Prud’hommes : Un plafonnement des indemnités incohérent et lourd d’impact pour les salariés

Publié le 17/06/2015

L’article 87 D, qui a été introduit au projet de loi Macron quelques jours avant que le Gouvernement n’use de l’article 49-3 de la Constitution pour faire passer son texte, vise à plafonner les dommages-intérêts dus aux salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une telle mesure, qui marque un net recul des droits des justiciables salariés, risque d’avoir un fort impact sur le contentieux prud’homal.

  • Un plafonnement, choquant dans son principe

Plafonner les dommages-intérêts au seul regard de l’ancienneté du salarié et de la taille des entreprises car c’est faire fi de la notion de préjudice réellement subi. Comment peut-on en effet croire que ces deux critères (ancienneté et taille de l’entreprise) suffisent à déterminer l’ampleur d’un préjudice ?

En conséquence, nombre d’effets pervers sont à prévoir, parmi lesquels une multiplication de chefs de demande ayant trait à la réparation du préjudice (préjudice moral, préjudice pour licenciement vexatoire, préjudice d’image, etc.). Il en résultera une inévitable complexification des dossiers et de nouvelles lenteurs dans leur traitement (à l’inverse de l’objectif que s’était assigné le projet de loi Macron).

  • Des hauteurs de plafond attentatoires au principe de réparation intégrale du préjudice

Sur le quantum, l’amendement gouvernemental confère de fait aux employeurs une complète impunité. Du fait du caractère franchement dérisoire des maxima indemnitaires qui y figurent, en particulier pour les salariés les moins bien lotis (ceux qui évoluent dans des entreprises de moins de 20 salariés et ceux qui ont moins de deux ans d’ancienneté).

  • Un retour de fait au CNE pour les entreprises de moins de 20 salariés

C’est pour ces salariés que la situation est la plus choquante, le plafond prévu est tellement bas qu’il implique une quasi-impunité pour les employeurs en cas de licenciement, même injustifié.

-Le cas des salariés qui ont moins de deux ans d’ancienneté

Actuellement, ils peuvent prétendre, en vertu de l’article L. 1235-5 du Code du travail, à « une indemnité correspondant au préjudice subi ».

Avec les nouvelles dispositions, ils ne pourront faire indemniser leur préjudice qu’à hauteur de 3 mois maximum.

Attention ! Il s’agit bien là de maximum. Ce qui signifie qu’au vu du fonctionnement paritaire des conseils de prud’hommes, nombre de décisions acteront d’une indemnisation à un mois et demi.

Ce qui sera obtenu en dommages-intérêts ne compensera alors même pas les frais d’avocat éventuellement exposés par le salarié. Dans de telles conditions, quel salarié, même particulièrement floué, agira encore aux prud’hommes ? Presque plus aucun. La sécurisation patronale sera alors presque parfaite.

La CFDT s’est fortement mobilisée, il y a une dizaine d’années, pour dénoncer la mise en œuvre du CNE qui permettait aux entreprises de moins de 20 salariés de licencier sans motif. L’évolution aujourd’hui portée par l’article 87 D du projet de loi conduit de facto à placer les salariés dans une situation assez proche de celle qu’ils auraient eue à subir si le CNE n’avait pas été abrogé puisqu’ils sont littéralement et fortement dissuadés d’agir en contestation de la cause réelle et sérieuse de leur licenciement.

Il est à noter que les jeunes salariés ainsi que les seniors fraîchement revenus vers l’emploi devraient être les premières victimes de ces dispositions nouvelles. Il est donc clair que ces nouvelles mesures ne seront pas de nature à favoriser la mobilité.

- Le cas des salariés qui ont entre deux ans et dix ans d’ancienneté

Actuellement, ceux qui travaillent dans une entreprise de moins de 11 salariés peuvent prétendre, en vertu de l’article L. 1235-5 du Code du travail, à « une indemnité correspondant au préjudice subi ».

