentes, la Cour de cassation a pu se prononcer sur la portée de cette obligation dans l’hypothèse de climats de travail délètères ou conflictuels. Cass.soc., 22.06.17, n°16-15507 ; Cass.soc. 08.06.17, n°16-10458 ; Cass.soc. 21.06.17, n° 15-24272.

  • L’obligation de sécurité de l’employeur

Par principe, l’employeur est tenu à une obligation de prévention à l’égard de la santé et de la sécurité des salariés(1). A ce titre, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leur santé physique et mentale(2).
Cette obligation de sécurité est étendue: d'une part, elle ne consiste pas seulement à prévenir les risques professionnels mais aussi à répondre des atteintes à la santé des salariés. 

D'autre part, elle ne se limite pas à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, mais elle concerne tous les risques auxquels le salarié peut être exposé au travail, y compris les risques psychosociaux.

Dans les trois arrêts présentés, il est précisement question de l'obligation de sécurité de l'employeur face à des situations de souffrances au travail générées par un climat délétère ou par des relations conflictuelles entre salariés. Quelle est alors l'étendue de cette obligation ? quand peut-on considérer que l'employeur a pris des mesures suffisantes ou au contraire que son inertie constitue un manquement à son obligation de sécurité susceptible d'empêcher la  poursuite du contrat de travail? 

Jusque récemment encore cette obligation de sécurité à la charge de l'employeur était dite "de résultat", dans le sens où, dès lors que le salarié était victime sur le lieu de travail d'une atteinte à sa santé, le manquement de l'employeur à son obligation était constitué quand bien même il aurait pris les mesures en vue de faire cesser ces agissements.
Depuis 2015(3), la Cour de cassation a sensiblement réduit l'étendue de cette obligation, puisqu'elle considère désormais que dès lors que l'employeur justifie avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés, il a légalement répondu à son obligation de prendre les mesures prévues par le Code du travail et peut ainsi s'exonérer de sa responsabilité en démontrant ses diligences.
 

  • Qu’est-ce que la résiliation judiciaire du contrat?

Lorsque l’employeur manque gravement à ses obligations, le salarié peut saisir le Conseil de Prud’hommes afin que celui-ci prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Au cours de l’instance devant le Conseil de Prud’hommes, la relation de travail se poursuit normalement.
Si la demande du salarié est justifiée, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, le salarié est débouté de ses demandes et la relation contractuelle se poursuit.

Lorsqu’au cours de la procédure, le salarié est licencié, le Conseil de Prud’hommes comment par rechercher  si la demande de résiliation judiciaire était justifiée :
- si c’est le cas, les motifs du licenciement postérieur sont sans effet et le contrat est rompu à la date d’envoi de la lettre de licenciement.
- dans la négative, ils se pencheront sur les motifs du licenciement.

 

Attention, ne pas confondre résiliation judiciaire et prise d’acte de la rupture du contrat !
La seconde action consiste, pour le salarié qui conteste un manquement grave de l’employeur à ses obligations, à ne plus travailler du jour au lendemain puis à saisir le Conseil de prud’hommes afin qu’il statue sur les conséquences de la rupture. On dit qu’il prend acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur. Si le juge considère les faits  invoqués suffisamment graves pour justifier la rupture, la prise d’acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle produit les effets d'une démission. 

  • Les affaires

-           Des mesures insuffisantes ou inexistantes de l’employeur : une responsabilité engagée

Dans la première affaire(4), la secrétaire assistante d’un cabinet d’avocats informe son employeur de la situation de souffrance psychologique dans laquelle elle se trouve depuis la survenance de divers évènements ayant généré chez elle un syndrome anxio-dépressif réactionnel (séparation des associés, départ d’une avocate associée de longue date, l’arrêt maladie de sa seule collègue du service, l’existence de tensions au sein du cabinet). En arrêt maladie, elle saisit la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, en 2010. Elle sera finalement licenciée pour inaptitude en 2011.
Après avoir constaté un climat dégradé, des échanges de courriers entre l’employeur et la salariée démontrant la souffrance psychologique de celle-ci mais surtout l’absence d’intervention de l’employeur, les juges du fond accèdent à la demande de la salariée et prononcent la résiliation du contrat. L’employeur se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation approuve la décision de la Cour d’appel : dès lors que l’employeur n’a pris aucune mesure « pour remédier à la situation de souffrance exprimée par l’intéressée et matérialisée par des circonstances objectives », il a manqué à son obligation de sécurité et ce manquement est bien de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Dans la seconde affaire(5), une salariée engagée par une association en qualité de médecin spécialisé, est en arrêt de travail depuis mai 2012. Elle soutient subir un harcèlement moral de la part d’une de ses collègues qu’elle accuse de la mettre à l’écart et d’avoir un comportement déplacé à son égard. Ce dont elle informe son employeur. Mais reprochant  à son employeur un manquement à son obligation de sécurité, elle saisit, en 2013, la juridiction prud’homale afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail. En mai 2015, elle est licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
La Cour d’appel prononce la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur.
Ce dernier conteste : il affirme avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En effet, aussitôt averti des difficultés rencontrées par la salarié, il avait notamment :

