PSE : le juge judiciaire est compétent pour les effets sur la santé et la sécurité

Publié le 27/11/2019

Depuis la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, un bloc de compétences a été créé au profit du juge administratif en matière de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Pourtant, cette loi a omis de viser les effets sur la santé, la sécurité et les conditions de travail parmi les éléments faisant l’objet du contrôle de l’administration lors de la validation ou de l’homologation du PSE.

Depuis lors, se posait donc la question du maintien, ou non, dans le giron du juge judiciaire des contestations relatives aux effets sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des PSE. Pour la Cour de cassation, la compétence juridictionnelle demeure celle du juge judiciaire. Cass.soc.14.11.19, n°18-13887.

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Le projet de réorganisation impliquant la suppression d’environ 70 emplois, une expertise ayant pour objet l’évaluation de ses impacts sur la santé, la sécurité et les conditions de travail a été décidée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (feu le CHSCT).

Au vu des résultats de cette expertise, le CHSCT a rendu un avis négatif sur le projet.

Dans le même temps, un accord collectif portant PSE a été conclu et validé par la Direccte.

Ne se le tenant pas pour dit, le CHSCT a alors demandé une nouvelle expertise concernant les risques psychosociaux générés par le déploiement du projet.

A la suite du rapport de l’expert, il a déclenché une procédure d’alerte en raison du danger grave et imminent encouru du fait du déploiement en PACA. Il a en outre saisi l’inspection du travail, ainsi que le juge judiciaire afin de constater que l’employeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés et que la poursuite du déploiement soit interdite.

Le Code du travail prévoit un droit d’alerte au profit des représentants du personnel lorsque ceux-ci constatent, par exemple par l’intermédiaire d’un salarié ayant exercé son droit de retrait, l’existence d’une « cause de danger grave et imminent ». L’ancien art L.4614-10 du Code du travail prévoyait ce droit d’alerte au profit du CHSCT, il est désormais aux mains des représentants au CSE, conformément à l’article L.4131-2 du Code du travail.

En appel, les juges du fond ont fait droit à ces demandes. Par conséquent, l’employeur a formé un pourvoi : il s’y prévalait, entre autres, de la compétence exclusive du juge administratif pour statuer sur les PSE inscrite à l’article L.1233-57-1  du Code du travail.

  • La compétence du juge judiciaire sur les conséquences d’une réorganisation en matière de santé

Saisie de l’affaire, la Cour de cassation a dû se prononcer sur le point de savoir si le juge judiciaire conserve, ou non, une compétence résiduelle en matière de réorganisation, en particulier pour se prononcer sur ses effets sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés.

En effet, l’article L.1235-7-1 du Code du travail crée un bloc de compétences au profit du juge administratif en matière de PSE, que celui-ci soit issu d’un document unilatéral ou d’un accord collectif. Ce même juge est d’ailleurs compétent tant sur les décisions de l’administration (homologation/validation) que sur le contenu même du PSE et sur la régularité de la procédure à l’égard des IRP sur lesquels l’administration exerce son contrôle.

Pourtant, il a déjà été jugé, dans des domaines à cheval entre le versant individuel et le versant collectif des licenciements pour motifs économiques, que le juge judiciaire demeure compétent. Ainsi, le juge judiciaire conserve-t-il déjà une compétence résiduelle en matière de réorganisations assorties d’un PSE, en ce qui concerne le respect par l’employeur de l’obligation individuelle de reclassement. En effet, le conseil de prud’hommes peut statuer sur un licenciement pour motif économique prononcé en application d’un PSE et juger que l’obligation individuelle de reclassement n’a pas été respectée. Dans ce cadre, il n’est toutefois pas autorisé à porter une appréciation sur le contenu du PSE, et notamment sur le plan de reclassement (1).

Cependant, en l’espèce, ce sont bien les versants collectifs de la réorganisation qui étaient en cause, à travers la question des effets sur la santé des salariés du projet.

Néanmoins, la Cour de cassation s’en tient à une lecture littérale du Code du travail et considère que la compétence du juge administratif demeure limitée à ce sur quoi porte le contrôle de l’administration lorsque celle-ci homologue ou valide un PSE, à savoir – hormis les conditions de signature de l’accord le cas échéant : le contenu du PSE et la régularité de la procédure de consultation des IRP.

Dès lors, la Haute juridiction considère que :

le juge judiciaire est compétent pour statuer sur des « demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration ».

 

  • Qu’en est-il depuis les ordonnances ?

Les textes portant sur la compétence de l’administration et du juge administratif n’ont pas été modifiés (2).

De ce point de vue donc, rien ne bouge et l’on peut raisonnablement penser que, sans intervention législative, le juge judiciaire devrait continuer à être compétent pour se prononcer sur les risques psychosociaux engendrés par une réorganisation et en prévention desquels l’employeur n’aurait pris aucune disposition. Ce qui est logique si l’on considère qu’ il s’agit du respect par l’employeur de son obligation de sécurité.

A bien y regarder cependant, la solution n’est totalement logique que parce que le CHSCT se prévalait de la seconde expertise, demandée aux fins d’évaluer les risques psychosociaux a posteriori, au moment de la mise en œuvre de la réorganisation, c’est-à-dire après le passage du PSE au crible de la Direccte.

Qu’en aurait-il été si les plaideurs s’étaient appuyés sur la première expertise et sur l’avis négatif rendu par le CHSCT au moment de la procédure de consultation ?

A ce sujet, il faut noter que l’avis rendu par le CSE (instance unique reprenant les prérogatives de feu le CHSCT) en cas de procédure de licenciement pour motif économique peut désormais porter sur les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail et c’est le CSE qui décide, ou non, de faire porter l’expertise non seulement sur les aspects économiques et financiers du projet, mais aussi sur ses conséquences pour les salariés restant dans l’entreprise (3).

Dans l’esprit de la loi de sécurisation de l’emploi, dont l’un des buts était d’opérer un contrôle des PSE avant que les licenciements ne soient intervenus et, par souci d’efficacité, de regrouper les éventuels contentieux, la question de l’opportunité du maintien de la double compétence mériterait d’être posée.

 

(1)   Cass.soc.21.11.18, n°17-16766.

(2)   Articles L.1233-57-1 et s. et L.1235-7-1 du Code du travail.

(3)   Articles L.1233-30, 2° et L1233-34 du Code du travail.