Ceux qui travaillent dans une entreprise de 11 à 20 salariés peuvent prétendre, en vertu de l’article L. 1235-3 du Code du travail, à « une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ».

Avec les nouvelles dispositions, ils ne pourront faire indemniser leur préjudice qu’à hauteur de 2 mois minimum et de 6 mois maximum.

Attention ! Au vu du fonctionnement paritaire des conseils de prud’hommes, nombre de décisions acteront certainement d’une indemnisation médiane entre le minimum et le maximum, soit 4 mois.

Ainsi un salarié ayant 14 ans d’ancienneté et victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sera-t-il, en moyenne, indemnisé à cette hauteur-là. Ce qui est franchement dérisoire. Là encore, on peut raisonnablement penser qu’une telle modération indemnitaire constituera un véritable frein à l’action.

  • Un retour de fait au CPE pour les salariés qui ont moins de deux ans d’ancienneté

Leur situation n’est pas choquante que dans les entreprises de moins de 20 salariés. Les concernant, et quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle ils travaillent, ils ne pourront prétendre qu’à une indemnisation maximum de trois ou quatre mois. Trois mois dans les entreprises de moins de 20 salariés, quatre mois dans toutes les autres (y compris 300 et plus). Ce, alors qu’actuellement, ils peuvent prétendre à « une indemnité correspondant au préjudice subi ».

Attention ! Il s’agit bien là de maximum. Ce qui signifie qu’au vu du fonctionnement paritaire des conseils de prud’hommes, nombre de décisions acteront d’une indemnisation à un mois et demi/deux mois.

Les critiques que nous avons formulées s’agissant des salariés des entreprises de moins de 20 salariés se doivent donc d’être reprises s’agissant de tous les salariés de moins de deux ans d’ancienneté.

La CFDT s’est fortement mobilisée, il y a une dizaine d’années, pour dénoncer la mise en œuvre du CPE qui permettait aux entreprises licencier sans motif des jeunes de moins de 26 ans. L’évolution aujourd’hui portée par l’article 87 D du projet de loi conduit de facto à placer les salariés dans une situation assez proche de celle qu’ils auraient eue à subir si le CPE n’avait pas été abrogé puisque ces dispositions toucheront massivement les jeunes actifs qui sont littéralement et fortement dissuadés d’agir en contestation de la cause réelle et sérieuse de leur licenciement.

  •  ZOOM sur 3 autres aspects de l’article 87 D

- Un possible dépassement des plafonds en cas de « faute de l’employeur d’une particulière gravité » (harcèlement moral, discrimination, atteinte au droit de grève, violation du statut protecteur, atteinte à une liberté fondamentale). Pourquoi, au lieu de parler de « faute de l’employeur d’une particulière gravité », le texte n’évoque-t-il pas le fait que ces licenciements sont nuls et qu’ils doivent être indemnisés comme tels ? Ce d’autant plus qu’il le fait s’agissant des situations inhérentes aux grands licenciements collectifs pour motifs économiques.

- La non-application de l’article L. 1235-4 (qui expose l’employeur condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à devoir rembourser jusqu’à six mois d’indemnité à l’assurance chômage) aux entreprises de moins de 20 salariés. Ce qui est choquant car, en plus de ne presque plus rien risquer en terme de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ces employeurs, dès lors qu’ils auraient tout de même été condamnés, ne craindraient plus d’avoir à compenser les dépenses indues de l’assurance chômage. Une exclusion de ce type existe déjà dans le Code du travail mais elle ne concerne aujourd’hui que les entreprises de moins de onze salariés. La voilure serait donc élargie alors que, dans le même temps, les condamnations devraient significativement baisser.

- La non-application aux entreprises de moins de 20 salariés « des dispositions relatives à la sanction du non-respect de la priorité de réembauchage ». Cela signifie en clair que les salariés de ces entreprises ne disposent plus de ce droit. La priorité de réembauche n’existe plus pour eux. Pourtant, en quoi la mise en œuvre de ce droit était-elle une charge pour ces entreprises ?