-          invité la salariée à prendre RDV avec la médecine du travail,
-          organisé une réunion avec  3 autres médecins de l’association, au cours de laquelle des modifications de l’organisation du travail avaient été proposées,
-          mis en place dans le mois qui suivait, un coordinateur médical chargé de régler les éventuelles difficultés au sein du personnel, ainsi qu’un staff hebdomadaire,
-          modifié l’organisation du travail en binôme avec l’accord des salariées en question.


Pour autant, la cour d’appel, qui constate que la tension entre les salariées avait entraîné chez l’intéressée une vive souffrance morale ayant participé de façon déterminante à la dégradation de son état de santé, considère que les mesures prises par l’employeur étaient insuffisantes, d’autant que l’employeur avait laissé sans réponse un courrier de la salariée l’interrogeant sur ses perspectives professionnelles au sein de l’association. La cour prononce la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur. Celui-ci se pourvoit en cassation.

Les hauts magistrats approuvent la solution retenue par la cour d’appel : « l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures utiles pour  régler avec impartialité par sa médiation, le conflit persistant qui les opposait » et permettre ainsi à la salariée de réintégrer son poste ou à défaut, de séparer les deux protagonistes.
Finalement, l’employeur aurait dû soit convoquer seules les deux salariées en question afin de tenter une conciliation, soit les séparer sans attendre la fin de l’arrêt de travail de la salariée en question, par un changement de bureau ou d’affectation. Ce manquement de l’employeur rendait donc impossible la poursuite des relations contractuelles.

-          Des mesures efficaces et immédiates exonèrent l’employeur de sa responsabilité

Dans la dernière affaire(6), un salarié développe un sydrome anxio-dépressif (avec troubles du sommeil, perte de poids) après avoir reçu, en février et avril 2010,  de l’un de ses collègues, des courriels à caractère raciste. En mai, il porte plainte et en informe son employeur qui va sanctionner le salarié fautif et l’obliger à s’excuser.  Considérant que l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité, le salarié saisit le Conseil de prud’hommes afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat. Alors que la procédure est en cours, il finit par être licencié pour inaptitude en 2012.

A l’inverse des deux cas précédents, la Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, va refuser de prononcer la résiliation judiciaire. Elle constate en effet que « dès qu’il avait été informé des courriels à caractère raciste reçus par le salarié, l’employeur, réagissant avec diligence et efficacité, avait sanctionné l’auteur de ces messages, lui avait demandé de présenter des excuses et que les faits ne s’étaient plus reproduits par la suite ».
Le manquement de l’employeur ne présentait donc pas un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail. 

  • Des solutions sans surprise

Ces trois arrêts donnent donc une illustration presque complète de la portée de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, en l’absence de mesure ou de mesures suffisantes de sa part et dans l’hypothèse où, au contraire, il fait preuve d’une diligence et d’une réactivité adaptées. La Cour de cassation rappelle que l’employeur ne doit en aucun cas laisser perdurer une situation délétère ou conflictuelle au sein de son entreprise. Il doit intervenir immédiatement quand bien même le salarié serait en arrêt maladie.

 



(1) Art L.4121-1 à L. 4121-5 C.trav.

(2) Art L.4121-21 C.trav. : ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

(3) Cass.soc.25.11.15, n°14-24444.

(4) Cass.soc.8.06.17, n°16-10458.

(5) Cass.soc.22.06.17, n°16-15507.

(6) Cass.soc.21.06.17, n°15-24272.